68% des internautes demandent le maintien de la loi reconnaissant le génocide des Arméniens tandis 54% trouveraient normal qu’une personne qui le nie soit condamnée

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A l’heure où, à propos de l’esclavage Jacques Chirac souligne l’importance pour la France de regarder sans ciller son passé, les internautes qui se sont exprimés sur le forum « www.expression-publique.com » saluent son geste d’apaisement sur la colonisation.

Le président de la République s’applique à panser les plaies ouvertes par le débat qui a enflé l’année dernière autour de l’histoire, de la mémoire et de loi. Il vient de se prononcer en faveur d’une date commémorant l’abolition de l’esclavage, fixé au 10 mai. Quelques jours plus tôt, il a fait savoir que l’article de loi controversé demandant aux programmes scolaires de souligner le  » rôle positif  » de la colonisation française serait supprimé. Interrogés sur cet événement, les internautes en font l’un de ceux de la semaine du 21 au 27 janvier 2006 qui leur a particulièrement plu.

Que Jacques Chirac n’ait pas jugé bon d’accéder à la demande d’abrogation pure et simple de toutes les lois qui portent jugement sur le passé de la France (loi Gayssot, loi Taubira sur l’esclavage, loi sur le génocide arménien). Les internautes lui donnent implicitement raison. Eux non plus ne voient pas l’utilité de se priver de ces lois : ils se prononcent pour leur maintien, à chaque fois à plus de 60% d’entre eux. Sans doute parce que ces lois-ci relèvent moins d’une réécriture de l’histoire que de la mémoire et de la protection des descendants des victimes.

Question 20 : Après cette décision, souhaitez-vous que les lois suivantes soient supprimées ou maintenues ?

La loi Gayssot, qui rend passible des tribunaux la négation de crimes contre l’humanité

Qu’elle soit supprimée 28 %
Qu’elle soit maintenue 63 %
Sans opinion 8 %
Non réponse 1 %

La loi de janvier 2001, qui reconnaît le génocide arménien
Qu’elle soit supprimée 21 %
Qu’elle soit maintenue 68 %
Sans opinion 9 %
Non réponse 1 %

La loi Taubira, qui reconnaît l’esclavage comme un crime contre l’humanité
Qu’elle soit supprimée 29 %
Qu’elle soit maintenue 63 %
Sans opinion 8 %
Non réponse 0 %

4396 internautes ont exprimés leur avis

Lors d’un second sondage consacré aux pages glorieuses et les pages sombres de l’histoire de France le forum « www.expression-publique.com » a questionné les internautes sur le négationnisme

Question 23 : Jugez-vous normal ou pas normal qu’une personne soit condamnée en justice :

Si elle nie publiquement l’Holocauste et l’existence des chambres à gaz
Il est normal qu’elle soit condamnée 64 %
Il n’est pas normal qu’elle soit condamnée 26 %
Sans opinion 9 %
Non réponse 1%

Si elle nie publiquement que l’esclavage soit un crime contre l’humanité

Il est normal qu’elle soit condamnée 50 %
Il n’est pas normal qu’elle soit condamnée 36 %
Sans opinion 13 %
Non réponse 1%

Si elle nie publiquement l’existence du génocide arménien

Il est normal qu’elle soit condamnée 54 %
Il n’est pas normal qu’elle soit condamnée 30 %
Sans opinion 15 %
Non réponse 1%

5148 internautes ont exprimés leur avis

Pierre Nora, historien, auteur des «Lieux de mémoire», réagit aux avis des internautes sur la France face à son histoire et s’explique sur sa demande d’abrogation des lois touchant à l’histoire (colonisation, loi Gayssot…)

Expression publique – 45% des internautes estiment que la colonisation française a eu avant tout un rôle « positif » (contre 36% d’avis contraire). Au-delà de la polémique sur le texte de loi, partagez-vous en tant qu’auteur des « Lieux de mémoire » cette façon de voir ?

On ne peut pas, si on est historien, raisonner en des termes aussi manichéens. Un historien doit garder à l’esprit les notions de temps, de durée, de relativité des choses. Il ferait très mal son travail en portant un jugement, quel qu’il soit, sur un événement historique. Ce jugement doit découler naturellement des choses elles-mêmes. Lorsqu’il aborde la question de la colonisation devant ses élèves, le professeur d’histoire doit s’efforcer de montrer ce qui se passait et comment cela se passait en évitant de se prononcer en termes purement moraux. C’est la base de son métier.

C’est pourquoi j’ai pris position, avec d’autres historiens, pour la suppression de cet article de loi. Ce n’est pas à la loi de dire aux professeurs comment ils doivent enseigner l’histoire, et surtout pas en présentant une version normative et moralisante du passé de la France. Du reste, un tel article ne relève pas de la loi mais de la pratique réglementaire ou d’une directive ministérielle de l’Education nationale, comme les pouvoirs publics semblent avoir fini par le comprendre. Je me réjouis qu’on se dirige manifestement vers sa suppression.

Mais cette loi n’est pas seule en cause. Prenez la loi Taubira, qui demande aux programmes scolaires de donner à l’esclavage « la place conséquente qu’il mérite ». La place « conséquente » ? Qui décide que la quantité d’heures consacrées à l’enseignement de l’esclavage est suffisamment, ou pas, « conséquente » ? Cela relève des programmes d’enseignement ou d’une directive ministérielle, certainement pas de la loi. On a là un autre exemple de dérive normative de l’enseignement de l’histoire.

Il faut bien sûr apprendre aux élèves l’histoire de l’esclavage. Mais pas pour des raisons morales. Que, moralement, la traite des Noirs soit un crime contre l’humanité, il n’y a aucun doute. C’est l’un des événements de l’histoire qui peut le plus soulever l’indignation et l’horreur. Mais il faudrait aussi expliquer pourquoi on la pratiquait, souvent en toute bonne conscience. Et si les enseignants doivent l’enseigner, ce n’est pas principalement parce que c’est un crime contre l’humanité, au nom d’une injonction morale. C’est d’abord parce que c’est un phénomène très important dans la formation du monde moderne, à la fois pour le monde africain et le monde occidental. D’ailleurs, le seul fait de l’étudier en montre suffisamment l’horreur.

EP – Est-ce que cela veut dire que les historiens ont le monopole de l’histoire et de la mémoire collective ?

Bien sûr que non. S’opposer à l’inscription dans la loi de toute affirmation d’une histoire officielle ne veut pas dire que je considère que la gestion de la mémoire collective ne revienne pas aux autorités ; c’est leur droit et leur devoir. Je ne conteste pas aux élus le droit de faire des commémorations, des journées du souvenir, des discours comme celui de Jacques Chirac en 1995 sur la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’hiv, etc. Mais, de grâce, n’empiétons pas les uns sur les autres : aux historiens l’histoire, aux pouvoirs publics la mémoire.

EP – 64% des internautes jugent normal qu’une personne qui nie l’existence des chambres à gaz soit condamnée en justice. Pourquoi avez-vous, dans la pétition des historiens, pris position pour l’abrogation de la loi Gayssot ?

Il ne faut pas se méprendre sur cette démarche. Nous n’avons jamais pensé qu’elle puisse être sérieusement abrogée. Mais dès lors que nous refusions au législateur le droit d’inscrire dans la loi une vision normative du passé, c’est par cohérence avec nous-même que nous les avons toutes inclues, loi Gayssot comprises, mais aussi la loi Taubira, la loi sur le génocide arménien et celle sur la colonisation.

Et puis, si nous n’avions pas inclus les articles de la loi Gayssot dans la demande de suppression des lois qui induisent une histoire normative et officielle, que n’aurait-on dit ? Que les juifs jouissaient d’un traitement de faveur ?

EP – Mais cette loi n’a-t-elle pas sa raison d’être ? Que répondez-vous à Claude Lanzmann pour qui la loi Gayssot ne réduit pas la liberté de l’historien mais n’est que le rappel de « l’obligation de vérité » qui doit être sa règle ?

Je ne mets pas en doute les intentions de cette loi, je les partage et elles sont louables. Mais il faudrait être aveugle pour ne pas voir les effets pervers qu’elle entraîne aujourd’hui. Sa formulation, trop ambiguë à mon sens, permet toutes les dérives. Et l’arsenal des lois existantes permettait déjà de poursuivre les négationnistes comme cela s’est fait pour ré-assigner Faurisson et Bardèche.

J’avais senti, dès l’époque de sa rédaction, en 1990, qu’on mettait le doigt dans l’engrenage. Que si on se mettait à sanctuariser le passé d’une collectivité, même pour les meilleurs raisons du monde, on ouvrait la boîte de Pandore. Aujourd’hui, on y est ! Des historiens sont poursuivis au motif qu’ils seraient des négationnistes alors qu’ils font simplement leur travail. C’est ce qu’affronte en ce moment Olivier Pétré-Grenouilleau, dont la qualité de son livre sur la traite négrière a pourtant été saluée par tous les historiens. On en arrive à ce paradoxe : on condamne aujourd’hui les historiens qui travaillent sur les questions que ceux qui les attaquent leur reprochaient hier de ne pas aborder.

EP – 63% des internautes s’opposeraient à ce que l’on commémore le souvenir de la manifestation pro-FLN du 17 octobre 1961 à Paris. Estimez-vous que la guerre d’Algérie est, en France, un « passé qui ne passe pas », pour reprendre l’expression usuelle concernant Vichy ?

L’histoire a eu du mal à se faire sur la guerre d’Algérie, comment en serait-il autrement ? Si le sujet est aussi sensible, c’est en raison du nombre des acteurs. Il n’y a pas une mémoire sur la guerre d’Algérie mais bien des mémoires. Celles des acteurs de l’époque et de leurs représentants aujourd’hui : les harkis, les rapatriés, les militaires du contingent, les Algériens eux-mêmes, etc. Les difficultés à s’entendre sur une date de commémoration qui ne froisse personne en sont l’illustration. La fermeture des Archives n’arrange rien, ni le silence du côté algérien.

EP – Le travail de mémoire sur cette période va-t-il, à votre avis, bientôt venir ?

Les mémoires finiront par se calmer un jour. C’est ce qui s’est passé pour la Révolution française ou Vichy. Les archives s’ouvrent petit à petit. Et puis arrive une nouvelle génération d’historiens qui n’a pas fait la guerre d’Algérie. Je pense, par exemple, à Raphaëlle Branche. Cette histoire est en train de se faire et selon la seule méthode qui vaille : en établissant les faits de manière incontournable.

EP – 50% des internautes estiment qu’il faut rappeler régulièrement les pages sombres de l’histoire de France, en mémoire des victimes qui les ont payées de leur vie. Mais à force de pratiquer l’auto-flagellation, la France ne risque-t-elle pas de devenir un pays qui ne s’aime pas ?

Effectivement, si on criminalise le passé tout entier de la France, il y a de quoi se demander pourquoi l’apprendre à nos enfants en classe. Ils risquent de s’en détourner violemment.

Mais il ne s’agit pas non plus de le glorifier, de le fétichiser. Il faut l’éclairer, car c’est notre passé commun et il nous constitue tous, en tant que membres de la même collectivité. Le regard de l’historien, sans parti pris et appuyé sur des faits avérés, doit être notre boussole.

raffi
Author: raffi

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