Les dommages collatéraux de la loi sur le colonialisme

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Il revient aux historiens d’écrire l’histoire. Au nom de cette belle lapalissade, quelques grands noms de cette discipline se sont récemment indignés dans une pétition rendue publique de ce que le Parlement se soit permis d’interférer dans leur champ de compétence. Evènement déclencheur de leur juste courroux, la loi du 23 février 2005, inspirée par l’aile droite de l’UMP, et qui astreint les enseignants à mettre l’accent sur les aspects positifs de la colonisation française. Ce texte aberrant, tant du point de vue de son contenu que de son opportunité politique, a effectivement de quoi choquer. Le procès du colonialisme n’est en effet plus à faire. Il a été depuis longtemps jugé… par l’histoire. Mais devait-on pour autant, comme l’ont fait ces historiens, se hasarder dans une démarche globalisante et, pour obtenir l’abrogation de cette législation, aller jusqu’à demander l’abolition de la loi Gayssot sur la Shoah, de la loi Taubira sur l’esclavage, de la loi sur le génocide arménien ? Ou autrement dit, fallait-il au nom de la mobilisation contre une injustice, en commettre trois autres ?
Cette initiative, on s’en doute, a soulevé une grande indignation, et au premier chef dans les communautés juive, noire et arménienne. Car avant toute autre considération philosophique sur les rapports entre le Parlement et l’histoire, ces minorités portent encore les stigmates d’une oppression imprescriptible. Et elles demandaient tout simplement à la loi de garantir leur dignité contre des comportements visant à dénier les crimes contre l’humanité qu’elles ont subis. Elles souhaitaient à la fois un engagement politique de la représentation populaire et des moyens juridiques de se défendre, de se protéger. Qu’y a-t-il là d’illégitime ?
« Qui contrôle le passé contrôle l’avenir » avertissait Orwell dans 1984. On le sait, les relations entre pouvoir et histoire posent des questions essentielles. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que tous les Etats totalitaires se sont essayés à la réécriture du passé. ça a été le cas de Mustapha Kémal, qui a créé un institut officiel d’histoire et également celui de Staline. Les Arméniens qui ont subi les deux savent de quoi il retourne. Aussi, peut-on vraiment, face à ce type de réalité, faire semblant de croire que l’histoire puisse être un domaine à 100 % sanctuarisé ? Cette noble vision n’est-elle pas idyllique ? En tant que science humaine, cette matière peut-elle valablement prétendre s’abstraire des conditions sociales, économiques, politiques et des rapports de forces dans lesquelles elle s’exerce ? Sa parole est-elle aussi libre qu’on veut bien le dire ? Si tel est le cas, pourquoi, par exemple, ce long silence sur le génocide arménien ?
Ce dossier doit donc être traité avec nuances et non tranché à la serpe, au nom des grands principes. Dès lors, même si l’on doit considérer comme juste l’idée que le politique devrait intervenir le moins possible dans le domaine historique, il faut prendre en compte le fait qu’en réalité, il se prive rarement de ce privilège. Ne fût-ce qu’au titre, dans notre belle République démocratique, du ministère de l’Education nationale qui est chargé de définir la forme et le contenu des programmes scolaires… Que dire, a fortiori, des stratégies planétaires d’Etats comme la Turquie, qui entendent se disculper d’un crime contre l’humanité en propageant le mensonge ? Face à cela, les historiens ont certes pour tâche de rétablir les faits. Mais est-ce suffisant ? De telles entreprises éminemment politiques exigent des ripostes politiques. C’est dans ce cadre que le Parlement est intervenu pour le génocide arménien. Faut-il, parce qu’il a outrepassé ses devoirs dans l’affaire du colonialisme, lui lier les mains par ailleurs ? Les premiers à se féliciter de cette attitude sont aujourd’hui l’Etat turc et le Front national. Il n’est nul besoin d’être grand clerc pour comprendre pourquoi.
Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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