L’ordre règne à Erevan

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Erevan s’est réveillé dimanche 2 mars au matin avec la gueule de bois. Après 10 jours de fêtes insurrectionnelles, le dernier mot est revenu à la force légale. Celle du pouvoir. Comme on pouvait s’y attendre. Cette crise majeure qu’a connue la jeune république arménienne pouvait-elle d’ailleurs se terminer autrement que par un vainqueur et un vaincu ? Certainement pas, compte tenu du degré de contradictions entre les parties en présence. Jamais depuis les élections controversées de 1996, la colère de la population, ou au moins d’une partie massive de celle-ci, ne se sera exprimée dans la rue avec autant de détermination. Et surtout, jamais le débat entre le pouvoir et ceux qui contestent la validité des élections du 19 février n’aura atteint un tel niveau de violence rhétorique.

Assumant totalement son rôle d’opposant, l’ex-président Ter Petrossian a cherché à catalyser un véritable élan populaire. Le sphinx de la vie politique arménienne qui s’était emmuré dans le silence depuis 10 ans, n’a pas lésiné sur l’usage des vocables et de la démagogie pour réveiller un peuple qu’on disait résigné.

Voilà cinq mois que ce galvanisateur de foule, qui avait déjà fait ses preuves au moment de la chute de l’URSS, se déchaîne contre ce pouvoir, qualifié de corrompu, tricheur, voleur, étranger, criminel. Attisant avec un art consommé de la pyromanie les passions d’un petit peuple méprisé, jouant sur ses frustrations, disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas, l’ex-président n’a pas eu de mots assez durs pour stigmatiser, disqualifier, tuer verbalement le clan « Kotcharian-Sarkissian ». Moyennant quoi, il a pu atteindre le premier de ses objectifs, condition sine qua non de la réussite de son come-back : faire revivre une opposition qui n’existait plus, la fédérer autour lui, lui donner un corps, celui du mouvement populaire, et une voix, la sienne. Tranchante, inquisitoriale, sans concession. Le discours d’une stratégie révolutionnaire, décrite par lui-même comme une « révolution démocratique bourgeoise » et visant à bouter hors du pays les « usurpateurs » et à nettoyer « les écuries d’Augias ». Un programme s’inscrivant dans le droit fil de la révolution Orange d’Ukraine, ou de la révolution des Roses en Géorgie. Et qui ne laissait d’autre issue au pouvoir en place que la porte de sortie, ou la répression.

Pour accomplir son plan, Lévon Ter Petrossian a misé sur une croissance géométrique de la protestation dans la rue, et un délitement progressif de l’appareil dirigeant. Si la première condition s’est réalisée, notamment avec la manifestation monstre du mardi 26 février dernier, force est de reconnaître que la structure d’état s’est révélée plus solide que prévue. Les défections espérées n’ont pas eu lieu. Le pouvoir ne s’est pas effondré comme un château de cartes. Mieux, c’est Serge Sarkissian qui a réussi à briser le 29 février la dynamique d’une opposition réunie, en ralliant à son panache le numéro 3 de la compétition présidentielle, Arthur Baghdassarian, avec lequel il a signé un protocole d’accord pour un gouvernement de coalition. Dès lors, la messe était dite. Fort de ce soutien qui lui a redonné une légitimité ébranlée par l’ampleur du mouvement de rue, il avait désormais les coudées franches pour rétablir l’ordre. Une tâche qui s’est faite au son du canon à eau, des coups de matraque et de la dispersion violente de manifestations qui ont elles-mêmes viré à l’émeute et aux saccages. Bilan de cette triste journée : 8 morts, des dizaines de blessés, des dizaines d’arrestations, un ex-président assigné à résidence et la loi martiale décrétée pour 3 semaines.

L’ordre règne à Erevan. Mais pas forcément la paix civile. Les événements qui viennent de se produire, résultants des dysfonctionnements démocratiques du pays, témoignent de sa piètre santé politique. Le nouvel élu, qui prendra ses fonctions en avril prochain, devra faire preuve d’ouverture, de tolérance et de retenue pour renouer les fils du dialogue avec toute une partie du pays qui a montré son niveau de colère et de frustration. Cette explosion populaire montre que les sas de décompressions sociales ne fonctionnent plus, que les mécaniques de la concertation, de la confiance sont totalement grippées. Que la voix des exclus, qui ne peut se faire entendre loyalement par des canaux normaux, parlement, médias, est obligée d’en venir aux extrêmes pour être prise en compte. Que le peuple vit de plus en plus mal sa situation et qu’il se reconnaît de moins en moins dans ce système autocratique postsoviétique qui a vécu.
Que fera Serge Sarkissian ? Se comportera-t-il comme un Pinochet arménien ? Et quid de Ter Pétrossian ? Voudra-t-il sortir de la stratégie de rupture et de l’image du martyr qui va avec ? La démocratie se fait avec des démocrates. Et dans cette affaire, il semble que nous soyons encore loin du compte. Dans les deux camps, d’ailleurs. Même s’il appartient au pouvoir de donner l’exemple, de montrer la voie. Car aujourd’hui, c’est lui qui a, de fait, la situation en main.

Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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