Indépendance de la presse

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Camus écrivait dans Combat du 31 août 1944, «Notre désir, d’autant plus profond qu’il était souvent muet, était de libérer les journaux de l’argent et de leur donner un ton et une vérité qui mettent le public à la hauteur de ce qu’il y a de meilleurs en lui. Nous pensions alors qu’un pays vaut souvent ce que vaut sa presse.»

Cet éditorial, publié dans un journal de la résistance au moment où la France se libérait de l’occupation allemande, n’a rien perdu de son actualité, ni de son universalité. A quelques encablures du 21 septembre 2011, où l’Arménie va célébrer avec faste sa renaissance, il nous invite bien sûr à réfléchir sur le concept d’indépendance, à un moment où celle de la presse reste visiblement à conquérir. Au pays tout d’abord, avec une série de procès intentés par les oligarques contre différents titres, depuis Haygagan Jamanak, jusqu’à Yerkir. Cette guérilla judiciaire, menée à la faveur de la nouvelle loi sur la diffamation vise clairement à étouffer financièrement les journaux. En attestent les dommages réclamés par les plaignants.

Apparemment, l’idée qu’ils se font du prix de leur honneur bafoué par quelques vilaines plumes est plus en rapport avec leur propre compte en banque qu’avec les maigres recettes de nos quotidiens. Le dram symbolique qui laverait l’affront ne semble visiblement pas pour eux de rigueur. Il leur faut la peau de ceux qui ont osé les braver. Cette morgue pourrait s’avérer fatale aux petits titres de notre presse, qui, pour être parfois maladroits au point de prêter le flanc à ce type de menaces, n’en constituent pas moins un rouage indispensable de la vie démocratique. Leur liberté est un paramètre de celle du pays. En la fragilisant, c’est l’ensemble de la nation qu’on affaiblit. Les juges devraient y réfléchir avant de cogner.

Cette zone de turbulence ne se limite hélas pas à l’Arménie. Le fléau contamine la diaspora, et même la France. Le tropisme de tout pouvoir qui pense naturellement que la défense de ses intérêts passe par le contrôle des médias s’alimente à loisir des phénomènes de cour. La capacité d’influence, la promotion de l’image font parti de la panoplie des postulants aux faveurs de l’Etat et autres papillons de nuit attirés par sa lumière. Et la presse constitue le terrain de chasse privilégié de ces impétrants. L’affaire Yézéguélian est archétypale de cette situation. Cet homme d' »affaires » en quête apparente de notoriété multiplie les achats d’espaces dans les médias. A ce titre, il apparaît pour ce secteur d’activité en recherche permanente de fonds, en particulier en période de crise, comme un bon client. Les journaux ont besoin de pub et il prodigue ses largesses. Jusque-là tout va bien. Et d’ailleurs, NAM a également en son temps profité de cette offre. Le problème se corse quand se pose la question politique du retour sur investissement de ce type de recettes. En refusant un publi-reportage visant à assurer la promotion d’une association de juristes présidée par ce personnage, alors que cette structure, la FFAPJ, était en conflit avec l’AFAJA, une association d’avocats historique et légitime, NAM a préféré mécontenter un annonceur plutôt que de se faire instrumentaliser. Rien d’héroïque à cela. Simple respect de la déontologie minimum de la profession. Il s’en est suivi une véritable déclaration de guerre qui a pris la forme d’une campagne de calomnies sur le net, d’une tentative de corrompre ses sociétaires et de deux procès. Un pour expulser NAM de ses locaux, dont Yézéguélian est actionnaire, l’autre en diffamation, au motif d’un message diffusé sur le forum d’Armenews, en réparation duquel le plaignant s’estimant visé réclame 50 000 euros de dommages.

Cette agression nous a valu de nombreux témoignages de solidarité, tant de la part du bureau national du CCAF que de nombre de nos confrères. Qu’il soit ici permis de souligner en particulier l’attitude exemplaire d’Achrakh et d’Azad magazine, qui non seulement nous ont exprimé chaleureusement leur soutien, mais qui ont également résisté aux tentatives de Yézéguélian d’acheter des espaces dans leur support, estimant que ce type de propositions, pour bénéfique qu’elle puisse être à leur survie financière, pouvait dans ce contexte attenter à leur… indépendance. Chapeau bas !

D’aucuns se sont montrés moins scrupuleux, mais du moins ont-il eu la pudeur de se taire sur cette affaire, afin d’éviter tout conflit d’intérêts. Soit.
Mais dans la dialectique du «souteneur» et des «soutenus» d’autres se sont visiblement rangés dans la catégorie de ceux qui pensent qu’il faut se courber pour ramasser. On n’évoquera pas ici les gesticulations hypocrites des responsables stipendiés de Noyan Tapan, un hebdo fait en Arménie et dont Yézéguélian assure les frais de parution en France.

Mais que dire de l’attitude de Nor Haratch, piètre successeur de son vénérable modèle, qui s’est piqué de traiter de ce conflit dans des articles faisant le jeux de Yézégélian et ce tout en publiant en parallèle ses annonces publicitaires. Quel que soit le jugement qu’on peut porter sur ce coup de pied de l’âne à l’égard de Nouvelles d’Arménie, l’absence d’éthique dont fait montre ce journal en arménien laisse sans voix, quand bien même ne faudrait-il l’imputer qu’à l’inexpérience de son rédacteur en chef…

Mais le mal est hélas plus profond. Il témoigne d’une lente dérive vers la diaspora des turpitudes les plus détestables du pouvoir de l’argent dont on mesure avec effroi les ravages en Arménie. En France la vie communautaire arménienne a connu bien des divisions et des polémiques. Mais du moins jusqu’à il y a peu, les lignes de partage se dessinaient-elles autour des convictions. On pouvait s’affronter, parfois stérilement, mais c’était toujours au nom d’idéaux. Les activités pouvaient être financées par des mécènes, mais ce sont eux qui se mettaient au service des associations et non le contraire. Ce code moral a-t-il vécu ?

Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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