Lorsque les forces armées géorgiennes ont retrouvé Mirian Bezhitadze, il a trouvé Dieu.
Ce n’est pas que Mirian Bezhitadze soit religieux. Comme des milliers d’autres appelés de son âge, le jeune homme de 21 ans invoque la religion pour éviter le service militaire obligatoire.
Mirian Bezhitadze a utilisé une faille dans la loi sur la conscription en s’inscrivant en tant que prêtre à l’Eglise de la liberté biblique, une organisation autoproclamée «chrétienne-évangélique-protestante» fondée en 2017.
Pour être ordonné, il faut se présenter à une réunion avec une carte d’identité et 50 laris (18,50 $).
Jusqu’à présent, l’église dit qu’environ 20 000 jeunes ont reçu des documents les classant comme prêtres, leur permettant ainsi de reporter le service militaire dans ce petit voisin russe sur la rive orientale de la mer Noire.
« Je suis contre les violences subies par les jeunes géorgiens par l’Etat », a déclaré Mirian Bezhitadze à RFE / RL. « C’est une forme de violence quand on force une personne à perdre un an de sa vie au service de quelques idées abstraites. C’est recouverte de motifs patriotiques, mais c’est vraiment une forme de travail forcé parce que ces personnes sont utilisées simplement en tant que travailleurs non rémunérés. »
Relique soviétique
La conscription en Géorgie, où tous les hommes âgés de 18 à 27 ans sont soumis à un séjour obligatoire de 12 mois dans l’armée, a longtemps été considérée comme un vestige de l’époque soviétique.
Depuis qu’il a recouvré son indépendance au début des années 90, le pays a basculé dans la conscription alors qu’il s’organise pour créer une armée entièrement professionnelle.
L’armée géorgienne a été plongée dans un état d’alerte permanent après que la région séparatiste d’Abkhazie, soutenue par la Russie, ait proclamé son indépendance au début des années 90 dans un conflit opposant les forces séparatistes et géorgiennes.
Après les cinq jours de guerre entre la Géorgie et la Russie en août 2008, Moscou a reconnu l’indépendance de l’Abkhazie et une autre région géorgienne séparatiste, l’Ossétie du Sud.
La Géorgie et l’écrasante majorité de la communauté internationale considèrent les deux régions comme des territoires occupés par la Russie.
L’armée géorgienne compte environ 26 000 hommes et femmes, selon le Jane’s Information Group, environ 1 / 40e de la taille de la Russie.
Selon Mirian Bezhitadze et d’autres, avec un salaire d’environ 75 laris par mois, les quelque 6 000 conscrits recrutés chaque année sont autant une source de main-d’œuvre peu coûteuse pour l’État qu’une force militaire.
Obligations chrétiennes
En effet, l’Église de la liberté biblique elle-même a été fondée sur des considérations d’opportunité politique et non sur des motifs religieux.
Le parti politique libertaire Girchi a créé l’église en 2017 dans le but d’aider les jeunes Géorgiens à éviter le service militaire.
Il utilise la loi sur le service militaire, qui stipule que les prêtres et ceux qui étudient dans des écoles religieuses ont le droit de demander une exemption du service obligatoire. L’évêque de l’église, Acho Khachidze, a déclaré que sa foi l’obligeait à apporter plus de liberté au peuple.
« Je considère comme notre devoir chrétien de lutter contre un système conçu pour opprimer une personne et l’emmener là où il ne veut pas être emmené », dit-il. « Nous pensons que le service militaire obligatoire devrait être aboli et que le pays devrait passer au système des contrats, où les soldats sont des personnes qui veulent être des soldats et qui sont traitées comme des professionnels. »
L’Église orthodoxe occupe une place prépondérante dans presque tous les débats en Géorgie et la conscription n’est pas différente. La plupart des 5 millions d’habitants de la nation du Caucase du Sud se considèrent comme des chrétiens orthodoxes, et le patriarche Ilia II, âgé de 85 ans, impose un respect généralisé.
Insatisfaits de la décision de Girchi, les législateurs du parti au pouvoir ont proposé en mars un amendement à la loi qui limiterait les exemptions du service militaire aux prêtres chrétiens orthodoxes.
Irakli Sesiashvili, l’initiateur de cet effort, a déclaré que le diable était dans les détails: selon lui, cinq musulmans, 165 témoins de Jéhovah, 50 chrétiens orthodoxes et 6 908 adeptes de l’Église de la Liberté biblique utilisent la loi pour fuir le service.
Dans une rare réprimande de la domination de l’Eglise orthodoxe, l’initiative fut immédiatement contestée par plusieurs organisations religieuses. « Nous ne pouvons pas avoir une organisation religieuse supérieure à une autre », a déclaré Tariel Nakaidze, président de l’Union des musulmans géorgiens.
« Notre communauté musulmane n’a jamais hésité à faire son service militaire, mais le point essentiel réside dans l’approche adoptée par le parlement à l’égard de ses citoyens. Nous, citoyens, devons protéger la démocratie, la laïcité et l’égalité dans ce pays. »
La réaction a été suffisamment forte pour que son auteur ait suspendu la proposition, du moins pour le moment.
Sesiashvili, le président de la commission de la défense, a déclaré que l’initiative n’était pas morte et qu’il poursuivrait les consultations avec les partis politiques pour voir ce qui pouvait être fait.
Pendant ce temps, l’Église orthodoxe géorgienne prend des mesures pour lutter contre la montée de l’Église de la liberté biblique.
Il a créé une nouvelle organisation religieuse, la Communauté des chrétiens orthodoxes dans les catacombes, « pour sauver la jeunesse géorgienne du culte Girchi », a déclaré Giorgi Andriadze, qui entretient de bonnes relations avec l’église orthodoxe officielle.
« Les jeunes orthodoxes n’ont pas d’autre moyen et sont forcés d’adhérer à ce culte charlatan et inexistant créé par Girchi », dit-il.
« Nous avons maintenant une chance de renvoyer ces personnes dans la véritable église orthodoxe. Ces jeunes disent qu’ils ont été forcés de devenir membres de l’église de Girchi pour éviter le service et qu’ils préféreraient devenir membres d’une organisation orthodoxe », ajoute-t-il.
Radio Free Europe/Radio Liberty
