La belle jeunesse d’Arménie

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« C’est une révolution ? Non, sire, ce n’est pas une révolution, c’est une révolte. » Ce pastiche à propositions inversées du célèbre dialogue entre La Rochefoucault et le roi Louis XVI à propos de la prise de la Bastille pourrait bien définir le mouvement « Halte au pillage » qui, depuis une semaine, mobilise les jeunes, occupe la rue, et fait passer de mauvaises nuits à nos dirigeants. Cette nébuleuse née de la société civile, sans leaders, sans lien avec les partis traditionnels est en train de bouleverser la donne politique en Arménie, en affirmant la présence d’une tierce partie entre le pouvoir et l’opposition classique : le peuple. Et surtout les jeunes. Grands absents de la vie politique, taillables et corvéables à merci, en particulier à travers la conscription, ces 18-25 ans sur qui la patrie compte pour défendre les frontières, font soudain valoir leur droit à la parole. Ils s’invitent dans le débat en passant par la « rue »,  puisque c’est le seul endroit à disposition pour s’exprimer, à l’exception bien sûr des réseaux sociaux où ils s’exercent à la modernité.

Ainsi cette belle jeunesse d’Arménie offre aujourd’hui une magnifique leçon politique à l’ensemble de la nation. Tout d’abord par la dignité de sa démarche qui procède d’une nécessaire affirmation de soi, prélude de tout processus de libération. Ensuite par son réalisme. Nos jeunes ne courent pas après des utopies, n’invoquent pas des rêves. Elevés à la dure dans un pays où la guerre frappe à la porte, ils se battent pour des droits sociaux très concrets. L’été dernier, c’était contre l’augmentation des prix du transport. Cette fois-ci, c’est contre la hausse des tarifs de l’électricité. Il ne s’agit pas pour eux de promettre le grand soir ou des lendemains meilleurs. Mais d’améliorer ici et maintenant les conditions de vie, dans le contexte d’hémorragie démographique que l’on connait.  Ils inventent une nouvelle grammaire de mobilisation, plus uniquement cantonné à l’identitaire, et créent un nouvel algorithme sur ce que doit être la citoyenneté pleine et entière dans cet Etat post-soviétique.

Avec eux, pas de Parlement bis, ou de programme alternatif. Nous n’avons pas affaire à des romantiques dont la prétention des objectifs est inversement proportionnelle à la modestie des moyens, mais à des réalistes qui ouvrent le champ des possibles sur des réformes certes modiques, mais atteignables.  Des changements cependant importants, dans la mesure où ils permettent non seulement d’agir positivement sur le quotidien, mais aussi, ce faisant, de conquérir le droit à la parole, de se réapproprier l’Etat, la nation, et de forcer en douceur le passage à la démocratie par l’introduction de l’engagement citoyen. La volonté populaire a été mise à la porte des urnes, du fait des fraudes ? Elle revient par la fenêtre de la rue pour se faire entendre ! C’est ce que nous dit en filigrane « Non au pillage », cette déclinaison arménienne, sans doute, du « podémos » espagnol, du Guézi turc, du mai 68 français. 

En ce sens, cette révolte, galvanisée aussi par des chants et des slogans patriotiques, a des accents de révolution culturelle, porteuse d’une forte charge d’espoirs. Mais également, d’une grande maturité. Jusqu’ici nos jeunes ont réalisé un sans-faute, non seulement en circonscrivant clairement leurs axes de luttes, mais en optant aussi sans ambiguïté pour la non-violence. Nous ne sommes pas le 1er mars 2008. Les manifestants ne vont pas à l’affrontement. Ils ne combattent pas les forces de l’ordre, mais leur opposent une résistance passive, pacifique, rendant plus délicates les tentations de recourir à une répression implacable. 

D’autant que, prodige de la mondialisation et d’Internet, les caméras sont partout et que la planète web suit en direct les événements. Le pouvoir le sait bien, qui est jusqu’à maintenant resté maitre de lui-même dans une gestion relativement modérée de la répression. Canon à eau et interpellations musclées certes, mais pas de libre cours à une brutalité échevelé : pas d’usage des grenades lacrymogènes ou des charges de policiers matraques au poing. Du moins jusqu’au moment où s’écrivent ces lignes.

Le régime a en face de lui les enfants de la patrie, les meilleurs de ses fils. Une jeunesse, belle, fière et intelligente. Et il semblerait bien qu’il n’a pas pour l’instant la volonté de lui déclarer la guerre, tandis que, de son côté, elle ne veut pas non plus lui en donner le prétexte, fixant des limites à ses objectifs et en calibrant ses méthodes de lutte. Il y a dans ce bras de fer, une jolie leçon de sagesse et de vertu politique d’un pays qui fait l’apprentissage de la démocratie, à grand coup de crises sociales et de soubresauts populaires. Comme en Europe.

Ara Toranian

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Author: raffi

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