Le procès de cinq journalistes turcs poursuivis pour avoir critiqué une décision de justice bloquant la tenue d’une conférence sur les Arméniens sous l’empire ottoman s’est tenu mardi dans la confusion à Istanbul.
Dès l’ouverture de l’audience, les avocats de la partie civile, membres de l’association des juristes nationalistes dont la plainte est à l’origine des poursuites, ont réclamé à grands cris l’expulsion d’un « certain nombre d’étrangers » interférant selon eux avec le fonctionnement de la justice turque.
Les avocats de la partie civile désignaient l’eurodéputé écologiste et co-président du comité parlementaire conjoint turco-européen Joost Lagendjik, venu suivre un procès perçu par l’Union européenne comme un test de plus de la volonté d’Ankara de respecter la liberté d’expression.
Puis la partie civile a ensuite copieusement sifflé les avocats de la défense, obligeant le juge à faire intervenir une unité de la police anti-émeute pour constituer un cordon de sécurité et faire évacuer, sous les coups de poing, le juriste nationaliste le plus turbulant de la salle d’audience.
Dés que calme fut revenu, les journalistes ont pu exposer leur point de vue face à l’accusation d’insulte aux tribunaux et de tentative d’influencer la justice pour avoir dénoncé dans leurs colonnes la décision d’une cour interdisant l’organisation à Istanbul, en septembre 2005, d’une conférence sur les Arméniens sous l’empire Ottoman qui devait évoquer pour la première fois depuis la création de la république turque le génocide commis en Anatolie à l’encontre de la population arménienne.
Devant le tribunal Hasan Cemal, éditorialiste du quotidien libéral Milliyet, a déclaré « j’ai écrit en conscience que la volonté d’empêcher la tenue d’une conférence universitaire était une atteinte à la liberté d’expression, à la liberté universitaire et à la démocratie ».
M. Cemal et ses confrères du quotidien libéral Radikal Ismet Berkan, Erol Katircioglu, Haluk Sahin et Murat Belge, risquent de six mois à 10 ans de prison pour leurs prises de position.
La réunion d’universitaires critiques de la version officielle du génocide commis entre 1915 et 1917 avait finalement eu lieu avec un jour de retard, le gouvernement encourageant sa tenue.
Les avocats de la défense ont réclamé l’abandon des poursuites, estimant que les prévenus n’avaient fait qu’exercer leur droit d’expression et que la cour n’était pas habilitée à juger des délits touchant le prestige et le fonctionnement de l’Etat sur la base de plaintes individuelles.
La partie civile a pour sa part exigé un changement de juge, accusant le magistrat en place de « ne pas se comporter impartialement ».
Le juge a ordonné le report de l’audience au 11 avril pour prendre le temps d’examiner ces demandes.
« Il y a un droit à la critique et tout le monde en Turquie devrait être libre de critiquer l’armée ou la justice. Si les cinq sont condamnés il y aura des conséquences pour le processus de négociations avec l’UE », a déclaré à la presse M. Lagendijk à l’issue de l’audience.