Deux ans après la Révolution de la rose, le gouvernement du président géorgien pro-occidental Mikhéïl Saakachvili suscite un désenchantement croissant, sur fond d’abus de pouvoirs, de scandales judiciaires et de grogne sociale.
Cette désillusion se mesure aux manifestations de plus en plus fréquentes dans les rues de Tbilissi. La dernière en date, le 30 mars, a réuni plusieurs milliers de personnes qui ont réclamé la démission de M. Saakachvili.
Cette mobilisation, organisée par plusieurs partis d’opposition et soutenue par l’opinion publique qui réclame justice et emploi, est sans précédent depuis la révolution pacifique qui avait chassé le président Edouard Chevarnadze du pouvoir en novembre 2003.
L’économie de ce pays du Caucase du Sud, autrefois dans l’empire soviétique, est plongée dans une crise profonde depuis la chute de l’URSS et la guerre civile qui a vu deux républiques autonomes, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, déclarer leur indépendance de Tbilissi en 1992.
Et le tournant vers l’Ouest engagé par M. Saakachvili, qui souhaite ancrer la Géorgie à l’UE et l’Otan, tarde à porter ses fruits, après l’euphorie des débuts.
La croissance et les investissements étrangers ont certes connu une accélération notable en 2004, notamment grâce à la construction du gazoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, mais la population, dont la plupart est au chômage ou sous-employée, n’en a globalement pas senti les effets, d’où un sentiment croissant d’injustice sociale.
La principale priorité fixée par M. Saakachvili, à savoir renforcer les pouvoirs de l’Etat pour réintégrer l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie, devait contribuer à consolider l’économie, en la débarrassant du fléau de la contrebande en provenance de ces républiques.
« Mais le temps passe, les territoires n’ont toujours pas été réintégrés, et le gouvernement continue à accaparer le pouvoir » au détriment des pouvoirs législatif et judiciaire, note Ia Antadze, journaliste pour Radio Free Europe à Tbilissi.
La justice est ainsi devenue la cible des pressions du gouvernement. Illustration de cette confusion des pouvoirs, l’assassinat d’un banquier, commandité selon l’opposition par de hauts responsables du ministère de l’Intérieur, a cristallisé la colère de l’opinion.
Sandro Girgvliani, retrouvé mort le 28 janvier dans un cimetière, s’était vivement disputé la veille au soir avec quatre hauts responsables du ministère de l’Intérieur, accompagnés de la femme du ministre Vano Merabichvili.
Sous la pression des médias et de l’opposition, le ministre a annoncé l’arrestation de quatre officiers subalternes du ministère mais écarté la responsabilité des quatre hauts responsables dans l’affaire, alors que l’enquête, conduite par le ministère de l’Intérieur lui-même, a souffert de nombreuses irrégularités.
« C’est un cas symbolique qui prouve que la justice est sélective. Quand certains responsables gouvernementaux sont impliqués dans une affaire criminelle, ils ne sont pas concernés par des sanctions », affirme Ana Dolidze, présidente de l’Association des jeunes avocats géorgiens (AJAG), une ONG très active dans la préparation de la révolution de 2003.
L’indépendance des juges est devenue très réduite. « La situation est pire qu’à l’époque de Chevarnadze. Avant, les juges étaient plus corrompus, maintenant ils ont peur du pouvoir », affirme Ana Dolidze.
Le cas du député d’opposition Valeri Guelachvili, privé vendredi 31 mars de son immunité parlementaire pour avoir dirigé une entreprise – ce qui est illégal en Géorgie – est aussi exemplaire aux yeux de l’opposition.
« Un tiers des députés de la majorité font des affaires, et ils ne sont pas inquiétés (….) Ceux qui font les lois les ignorent quand elles les concernent », dénonce Paata Zakaréichvili, politologue à Tbilissi et membre du Parti Républicain (opposition).