Le Parlement turc a accepté jeudi 21 septembre de suspendre les débats sur le vote d’une loi concernant le fonctionnement des écoles privées après que l’opposition Kémaliste se soit offusqué que la loi permettrait de rouvrir le séminaire orthodoxe grec et changerait la définition légale des minorités en Turquie.
Le parti au pouvoir le parti de la justice et du développement (AKP) a lancé mercredi la discussion de la première partie de la loi, mais devant l’opposition parlementaire du principal parti Kémaliste le parti du Peuple Républicain (CHP) a accepté de suspendre les échanges jusqu’au jeudi avant de renvoyer les débats ultérieurement.
Lors des débats le gouvernement turc a proposé un changement de définition du mot minorité en définissant une école ouvertes aux minorités comme une école fondée par des « citoyens de la Turquie appartenant aux minorités non-Musulmans, » au lieu du précédent projet qui indiquait « ouvert par les minorités grecques, arméniennes et juives. »
La loi avait été également modifiée à la demande du ministère turc des Affaires Etrangères afin de permettre aux étudiants étrangers d’aller dans ces écoles communautaires. En vertu des lois actuellement valides, seuls des enfants qui appartiennent aux minorités en question peuvent aller dans ces écoles. Les fonctionnaires de ministère ont également ajouté que c’était « un geste humanitaire » spécifiquement à destination de la communauté des 40.000 arméniens nouvellement installés en Turquie et dont les enfants ne peuvent pas aller adans les écoles communautaires arméniennes en Turquie parce qu’ils n’ont pas la citoyenneté turque.
Mais le CHP a insisté sur le fait que ces changements signifieraient une révision de la définition du mot minorité tel qu’on le trouve dans le Traité de Lausanne de 1923, un des documents fondamentaux de la République turque. Le CHP a également indiqué que ces changements permettraient de réouvrir le séminaire grec de Heybeliada. L’école, indique le CHP, a été fermée en 1971 en raison du manque d’étudiants, mais la loi permettrait sa ré-ouverture en permettant aux étudiants étrangers d’être présents. « Si des étudiants étrangers sont également admis, le séminaire de Heybeliada sera rouvert avec des étudiants de Grèce ou de Chypre » a indiqué Haluk Koç du CHP.
« La prochaine étape de ceci est l’établissement d’un état orthodoxe théocratique à Istanbul, » a ajouté Orhan Eraslan du CHP pendant les discussions. « Nous avons perdu une guerre ? » a demandé à un autre député, Muharrem Kylyç.
Deniz Baykal président du CHP a conclut « Lausanne est une source de fierté pour la Turquie. Cette loi est une tentative d’ouvrir une brèche dans le Traité de Lausanne, c’est une grande responsabilité politique et historique ».
Un autre texte est plus particulièrement attendu celui sur les fondations religieuses non musulmanes. Il prévoit la restitution des biens immobiliers confisqués aux institutions grecques orthodoxes, arméniennes et juives. Usant du prétexte que les fondations des minorités religieuses n’avaient pas le droit d’acquérir ou de recevoir en donation du patrimoine immobilier, l’État turc s’est approprié des milliers de logements, écoles, hôpitaux ou églises, depuis les années 1930. Lorsque cette jurisprudence ne suffisait pas, les tribunaux recouraient à des astuces. «Par exemple, de nombreux biens avaient été enregistrés sous le nom de saints, comme Saint-Augustin ou Saint-Gabriel, une pratique courante sous l’Empire ottoman pour contourner des difficultés, explique Emre Öktem, spécialiste de droit à l’université Galatasaray. Le plus sérieusement du monde, des tribunaux turcs ont donc constaté la disparition de ces propriétaires et leur absence d’héritiers pour transférer les propriétés au Trésor.»
Réclamé par l’Union européenne, le projet de loi examiné par les parlementaires était en souffrance depuis un an et demi, car il se heurte à une forte opposition des nationalistes.
Pour Baskin Oran, professeur de sciences politiques et auteur d’un rapport accablant sur le droit des minorités en Turquie, cette spoliation systématique «n’est que le dernier maillon de la chaîne du projet de transfert de capital des non musulmans aux musulmans lancé en 1915».
La loi ne touche pas au pouvoir de la Direction générale des fondations (VGM) qui peut toujours dissoudre à sa guise l’une d’entre elles. «Les avancées législatives seront insuffisantes, estime d’ailleurs Diran Bakar, avocat des fondations religieuses arméniennes. «La restitution ne concerne que les immeubles détenus encore par le Trésor ou la direction des fondations. Rien n’est prévu lorsqu’ils ont été revendus à une tierce personne, ce qui est fréquent.» Et cet habitué des rouages de l’administration prédit de nouvelles difficultés après la promulgation de la loi : «La bureaucratie refusera le transfert au propriétaire d’origine et il faudra aller en justice. La mentalité n’a pas évolué.»
Dernier problème de taille, les catholiques et les protestants ne bénéficient pas de ces lois. Exclus du traité de Lausanne de 1923 garantissant la protection des minorités non musulmanes, ces deux communautés n’ont jamais constitué de fondations. Longtemps, ce statut à part les a paradoxalement mises à l’abri. Mais depuis quelques années, l’absence de personnalité juridique les fragilise. La Direction générale des fondations a, par exemple, mis la main sur une église située sur la rive asiatique du Bosphore. La justification : la location d’une partie du terrain à un club sportif détournait le lieu de sa fonction religieuse. Un arrangement amiable a finalement été trouvé à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg. L’État garde la propriété de l’église, l’institution catholique ne dispose plus que de l’usufruit. Mais six ans après cette décision, ce droit d’usage n’est toujours pas entériné.
Agacé par l’absence de progrès dans le domaine des libertés religieuses en Turquie depuis 2004, Bruxelles a promis un sévère avertissement dans son rapport annuel, qui sera rendu public par le commissaire à l’Élargissement Olli Rehn, le 8 novembre.