Le débat sur le génocide arménien

Se Propager

Le Quotidien du Pharmacien du : 23/10/2006

L’Assemblée nationale a voté en première lecture une proposition de loi socialiste qui réprime le déni du génocide arménien. La Turquie en a conçu une très vive indignation. Le gouvernement français est très embarrassé et s’efforcera probablement de laisser le texte s’étioler au Sénat ou à l’Assemblée en deuxième lecture.

VOILÀ ENCORE une affaire qui traverse les lignes de clivage politique traditionnelles : une partie de la gauche seulement était favorable au texte, pourtant issu des rangs socialistes, et c’est grâce à une partie des députés UMP qu’il a été adopté. La ministre du Commerce extérieur, Christine Lagarde, a aussitôt fait valoir que nous avons en Turquie un débouché de 5 milliards d’euros par an. Le président de la République en est tellement conscient qu’il a téléphoné au Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et lui a promis qu’il «ferait tout» pour empêcher le projet d’aboutir. En même temps, les historiens, dans leur majorité, se sont dressés contre une démarche qu’ils considèrent comme une «mauvaise action», en ce sens qu’elle risque de brider leurs travaux. Pourtant extraordinairement fidèle à ses origines arméniennes, Charles Aznavour a condamné la proposition de loi. Bref, on a le sentiment que la France ne sait plus quoi faire pour se débarrasser du fardeau.

En dehors des pressions exercées par le gouvernement turc, on se demande pourquoi la proposition de loi socialiste serait à ce point saugrenue dès lors qu’il y a eu une majorité à l’Assemblée pour la voter. Le Parlement français a adopté, depuis longtemps, une loi qui reconnaît le génocide arménien. Le révisionnisme et le négationnisme sont sévèrement réprimés depuis l’adoption de la loi Gayssot en juillet 1990. Une loi Lellouche-Barrot de 2002 complète un dispositif qui, certes, est inspiré par la contestation de la Shoah que l’on rencontre dans certains milieux mais peut être appliqué à d’autres génocides. C’est très précisément la raison pour laquelle on peut penser, à l’inverse, qu’il n’était pas utile d’adopter une loi spécifique pour le génocide arménien. Mais les arguments s’entrechoquent : le gouvernement ne veut pas envenimer ses relations avec la Turquie pour des raisons commerciales et politiques ; les historiens manifestent surtout leur inquiétude croissante parce que les députés n’ont pas à leur dire comment ils doivent écrire l’Histoire ; la communauté arménienne de France s’est livrée à un lobbying classique et obtenu une victoire politique.

La démarche française est inséparable de la négociation pour l’adhésion (lointaine) de la Turquie à l’Union européenne : on aurait voulu que les Turcs lâchent prise et se détournent de l’Europe qu’on n’aurait pas fait mieux. Mais le contentieux euro-turc a été alourdi récemment par diverses crispations de la Turquie qui expriment un ralentissement dans les efforts de modernisation de ce pays, partagé entre sa révolution laïque, celle d’Atatürk, et le repli sur la religion que l’on note dans tous les pays musulmans. Il n’est pas indifférent, par exemple, qu’il y ait une polémique sur le voile en Turquie, entre ceux qui veulent en faire un impératif et ceux qui se réclament de Kemal Atatürk. En dehors du génocide et de sa trace dans l’histoire, il existe donc de très bonnes raisons de ne pas précipiter l’adhésion de la Turquie à l’UE.

Faut-il tout interdire ? Mais la question la plus vaste que soulève la loi adoptée par l’Assemblée porte sur ce qu’il est permis d’interdire. Des historiens sont déjà poursuivis pour leurs ouvrages sur la colonisation ou sur l’esclavage. La France a reconnu les effets dévastateurs de l’esclavage par la loi Taubira du 21 mai 2001. Inversement, une loi a été adoptée, puis abrogée, qui soulignait les effets positifs de la colonisation : en d’autres termes, aux yeux des historiens, la représentation nationale n’est pas là pour faire leur travail ; et il devrait être possible, pour tout chercheur, de signaler des faits susceptibles de nuancer l’idée parfois préconçue que l’on peut se faire, par ignorance, de tout événement historique. N’importe quel thème, de l’esclavage au génocide, conduit à des découvertes sans fin ; dès lors que tout est discutable et perfectible, on ne doit pas figer l’histoire dans un texte législatif, affirment les historiens. Il paraît probable que le nouveau texte sur le génocide arménien ne résistera pas aux arguments des chercheurs et qu’il trouvera une fin rapide dans la navette entre l’Assemblée et le Sénat. A force de revisiter l’histoire, on a fini par dénigrer Napoléon, à tel point que le gouvernement n’a pas osé célébrer le deux centième anniversaire de la victoire d’Austerlitz. Nous allons trop loin. Mais le retour du balancier risque d’être assez brutal pour relancer les travaux négationnistes ou révisionnistes.

RICHARD LISCIA

raffi
Author: raffi

La rédaction vous conseille

A lire aussi

Sous la Présidence d’Honneur de M. Nicolas DARAGON, Maire de Valence, Président de l’Agglomération, Vice-Président de La Région, L’UGAB Valence-Agglomération

Le ministère des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a de nouveau accusé l’Arménie de ne pas avoir fourni de cartes des

Lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale de la semaine prochaine, l’opposition parlementaire, les factions « Hayastan » (Arménie)»

a découvrir

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut