L’Arménie des pierres sacrées

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Le Temps, Suisse 21 octobre 2006

L’histoire de son peuple continue d’occuper l’actualité. Sa diaspora parle de ses beautés loin à la ronde. L’Arménie, petite republique indépendante depuis quinze ans, a au fond d’elle-même, dans sa terre et sur ses promontoires, de la poésie et du mystère. Promenade vers quelques-uns de ses lieux sacrés.

« C’est un bijou. C’est Amberd. » La voiture s’est arretée après 90 minutes de tortueux lacets à flanc de coteaux, sans âme qui vive. Accrocheé et presque chancelante à 2000 mètres d’altitude, la forteresse en ruine se confond en cette fin d’après-midi avec les couleurs automnales. Liana, 30 ans, qui se transforme avec talent en guide quand elle abandonne les couloirs de l’hôpital d’Erevan, connaît par coeur les routes de son pays, l’Arménie. Et elle aime, c’est evident, en faire découvrir les saveurs secrètes. Derrière la forteresse trône une église datée de 1026. La couleur ocre de ses robustes pierres volcaniques lui vaut majesté et discretion. C’est un art qui va à l’essentiel pour une région escarpée, sans cesse remodelée par les secousses telluriques et les élans de l’histoire.

Ici, c’est un peu le paradis. Ce paradis que beaucoup, a l’image de Diderot, ont soupconné niche dans cette contrée caucasienne. Nous sommes à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest de la capitale. Les bâtiments qui s’entassent à la sortie de la ville, reliques de décennies de construction communiste, sont oubliés. C’est la campagne, les rangées de vigne, d’arbres fruitiers – les abricots ont un diamètre et une saveur jalouses. Les canyons cisaillent la plaine en contrebas. Ils suggèrent le tiraillement des conflits mais aussi la force de l’histoire et du mythe. Cette minuscule republique – 30000 kilomètres carres qui en font la plus petite de l’ex-URSS – fête cet automne le quinzième anniversaire de son indépendance. A la croisée de l’Europe et de l’Asie, compressée entre la Turquie, l’Azerbaïdjan, la Géorgie et l’Iran, elle connaît un destin particulièrement mouvementé, celui d’un peuple de l’exil avec 3000 ans de frontières élastiques et l’irrémediable plaie d’un génocide.

Aujourd’hui, la majorité de ses activités se concentre dans la capitale, Erevan, où reside un tiers de la population (l’Arménie à 3 millions d’habitants). Le quotidien reste précaire mais les gens rencontrés veulent effacer les années de misère – éclairage a la bougie et, souvent, pas d’eau courante – qui ont suivi l’indépendance. Loin des villes parfois ravagées par les temps, le pays se lit comme une pléiade de végétations et de panoramas disparates.

Effluves de mystère. Diana a profité de cette digression mentale pour sortir les provisions. Elle raconte: « Amberd reste un lieu rarement visité, excepté par ceux qui savent! Pourtant, on voit le mont Ararat depuis ce promontoire comme de nulle part ailleurs. » Le mythique volcan, berceau de Noé et de son Arche, triomphe a l’horizon… sur territoire turc. L’Arménie fut le premier Etat à se proclamer chrétien vers 300 après Jésus-Christ. Des centaines d’églises – joyaux de la culture nationale – jalonnent son territoire, rescapées des conflits et des mouvements d’humeur de la terre.

Souvent datees du Xe ou du XIe siècle, periode de renaissance de l’architecture nationale, elles habitent l’espace sans jamais le dominer, ne dépassant pas 40 mètres. Mais il fait deja tard. Et l’eglise d’Amberd dilue sa silhouette dans la pénombre. Liana sait que cette première escapade a suffi pour conquerir la voyageuse, pourtant prévenue par les bouquins qu’elle avait emportés dans sa valise. Les Armeniens developpent des stratagèmes de charme pour persuader tout nouveau venu de renouveler sa visite. En attendant cette prochaine fois, voici trois itinéraires de pierres.

Vers le monastère de Khor Virap, face au mont Ararat (5165 mètres)

Ce matin, la brume voile le mont Ararat, recouvert de neige toute l’année. Comme souvent le dimanche, certains habitants de la capitale s’évadent – beaucoup à bord d’une Lada – vers leur datcha de campagne. La halte à Khor Virap s’impose. Le monastère est imprégné de la présence de Grégoire l’Illuminateur. La file d’attente est longue pour acceder au puits où il aurait été plongé au début du IVe siècle durant treize ans avant d’etre ressorti par le roi Tridate III, rongé par la maladie et pris de rédemption. Liana raconte: « Saint Gregoire a guéri le roi, qui s’est ensuite converti au christianisme. Aujourd’hui, la fosse est devenue un lieu de pèlerinage. » Dans le monastère, les gamins sont les plus prompts à y descendre. Dehors, des hommes s’affairent autour du mouton qui sera sacrifie, culte païen, avec en arrière-fond les barbelés et les miradors de la frontière turque.

Vers le monastère de Sanahin, près de la frontière georgienne

La guide Rima, étudiante à l’université, promet un kaleidoscope de paysages. Le périple en bus – trois heures – garantit la musculation des fesses. Le col de Spitak, à 2378 mètres, donne accès a un plateau jaune et vierge – hormis les cultures de choux – où resident des communautes kurdes. Les courbes de la montagne sont d’une éclatante pureté. Le cinéphile replonge dans Vodka Lemon, le globe-trotter se souvient de son escapade en Mongolie. Rima avait raison: le paysage se métamorphose à vive allure. La péllicule défile jusqu’a Sanahin. Elevé sur l’un des énormes plateaux qui surplombent la rivière Debed et son canyon, ce village est un havre. Jadis siège d’un scriptorium ouvert aux copistes, le monastère est une mine de « khatchkar », ces croix de pierre taillées selon les ressentiments. Chacune est unique. « Ici, rien ne naît de la répétition. »

Vers le monastère de Gochavank, aux portes de la « Suisse armenienne »

Les cochons grouinent et rôdent autour des promeneurs qui s’aventurent dans les déales de la forêt. Dans cette région du nord-est, souvent qualifiée d' »Arménie heureuse » ou de « Suisse arménienne », la verdure est reine. Il y a les pâturages, les hêtres, les bouleaux puis les sapins d’altitude. Zohrabyan est un guide specialise dans les balades culturelles. Il a fondé sa propre entreprise car son métier d’ingenieur ne lui permet pas de vivre. Tous les jours ou presque, il s’aventure, sac au dos, suivi d’une dizaine de curieux, pour des excursions qu’il agrémente, flûtiste improvisé, d’un intermède musical. « Tu connais Charles Aznavour; ici c’est un héros. » Parti ce matin du lac Parz Lich, il a mené ses clients vers Goch et son monastère baptisé du nom de son fondateur, l’érudit Mkhitar Goch, en 1213. L’ensemble très ramassé, comme accroché à la paroi, accueille l’église principale, une bibliothèque et une chapelle. Flotte le parfum du thé au thym en préparation sur la terrasse voisine. Zohrabyan: « Admirez les soubassements de l’église pensés en fonction des menaces de séisme. » Les réveurs sont toujours perdus. Ils contemplent le « khatchkar », oeuvre fine et dentelée qui orne la porte. « Le plus beau d’Arménie », souffle le préparateur du thé.

Conseils et précisions pratiques

Par Anne Fournier

– Pour s’y rendre

Il n’existe pas de vol direct pour Erevan depuis la Suisse. Liaisons possibles au depart de Genève et de Zurich avec notamment Austrian Airlines, Air France ou Czech Airlines.

– Monnaie

Depuis 1993, l’Armenie a quitte la zone rouble et s’est dotee de sa propre monnaie nationale, le dram (305 drams = 1 franc) dont le cours a fortement chute depuis le début de l’année. Mais le dollar est roi.

– Langue

L’arménien, langue indo-européenne, est agréable à l’oreille mais decourageant pour le débutant. Tout le monde parle le russe, dont l’enseignement était obligatoire durant la période soviétique. L’anglais permet de se faire comprendre aisement.

– Pour loger

La découverte de l’Arménie peut aisement se faire avec un pied-à-terre à Erevan. Plusieurs agences proposent ensuite des tours d’une journee dans le pays. Seule la République du Haut-Karabakh, à l’est, nécessite une halte à l’hôtel. Dans la capitale, de nombreux hôtels, aussi de luxe, sont à disposition, parmi lesquels le Congress Hotel (3*** dès 120 francs près de la place de la Republique) ou, pour les petits budgets, l’Envoy Hostel, un hôtel d’un nouveau genre pour l’Arménie, qui propose des dortoirs et des chambres doubles (de 20 a 60 francs près de l’Opéra).

– Où boire un verre à Erevan

Les incontournables cafés au centre-ville, surtout dans les jardins de l’Opéra avec d’immenses terrasses lors des beaux jours. Le Cafe Mate, près de la Cascade, pour ses excellents thés et pâtisseries, le Artbridge Cafe qui fait aussi office de librairie sur la rue Abovian ou le Paplavok et ses concerts de jazz en soiree. Sans oublier de goûter au brandy.

– Où manger

La rue Prochian offre une multitude de restaurants de khorovats et de kebabs. A recommander: la Taverne Caucase (rue Hanrapetutyan) pour ses spécialités arméniennes et géorgiennes.

– A écouter avant de partir

L’Armenian Navy Band pour baigner dans une atmosphère de jazz et de musique traditionnelle. Un delice!

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Author: raffi

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