L’attribution du prix Nobel de littérature à l’écrivain turc Orhan Pamuk a suscité des réactions contrastées dans son pays, où il est considéré avec fierté pour avoir porté haut les couleurs de la littérature turque, mais aussi perçu comme un traître par les nationalistes pour ses propos évoquant le génocide arménien.
En voyage à l’étranger, le ministre de la Culture Atilla Koc s’est déclaré « ravi », selon un de ses collaborateurs.
« Je suis très heureux et je le félicite », a déclaré le sous-secrétaire d’Etat à la Culture Mustafa Isen sur la chaîne d’information NTV. La récompense « va aussi attirer l’attention internationale sur la littérature turque et sur d’autres auteurs turcs », a-t-il ajouté. Interrogé sur le degré de sincérité de la satisfaction gouvernementale, M. Isen a répondu: « Je ne suis concerné que par Pamuk le romancier. Ses autres actions ne m’intéressent pas. Je pense qu’il est un bon romancier et je pense qu’il a été récompensé pour ses romans ».
Le ministère des Affaires étrangères s’est de son côté fendu d’un communiqué saluant le lauréat: « Pendant des années, notre opinion a espéré voir un écrivain turc récompensé par le prix Nobel de littérature », souligne le texte.
« Nous félicitons notre écrivain, qui a reçu divers prix en Turquie et à l’étranger et dont les oeuvres incluent des thèmes puisés dans l’histoire de la Turquie, et nous lui souhaitons un succès durable dans sa vie littéraire. »
« Nous félicitons l’écrivain Orhan Pamuk (…) pour avoir gagné le prix Nobel et lui souhaitons d’autres succès littéraires », a pour sa part indiqué le ministère des Affaires étrangères. « En fait, le public turc attendait depuis longtemps qu’un écrivain turc soit reconnu digne du prix Nobel de littérature ».
La grande famille des écrivains, poètes et éditeurs a été parmi les premiers à se réjouir.
Le romancier Adalet Agaoglu a évoqué un « moment historique », estimant que « l’attention va maintenant se porter sur les écrivains turcs ».
Le poète Refik Durbas a de son côté espéré que le prix aiderait « la riche littérature de la Turquie » à s’exporter à l’étranger.
« Nous sommes fiers que le Nobel, un des prix les plus importants en littérature, soit attribué à un Turc », a souligné Cetin Tuzuner, qui dirige le syndicat des écrivains. « Pamuk sera une locomotive: il ouvrira la voie à d’autres écrivains (turcs).
Ahmet Insel, universitaire de premier plan et éditeur à la maison d’édition Iletisim, qui publie en Turquie les oeuvres de Pamuk, a jugé que la récompense était méritée. « Nous sommes très heureux. Pamuk est un important représentant du roman moderne dans le monde », a-t-il déclaré sur NTV. « Nous pensons qu’il le mérite pleinement ». « Si on regarde la longue histoire du prix Nobel de littérature, on voit que les auteurs qui ont gagné la récompense ont fait d’importantes déclarations politiques sur le futur de leur pays et du monde », a-t-il déclaré. « Pamuk a gagné la récompense en tant que romancier. C’est un honneur pour la Turquie et pour la littérature turque », a-t-il ajouté.
Metin Celal, le président de l’Union des éditeurs de Turquie, a pour sa part estimé que le succès de Pamuk rendrait la littérature turque plus populaire. « C’est un jour historique. Je pense que cela va jouer un rôle important dans la promotion à la fois de la Turquie et de la littérature car les écrivains à travers le monde vont à présent faire preuve de curiosité à l’égard de la littérature qui a créé Pamuk », a-t-il commenté sur la chaîne CNN-Türk.
Une opinion partagée par la romancière turque Buket Uzuner. « Je suis fière que l’un de mes contemporains ait gagné le prix », s’est-elle réjouie. « Il est ironique que Pamuk ait reçu le prix le jour même du vote à l’Assemblée nationale française. Mais ce qui compte, c’est qu’il est un bon romancier ».
« C’est une très bonne nouvelle que la littérature turque ait reçu un prix Nobel », a également commenté Zulfu Livaneli, écrivain, compositeur, chanteur, député et ami d’Orhan Pamuk. « Nous ne devons pas évaluer ceci au vu de l’atmosphère politique actuelle mais adopter une perspective à long terme. Cela va démontrer qu’il existe quelque chose comme une littérature turque ».
Mais les nationalistes, qui considèrent Pamuk comme un traître pour ses propos sur les massacres d’Arméniens au début du siècle dernier dans l’Empire ottoman, estiment qu’il a été récompensé pour avoir, selon eux, vilipendé les Turcs.
Pamuk a été récemment poursuivi pour « insulte à l’identité turque » parce qu’il avait déclaré que la Turquie rechignait à faire face à deux épisode douloureux de son histoire: le génocide arménien en 1915-17 et les affrontements plus récents avec les rebelles kurdes dans le sud-est anatolien.
En janvier, sous la pression internationale, la justice turque avait décidé d’abandonner les poursuites, mettant fin à un procès qui avait scandalisé les observateurs occidentaux et soulevé des doutes sur l’engagement d’Ankara en faveur de la liberté d’expression.
« Le prix n’est pas une surprise, nous nous y attendions », a déclaré Kemal Kerincsiz, avocat nationaliste, qui a contribué aux poursuites contre l’auteur. « Ce prix n’a pas été donné pour ses livres, mais pour ses affirmations sur le génocide arménien (…) parce qu’il a méprisé nos valeurs nationales, pour sa reconnaissance du génocide. »
« Croyez-moi, le prochain prix sera décerné à Elif Shafak », a-t-il ajouté en référence à une autre romancière turque récemment acquittée, qui était poursuivie pour les mêmes motifs que Pamuk.
L’éminent poète turc Ozdemir Ince pense de même. « Si vous demandez aux connaisseurs de la littérature, ils vous diront que Pamuk arrive à la fin de leur liste », affirme-t-il. « Demain, les titres de la presse internationale seront: Orhan Pamuk, qui accepte le ‘génocide arménien’, a gagné le prix Nobel. »
Mehmet Dulger, président de la commission des affaires étrangères du Parlement turc, a affirmé que « ce que Pamuk a dit sur les Arméniens est faux ».
En revanche, en Arménie, les écrivains se sont félicités du choix du comité Nobel, saluant la position de Pamuk sur l’épisode du génocide. « C’est une leçon pour ces Turcs qui voulaient le juger et une victoire pour la démocratie en Turquie », selon le dramaturge Perch Zeituntsian.
Le président du syndicat des écrivains d’Arménie, David Muradian, a estimé que la décision de décerner le Nobel à Pamuk était un message fort. « C’est à la fois un prix de littérature et de moralité. »
