James Bond lui pique sa femme, son Aston Martin, puis le poignarde. Abkarian en sourit encore.
L’exercice, financièrement, a sans doute été profitable.
Artistiquement, surprenant. Car de la troupe d’Ariane Mnouchkine au méchant de service dans « 007 », il y a un gouffre pour ce formidable acteur apprécié pour sa présence dans des productions excellentes (« Les mauvais joueurs ») mais plus confidentielles. C’est un directeur de casting français qui, au vu de son rôle de gangster dans « Ni pour ni contre » de Klapisch, l’a signalé à Debbie Reynolds, la responsable du casting de « Casino Royale ». Il doit aussi son engagement à un anglais très fluent, qui lui permet ces jours-ci de diriger à Los Angeles « Peines d’amour perdues », avec la compagnie de Tim Robbins.
En 1983, il était déjà à L.A., où il a découvert le théâtre dans une troupe arménienne : « Mnouchkine est venue en tournée, j’ai fait un stage avec elle, avant de travailler huit ans à ses côtés. » Après 1992, il forme sa troupe avec des anciens du Soleil, met en scène Shakespeare, retraduisant « Titus Andronicus », pièce sur la barbarie, que cet Arménien grandi sous les bombes à Beyrouth a relue à la lumière de l’actualité.
L’Arménie, le sujet lui tient à coeur : ses grands-parents ont fui l’Anatolie en 1915. Depuis 2000, il est de tous les films sur ce pays. Le dernier en date, « Voyage en Arménie » de Guédigian, dans lequel il campe un trafiquant : « Je me moque de jouer un méchant s’il est le réflecteur du monde où on vit. » Lucidité : le maître mot d’un acteur qui fut du voyage de Chirac en Arménie, « pour observer », et qui fustige Jack Lang prônant de laisser faire les historiens turcs et arméniens : « Depuis quatre-vingt-dix ans, les historiens turcs effacent les traces de la mémoire arménienne. » Et Abkarian d’évoquer le trop naïf Shylock, son rôle le plus marquant : « Il ne faut pas être honnête avec les malhonnêtes. » Abkarian est plus bavard sur Shakespeare que sur James Bond : qui s’en plaindra ?
le point 23/11/06 – N°1784 – Page 104 – 666 mots
