Un disque à Cuba, un joli panama… A 82 ans, le grand Charles aurait-il succombé au syndrome Salvador ? Oui et non. S’il a lui aussi choisi de colorer sa musique de rythmes latinos (avec l’aide de Chucho Valdés, pianiste d’exception), son verbe incisif n’a pas pour autant fondu au soleil, et son regard sur les hommes ne s’est pas ramolli dans la langueur des tropiques. Malgré son chapeau tout neuf et son exotisme musical, l’Aznavour d’aujourd’hui serait même plus engagé que jamais : c’est le chanteur écolo, par exemple, qui s’affole ici de l’asphyxie de la planète et de l’inconséquence de nos sociétés ultra-consommatrices. L’Aznavour échaudé et un brin macho, qui dresse un inventaire pas toujours tendre des femmes. L’Aznavour Aznavourian, qui chante l’Arménie de ses parents. Plus étonnant : l’Aznavour fils d’immigré, qui se glisse avec habileté dans la peau d’un gamin des cités. Souvent, la poésie s’efface devant la clarté du discours. Et puisque le temps passe et que le souffle se fait plus court qu’hier, le chanteur ose un texte testamentaire, où l’autocélébration se teinte d’ironie. Sous ses airs frondeurs, Aznavour pourrait bien encore cacher ses douleurs. C’est là que la musique cubaine fait des merveilles, car elle est passée reine dans l’art d’apaiser et de revigorer. Idéale pour chanter la lucidité.
Valérie Lehoux
1 CD Odéon.
Télérama n° 2980 – 24 Février 2007
