Christophe Lamfalussy
Inquiète de l’essor kurde à Kirkouk, la Turquie se rapproche de l’Iran et fait pression sur Washington.
Cette semaine, le chef de l’armée turque est aux USA.
éclairage
Les Kurdes d’Irak n’auront peut-être jamais pour capitale Kirkouk, la riche ville pétrolière au nord de l’Irak. Mais ils auront au moins réussi à rapprocher deux frères ennemis – la Turquie et l’Iran.
La semaine dernière, le ministre turc des Affaires étrangères Abdullah Gül a fait cet aveu au mensuel publié par son parti de la Justice et du Développement (AKP). Les temps sont révolus, a-t-il dit, où l’Iran était accusée par Ankara de vouloir exporter son régime islamique vers la Turquie. « De plus en plus d’Iraniens visitent notre pays. Les contacts bilatéraux sont au plus haut », s’est félicité Abdullah Gül.
Les deux pays se retrouvent sur un dossier vital : la crainte de voir les Kurdes irakiens obtenir plus d’autonomie dans un Irak plongé dans le chaos, consolider leur développement autour des gisements pétroliers de Kirkouk, encourager l’autonomie des minorités kurdes en Iran et ailleurs, et servir de base arrière à la guérilla du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), dont le leader Abdullah Ocalan est emprisonné à vie dans une prison turque.
L’armée turque n’a pas cessé de chasser les rebelles kurdes depuis vingt ans dans une guerre meurtrière qui a fait 40000 morts, et ceux-ci sont désormais repliés dans le nord de l’Irak, respectant une fragile trêve.
Or un référendum sur le sort de la ville doit être tenu d’ici la fin de l’année à Kirkouk, et les tensions locales montent à cette occasion. Les Arabes et les Turkmènes reprochent aux Kurdes d’avoir rapatrié les leurs pour emporter le scrutin et doter la ville d’une grande autonomie par rapport à Bagdad. Selon les experts, Ankara n’acceptera pas longtemps que les Turkmènes – majoritaires à Kirkouk durant l’Empire ottoman – soient totalement marginalisés.
Visite à Washington
Sur les pas d’Abdullah Gül, le chef d’état-major de l’armée turque Yasar Buyukanit rend à son tour visite cette semaine à Washington. Le niveau de ses interlocuteurs – le vice-président Dick Cheney, rencontré mercredi, et le général Peter Pace, le principal conseiller militaire du président Bush – indique l’importance de cette visite entièrement consacrée à l’Irak. La semaine dernière, Gül a pu parler en tête-à-tête avec Condoleezza Rice. A l’issue de l’entretien, le Département d’Etat américain a clairement appelé la Turquie « à ne pas recourir à plus de violence » et promis de s’occuper de près de cette affaire en rappelant son attachement à l’intégrité territoriale de la Turquie et de l’Irak.
Impatience turque
Le général à la retraite Joseph Ralston a été désigné par le Pentagone pour gérer le dossier kurde irakien avec un homologue turc. Mais Ankara s’impatiente et fait savoir depuis plusieurs semaines qu’à défaut d’une intervention musclée des forces américaines contre les camps du PKK en Irak et d’une action résolue pour tarir le financement de groupes considérés comme terroristes aux Etats-Unis et dans l’UE, la Turquie réglera le problème à sa façon.
« Les Américains ne laisseront pas les Turcs entrer en Irak », pronostique un diplomate belge. « Mais on peut s’attendre à un accord pour attaquer ou repousser les bases du PKK ».
Dans un tel cas, les mouvements radicaux kurdes de Turquie se trouveront pris entre le marteau et l’enclume : rejetés d’Irak et de Turquie, de plus en plus inquiétés par les forces de police en France et en Allemagne, leur terre d’accueil.
Près de 20000 Kurdes ont manifesté samedi à Strasbourg pour inviter l’UE « à chercher une solution démocratique à la question kurde au lieu de terroriser les Kurdes au Kurdistan et en Europe ».