Le mur entrouvert de Chypre

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Le Figaro (France), lundi 12 mars 2007

De notre envoyée spéciale à Nicosie Laure Marchand

L’ouverture d’un point de passage, dans la dernière capitale divisée du monde, n’est qu’un petit pas, qui ne suffira pas à rapprocher les Chypriotes grecs et turcs.

Ce fut la promenade du week-end à Nicosie, un défilé ininterrompu de vieillards clopinant avec leur canne, d’adolescentes à l’allure nonchalante et un cornet de glace à la main, de familles avec des poussettes. Les Chypriotes ont remonté la rue Ledra pour constater de leurs propres yeux les effets des bulldozers et marteaux-piqueurs entrés en action dans la nuit de jeudi à vendredi au bout de la rue, une palissade en plastique montée sur des parpaings remplaçant le mur qui séparait les parties chypriotes grecque et turque de la ville. Dans sa cahute, un jeune soldat monte la garde, impassible face aux centaines d’objectifs qui immortalisent la scène.

Avec cette démolition, Tassos Papadopoulos, le président de Chypre, a donné une réponse au démantèlement d’une passerelle de l’armée turque de l’autre côté de la zone tampon de l’ONU au mois de janvier dernier. La Commission européenne, qui reproche au chef d’Etat chypriote de bloquer toute avancée dans le règlement du conflit depuis que l’île a rejoint l’UE, le pressait de faire un geste de bonne volonté. Mais si tout le monde l’espère, personne ne croit à une ouverture rapide de la rue Ledra qui traverse le coeur de Nicosie, dernière capitale divisée au monde.

La destruction du mur est perçue au mieux comme un « petit pas » susceptible de favoriser la reprise des négociations entre le Nord et le Sud, au pire comme une manoeuvre politique sans lendemain des Chypriotes grecs. Chacun renvoie la balle dans le camp de l’adversaire, par-dessus le mur, comme s’il s’agissait d’un filet sur un terrain de tennis. Les ouvertures successives de cinq postes frontières sur la Ligne verte permettent pourtant déjà de se rendre des deux côtés de l’île depuis 2003.

8 000 Chypriotes turcs la franchissent chaque jour pour aller travailler au Sud. Les Chypriotes grecs passent en sens inverse, souvent pour revoir leur maison abandonnée devant l’avancée de l’armée turque en 1974, ou, raison moins avouable, pour jouer au casino. Mais la réouverture de cette artère commerçante dans la vieille ville de Nicosie représente un symbole particulier : les affrontements entre Chypriotes grecs et turcs y ont été particulièrement sanglants jusqu’à la séparation des deux communautés de part et d’autre de la ligne de cessez-le-feu en 1963.

« Nous avons détruit notre mur, c’est désormais à eux d’agir », assure Mersina Gregoriadou, cachée derrière ses lunettes de soleil. Une centaine de soldats turcs stationnent dans la zone et les autorités chypriotes réclament leur retrait, condition sine qua non, pour ouvrir le passage aux civils. La jeune femme, réceptionniste dans un hôtel, ne s’est rendue que deux fois « dans la zone occupée « Je n’aime pas y aller car je m’y sens comme une étrangère, je suis obligée de montrer mon passeport alors que c’est chez moi.

» À peine cinquante mètre s au-delà de la palissade, derrière les bâtisses délabrées, deux drapeaux, chypriote turc et turc, narguent les Chypriotes grecs. Comme dans un miroir, ils sont le reflet des étendards grec et chypriote hissés de ce côté. Mais pour Charis Trokkoudes, propriétaire d’une galerie d’art en bordure de la zone gardée par les Casques bleus, « ce n’est pas un mur en moins qui va changer la situation.

Rien ne bougera dans l’immédiat. Il faut attendre la fin des élections, et il y en a dans tous les pays engagés dans ce conflit ». En 2007 en Turquie et en 2008 à Chypre.

Ce statu quo pèse également sur le moral des Chypriotes turcs. « Q uand la mariée ne sait pas danser, elle dit que la piste est trop petite », compare Tarek Sahin pour dénoncer la mauvaise volonté politique des deux bords. Dans sa bijouterie toute proche du point de passage fréquentée par une fidèle clientèle chypriote grecque, ce commerçant turc estime qu’il faut « retourner autour de la table des négociations pour trouver un terrain d’entente, comme lorsqu’un client et un vendeur discutent le prix d’un diamant . » Les discussions n’ont pas avancé depuis l’échec de réunification du plan Annan en 2004.

Un accord arrangerait bien Kostas Kostandi, 80 ans, et lui épargnerait le long détour nécessaire pour rendre visite à son vieil ami Dervis, à Nicosie-Nord : « Si je pouvais passer tout droit par la rue Ledra, je le rejoindrais en 5 minutes . » Les deux compères s’échangent des timbres datant de l’Empire ottoman et de l’occupation britannique, bavardent en grec de l’époque ancienne « où les deux communautés s’entendaient ». Pour eux, l’ouverture d’un point de passage supplémentaire ne pourra pas grand-chose pour rapprocher Chypriotes turcs et grecs. Ayant grandi coupée en deux, chacun de son côté, la génération d’après 1974 n’a plus de langue en commun et cet obstacle sera plus difficile à abattre qu’un simple mur de pierres.

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Author: raffi

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