Dans les villages de Chypre

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L »île où la déesse Aphrodite naquit du ressac de la Méditerranée, selon la légende, n’est pas que plages et complexes hôteliers. On peut aussi aller à Chypre pour musarder de village en village, à la recherche, comme l’écrivain britannique Lawrence Durrell dans les années 1950, de « l’écho des moments oubliés » d’une riche histoire.

De l’aéroport de Larnaca, la route en direction de Limassol mène très vite à de magnifiques paysages couverts, au printemps, de tapis de fleurs. Au bout d’une vingtaine de kilomètres, il faut s’arrêter, par exemple, à Tochni, petit village aux venelles étroites lové entre deux collines. Vite repéré, le promeneur acceptera sans crainte l’invitation d’un des habitants, assis devant sa porte, à déguster son café chypriote (fait comme le turc). Ce breuvage a remplacé l’eau de source et la confiture qu’on proposait autrefois à l’étranger en guise de bienvenue.

Envahis depuis l’aube des temps par les Perses, les Egyptiens, les Romains, les Maures, les Francs, les Mamelouks, les Génois, les Vénitiens, les Ottomans et finalement les Anglais puis les Turcs, les villageois chypriotes restent étonnamment accueillants. Ils sont curieux, sans être insistants, d’avoir des nouvelles des continents d’où les touristes arrivent.

A Tochni, ils mènent volontiers le visiteur vers le pont et l’église que sainte Hélène, mère de l’empereur romain Constantin le Grand, fit bâtir au coeur du village en l’an… 327. Un bistrot la surplombe, d’où les vieux messieurs regardent les allées et venues sur son parvis, tout près de l’unique épicerie du village. Goguenards, ils sirotent un café ou jouent aux cartes, et ne demandent qu’à faire connaissance.

Comme les quelque 600 villages d’une île où 70 % de la population vit maintenant en ville, Tochni a subi l’exode rural. Pour y remédier, le gouvernement de Nicosie a lancé, il y a une dizaine d’années, un programme d' »agrotourisme », afin d’encourager la restauration des maisons traditionnelles et de préserver la culture locale.

Dans plusieurs villages, des maisons ou appartements confortables, au mobilier rustique, sont proposés à la location. A Tochni, ils sont pour la plupart gérés par la « taverne » locale, où l’on peut aussi prendre d’excellents repas, goûter aux spécialités locales ou louer des chambres coquettes. Celles-ci surplombent une petite piscine d’un côté et le village de l’autre, au milieu des bougainvilliers, des mimosas ou des amandiers couverts d’oiseaux chanteurs. D’autres chants s’élèvent du village : la messe dite par le prêtre orthodoxe de l’église de Sainte-Hélène et Saint-Constantin est relayée à l’extérieur par haut-parleurs, le samedi à 18 heures et le dimanche à… 7 h 30. Et tous les jours de la Semaine sainte.

Le muezzin, lui, se tait depuis 1974, date de la division de l’île entre le Nord turc et le Sud chypriote. La mosquée du bourg voisin de Kalavassos, toujours debout, est entretenue mais quasi déserte, de même que les cimetières turcs de ces villages autrefois « mixtes ». Dans chacun d’eux, quelques maisons délabrées sont ouvertes aux quatre vents, comme autant de plaies toujours à vif : les programmes de réhabilitation ne peuvent s’appliquer aux habitations appartenant toujours officiellement aux Chypriotes turcs, qui ont fui vers le nord de l’île aux heures sombres de 1974. Parallèlement, quelque 200 000 Chypriotes grecs du Nord avaient dû trouver refuge au Sud. Où qu’on aille dans la République de Chypre, la conversation évoque à un moment ou à un autre ce conflit, toujours en attente d’un hypothétique règlement sur le fond.

A une centaine de kilomètres plus loin, au coeur de l’île, les collines de vignes et d’oliviers cèdent la place aux chênes, pins d’Alep et cèdres bleus. Le massif du Troodos, « séjour des déesses et des dieux » de l’Antiquité, culmine à 1 951 mètres sur le mont Olympe. Les vallées de ce massif abritent des villages de montagne parmi les plus beaux de Chypre. Ils ont souvent servi de refuge à travers les âges.

Ainsi, entre le XIIe et le XVe siècle, lorsque l’île devint franque et que les Lusignan, comtes du Poitou, commencèrent à construire cathédrales et abbayes, l’hellénisme orthodoxe, opposé à la papauté, se réfugia dans ces hauteurs. Il en reste de superbes chapelles byzantines qui, bien que classées au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1986, sont peu fréquentées au printemps.

A Pedoulas, dans la riante vallée de Marathasa, on doit téléphoner à une voisine, Stella Eythimiou, pour qu’elle ouvre le sésame : la chapelle de l’archange Saint-Michel, entièrement recouverte de fresques au style naïf, est l’une des rares à présenter des scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament.

A Galata, dans la vallée de la Pitsilia où fleurissent citronniers, orangers, pommiers et cerisiers, il faut se mettre en quête d’un autre retraité bénévole, Costas Garcia, au café du centre ou dans le restaurant d’à côté, pour visiter trois églises byzantines étonnantes. Décorées au début du XVIe siècle par le même peintre, Siméon Axenti, elles sont chapeautées d’un toit pentu. Ce dernier descend presque à terre dans l’église Ayios Nikolaos tis Steyis (Saint-Nicolas-des-Toits), dans le village attenant de Kakopetria, qui s’enroule sur un torrent de montagne.

Le massif du Troodos sert traditionnellement de havre aux nantis et aux dignitaires de l’île qui recherchent la fraîcheur en été. Le poète Arthur Rimbaud, avant de gagner l’Egypte et le Yémen, s’était essayé à la maçonnerie à Chypre. Promu chef de chantier, il a supervisé en 1880 la construction de la résidence estivale du gouverneur britannique de l’époque, près du village de Troodos. Une plaque le rappelle près de la bâtisse, devenue domaine présidentiel.

A quelques kilomètres de là, le village de Platres offre d’autres attraits. Station d’altitude préférée des Britanniques sous leur domination (de 1878 à 1960), il conserve plusieurs hôtels à l’architecture coloniale. L’un d’eux, le Forest Park, ancien palace au charme désuet, garde les souvenirs des séjours d’illustres pensionnaires, d’Indira Ghandi au roi Farouk d’Egypte, en passant par la romancière britannique Daphné du Maurier.

Platres, comme les autres villages alentour, est aussi le point de départ de sentiers de randonnée bien fléchés. A chaque détour, la nature généreuse est susceptible d’exhaler, comme au temps de Durrell, « une paix enchanteresse ».

Martine Jacot

Article paru dans l’édition du 16.06.07.

LE MONDE

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Author: raffi

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