Propos recueillis par PIERRE AVRIL.
LE FIGARO
Publié le 29 août 2007
A la veille de son déplacement à Paris, le président de la commission européenne a accordé un entretien à un groupe de journaux européens, dont le Figaro.
LE FIGARO – Le soir de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait annoncé que la France était “de retour en Europe”. Faites vous ce constat aujourd’hui ?
JOSÉ MANUEL BARROSO – Je salue l’engagement européen de Monsieur Sarkozy. Je n’oublierai jamais la célébration du 14 juillet à Paris où les armées des 27 pays européens avaient défilé sur les Champs Elysées, ainsi que cette lecture, par une jeune garçon, d’un texte de Robert Schuman. C’est un geste magnifique. Or, en Europe, les symboles comptent. Nous ne sommes pas forcément d’accord sur tous les sujets, mais je préfère un leader politique qui fasse preuve d’énergie plutôt qu’un dirigeant qui se satisferait d’une Europe routinière et bureaucratique. Nous ne sommes pas jaloux des leaders nationaux qui s’engagent en faveur de la construction européenne. Nous sommes au contraire demandeurs.
Les divergences que vous évoquez ont-elles trait en particulier à la Turquie ?
Je me félicite du fait que le président de la République ne ferme pas complètement les portes à la Turquie, même si son approche reste cohérente avec les engagements qu’il a pris durant sa campagne. De toutes façons la question n’est pas de décider maintenant si la Turquie sera membre ou non de l’Union européenne. Il faut plutôt se souvenir qu’en 2004, les 27 aveint convenu, à l’unanimité, de lancer les négociations avec ce pays. La France fut l’un des pays les plus actifs dans ce processus et je me souviens parfaitement des mots de Jacques Chirac à l’époque. Les alternances politiques qui se produisent dans un état membre ne doivent remettre en cause des décisions prises à l’unanimité. C’est une question de crédibilité. Laissons les discussions se poursuivre. Par ailleurs, nous ne devons pas décevoir les démocrates turcs, que ceux-ci soient islamiques ou laïques.
Ne craignez vous pas une réaction violente du camp laïque après à l’élection à la présidence de la République, d’Abdullah Gül, issu, lui, du parti islamiste ?
Le fait d’avoir de profondes convictions religieuses ne devrait pas être un obstacle à la démocratie. J’espère que le président poursuivra la même ligne que celle empruntée par le gouvernement auquel il avait appartenu (comme ministre des affaires étrangères, NDLR). L’enjeu de l’adhésion de la Turquie à l’Union est de savoir s’il est possible ou non de voir une population très majoritairement musulmane s’engager dans les valeurs d’une société et d’une démocratie moderne.
Etes vous favorable à la création d’un comité des Sages, proposée par le chef de l’Etat, et qui aborderait justement les problèmes d’élargissement ?
L’idée de Monsieur Sarkozy n’est pas d’avoir un débat sur les frontières géographiques de l’Europe, ce que nous ne souhaitons pas : cette discussion conduirait à fixer des limites à l’UE. Mais le fait d’engager un débat sur la finalité politique de l’Europe est une bonne idée, et ne peut que renforcer ceux qui, dans le contexte de la mondialisation, militent en faveur d’une Europe plus puissante. Ce débat avait déjà été lancé lors du sommet britannique de Hampton Court, en octobre 2005. Si les états membres souhaitent une forme plus structurée à ces échanges, c’est bien volontiers. Une contribution extérieure, conduite par exemple par des universitaires, en dehors du champ étroit de la politique, serait positive. En revanche, les décisions démocratiques devront toujours être prises par les institutions.
Ce débat pourrait-il débuter avant la fin de l’année ?
La proposition française est d’abord adressée à la présidence portugaise de l’UE. Pour notre part, nous sommes prêts à travailler en faveur d’une approche globale.
Pensez vous que le nouveau traité pourra être adopté sous présidence portugaise en dépit des turbulences politiques que traverse la Pologne ?
Je rappelle que le Président polonais s’est engagé en faveur du mandat adopté lors du Conseil de juin. Certes, il pourrait y avoir de nouvelles élections législatives en Pologne, mais l’Europe ne peut pas être bloquée pour cette raison. J’espère que le processus d’adoption du traité ne sera pas retardé. La Pologne est l’un des pays qui bénéficie le plus de l’Union européenne. Je m’attends donc à ce qu’il y ait des questions d’ordre technique, mais pas à des obstacles majeurs et les problèmes devraient être réglés relativement rapidement.
De sommet en sommet, les relations entre l’UE et la Russie ont tendance à empirer. Voyez vous un moyen d’apaiser les tensions ?
Nous devons faire le maximum pour avoir les meilleures relations possibles avec la Russie et ne pas s’engager dans une rhétorique verbale. Et le fait que nos relations ne soient pas bonnes ne signifie pas que notre stratégie est mauvaise. Cela peut signifier que ce pays connaît des problèmes internes. Nous devons d’abord rester ferme sur nos valeurs de respect des droits de l’homme. Il est étrange que dans ce pays où les force de sécurité sont si fortes que tant de journalistes soient tués et que les meurtriers ne soient pas arrêtés. La qualité de la relation que nous aurons avec la Russie dépendra de la qualité de la démocratie en Russie. Nous devons conserver cette ligne sur le long terme et ne pas être tenté, dès qu’un problème surgit, de changer de stratégie. J’espère qu’en agissant de la sorte, la Russie sera à son tour en mesure d’avancer. Le président Poutine est le plus européen de tous les leaders des pays tiers que j’ai rencontrés.
Craignez vous que la croissance économique européenne soit affectée par la crise financière de l’été ?
Nous avons constaté une bonne réaction des autorités monétaires. Pour leur part, les marchés disposaient des mécanismes leur permettant de gérer cette crise. Nous sommes très confiants dans les fondamentaux de l’économie européenne. La croissance est équilibrée et saine et devrait se poursuivre.
La BCE doit elle baisser ses taux d’intérêt comme la France l’y invite ?
Je ne résisterai pas au commentaire suivant : plus l’on exerce des pressions sur les banquiers centraux, plus il est probable que ces derniers ne suivront pas vos conseils…