Habituellement très sévères, les eurodéputés testent une nouvelle stratégie envers la Turquie en remplaçant leurs menaces par des encouragements au nouveau gouvernement qui s’est engagé à réformer et accélérer sa marche vers l’UE.
Deux ans exactement après l’ouverture des négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE, les députés de la commission des Affaires étrangères ont approuvé mercredi par 48 voix pour, aucune contre et 4 abstentions, un projet de rapport sur les progrès réalisés par la Turquie beaucoup moins sévère envers Ankara que ceux de 2005 et 2006.
« Cette adoption marque une nouvelle page au Parlement. Toutes les critiques sont là, mais le langage est différent, pour faire en sorte que le dialogue avec la Turquie soit ouvert à nouveau », a expliqué la conservatrice néerlandaise Ria Oomen-Ruijten, rapporteur du texte.
En septembre 2006, les eurodéputés avaient dans leur rapport « déploré le ralentissement du processus de réforme ».
Cette année, le texte se garde de critiquer une année électorale pauvre en avancées, et appelle le nouveau gouvernement turc, doté d’un « mandat fort » lors des législatives de juillet, à « accélérer le processus » de réforme, notamment en matière de liberté d’expression.
Le nouveau gouvernement de Recep Tayyip Erdogan s’est engagé à rapprocher considérablement son pays des normes européennes, indépendamment du processus d’adhésion à l’UE.
Dans ce contexte, « le moment n’est pas venu de faire un inventaire à la Prévert des problèmes de la Turquie, mais de lui envoyer un signal positif », a fait valoir le socialiste autrichien Hannes Swoboda.
Les députés ont également souligné l’importance « géostratégique » de la Turquie, en particulier en matière énergétique.
« C’est une bonne méthode car la Turquie sort d’une crise politique très difficile, crise dont elle est sortie par le haut en réaffirmant le respect de la démocratie. Ce rapport trouve un ton juste d’encouragement », a commenté Jean-Christophe Filori, responsable de la Turquie à la Commission européenne.
« C’est la première fois qu’il y a un débat sur la Turquie sans que cela sente la poudre », s’est félicité de son côté le Chypriote grec Marios Matsakis, avant d’assurer avec enthousiasme, sous l’oeil surpris de ses collègues, que ses compatriotes étaient « pour l’adhésion de la Turquie » à l’UE.
Chypre est pourtant, avec la France et l’Autriche, l’un des Etats membres les plus réticents à une adhésion turque, que personne ne pense possible avant 10 ou 15 ans. La « question chypriote », étroitement liée à la division persistante de l’île depuis 1974, empoisonne les relations UE-Turquie depuis des années.
Les eurodéputés avaient prévenu l’an dernier que le refus persistant d’Ankara de laisser entrer dans ses ports et aéroports les navires et avions chypriotes grecs « pourrait même arrêter » le processus d’adhésion.
Même si sur ce point, aucun progrès n’a été fait, les eurodéputés évitent une menace directe et rappellent simplement que ce problème « continuera à peser lourdement sur le processus de négociation ».
Même le génocide arménien, question sensible dans plusieurs Etats membres comme la France où la diaspora arménienne est importante,n’a pas fait l’objet du raport adopté par les députés.
Le Parlement est pourtant traditionnellement exigeant sur cette question, et avait même demandé en 2005 que la reconnaissance du génocide arménien par la Turquie soit un préalable à une adhésion à l’UE.
Mais le texte adopté mercredi se contente d’appeler à la « réconciliation » et au dialogue entre les deux voisins, « pour le présent et le passé ». Exit la référence au « génocide ».
Reste à savoir si l’ensemble du Parlement européen validera cette nouvelle approche lors de sa plénière du 22 au 25 octobre. Et si la Commission européenne, qui doit publier son propre rapport annuel d’évaluation le 6 novembre, privilégiera elle aussi les encouragements.