Plusieurs centaines de manifestants craignant que l’Etat turc ne fasse pas toute la lumière sur le meurtre du rédacteur en chef turco-arménien Hrant Dink ont défilé lundi devant le tribunal d’Istanbul chargé du dossier.
L’Union européenne, qui a ouvert des négociations d’adhésion avec la Turquie en 2005, voit dans ce procès une façon de tester la capacité du système judiciaire à s’affranchir du conservatisme politique que certains lui prêtent.
Un important dispositif policier a été déployé devant le tribunal où 19 suspects sont jugés pour le meurtre de Dink, abattu en janvier devant son bureau à Istanbul par un adolescent de 17 ans qui a avoué les faits.
« Nous sommes tous des témoins, nous réclamons justice », pouvait-on lire sur des banderoles brandies par les manifestants devant le tribunal où a repris le procès, situé dans le quartier de Besiktas.
Les avocats de Dink estiment que le meurtre n’a pas fait l’objet d’une enquête appropriée et ils ont exprimé des doutes quant à l’indépendance du tribunal, faisant écho aux craintes exprimées par d’autres quant à une possible implication dans le meurtre de membres de l' »Etat profond ».
L' »Etat profond » désigne en Turquie des ultranationalistes en poste dans l’administration et dans les forces de sécurité qui seraient prêts à contourner, voire violer la loi pour réaliser leurs propres objectifs politiques.
Les suspects devraient être interrogés pour la première fois lors de l’audience de lundi. Huit suspects sont en détention.
Ce week-end, le quotidien Radikal a publié la transcription d’une conversation téléphonique entre l’un des suspects et un policier, deux heures après le meurtre, qui selon le journal prouve que le policier était au courant du projet d’assassinat visant Dink.
L’enregistrement a été diffusé sur la chaîne privée NTV et d’autres chaînes samedi. Selon NTV, la conversation s’est déroulée peu après l’assassinat du reporter et sous-entend que la police était au courant de complots le visant. Un avocat en charge de l’affaire a précisé que le script avait été intégré au dossier.
Le ministère turc de l’Intérieur a ouvert une enquête pour découvrir l’auteur de la fuite, selon les médias officiels.
L’enregistrement a été rendu public par Murat Utku journaliste pour l’agence de presse Dogan (DHA).
Dans l’enregistrement l’un des suspects Erhan Tuncel discute avec Muhittin Zenit membre des services de renseignements de la police. L’enregistrement a eu lieu à 16h44 soit 1h44 après le meutre de Hrant Dink et tandis que son corps gisait encore dans la rue.
Ehran Tuncel était un informateur de Muhittin Zenit et la conversation qu’ils ont montre clairement que l’officier de police Muhittin Zenit avait eu connaissance des détails de la préparation du meurtre vant qu’il n’ait eu lieu. Il a dit à
Tuncel « […] ils ont tiré directement dans la tête…la seule différence est qu’il n’allait pas partir en courant ».
Muhittin Zenit officier à Trabozon, avait fait d’Erhan Tuncel un informateur de police deux ans avant meurtre de
Hrant Dink. Le nom du code de Tuncel était « Mehmet Kurt [ loup ] ». Muhittin Zenit avait été transféré dans une autre ville, Bayburt, plusieurs mois avant le meurtre.
Des inspecteurs du ministère de l’intérieur turc qui avait mené une enquête sur la police de Trabzon ont ignoré les preuves des négligences et avaient décidé que la police avait fait son devoir et n’était pas fautive.
L’accusation selon laquelle Erhan Tuncel avait informé 17 fois la police au sujet de la préparation du meurtre a été écartée dans le rapport. Un des officiers de police écrit dans le rapport que Zenit a déclaré qu’il avait pas donné de coup de fil à Tuncel.
Les extraits de la conversation téléphonique
Les extraits de l’enregistrement montrent un moment de surprise des deux côtés en ce qui concerne le meurtre réel de Hrant Dink.
T(uncel) : Ils m’ont appelé il y a juste une minute.
Z(enit) : Hmmmm.
T : Ils ont un nombre. Je ne pourrais pas obtenir plus.
Z : Peut-être nos types ont appelé… vous savez à propos de quoi c’était.
T : Non, ils m’ont juste cela.
Z : Il, il, il…et vous voulez que je croie cela ?
T : Je jure que ceci n’a rien à voir avec nous.
Z : (crie sur Tuncel, ne le croit pas) [… ]
Z : Le sujet dont nous avons parlé ; combien de fois avons nous parlé de cela. Nous l’avons dit alors,
aussi, vous savez. Que vous aimiez ou pas, il va y avoir des sanctions qui vont tomber.
T : Non, laissons les être sanctionnés, je ne pense pas que quelque chose viendra de lui. Puisqu’il n’y a aucune sortie d’ici [ Trabzon ]. Du moins je ne le pense pas.. [… ]
[…. ]
Z : Il y avait ce type…
T : Il. Il est ici, il n’est pas parti.
Z : Celui qui a été désigné. Quel était son nom déjà.
T : Il y avait un type appelé Zeynel. Puis un autre qui est parti. Je ne pense pas [ il était avec eux ]. [… ] Il était clair comment il serait visé [… ]
Z : [… ] Ils lui ont tiré directement dans la tête.
T : Est-il mort ?
Z : Naturellement, la seule différence est qu’il n’allait pas partir en courant, mais celle-ci .
T : A-t-il été attrapé ?
Z. : Pas de problème.
T. : Hmmm … je ne pense pas que ce soit eux, abi (le frère aîné)
Z. : je ne suis pas sûr.
T. : Ce n’est pas comme … ce que je veux dire, nous pourrions mourir pour l’état, vous savez …
Z. : le Frère, ceci et ce de quoi nous parlons maintenant sont différents…
T. : Ce que nous avons parlé était différent okay mais c’était la cible de chacun.
Z. : je le sais. … s’il a croassé, il a croassé. Je ne pose pas de questions sur qui l’a tué. Si vous doutez de ma sincérité, c’est différent.
T. : Aucunement abi, bien sûr que non….
[…. ]
T. : je ne pense pas qu’il ait un rapport avec nous. Mais bravo à celui qui l’a fait …
T. : bien abi, au revoir
Z. : au revoir.
Hier le principal suspect Ogun Samast a déclaré à la reprise du procès qu’on l’avait forcé à tuer le journaliste arménien.