Turquie : Le scandale de l’esprit kémaliste

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Info Collectif VAN – www.collectifvan.org – Mustafa Akyol signe un article étonnant pour qui a lu, il y a peu, sa « Lettre ouverte à la diaspora arménienne »… http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=12960, lettre dans laquelle il compatissait aux malheurs des Arméniens en ces termes :

« je vois que vous croyez sincèrement en l’exactitude des récits historiques avec lesquels vous avez été élevés. Quelle autre réaction auriez-vous pu avoir ? Cependant, veuillez noter qu’il existe un autre récit sur la tragédie de 1915, et c’est avec celui-ci que nous Turcs avons grandi. »

A lire la présente charge dirigée contre les kémalistes, on en vient à se demander si les intellectuels turcs ne souffrent pas de schizophrénie. Le Collectif VAN vous invite à découvrir son analyse sans concessions de l’esprit qui règne majoritairement en Turquie.

Le scandale de l’esprit kémaliste

Samedi 17 novembre 2007

J’ai réfléchi à ce qui rend l’esprit kémaliste si superficiel, et voici l’explication que j’ai trouvée.

Mustafa AKYOL

J’ai, par malheur, contrarié beaucoup de monde avec mon texte paru dans l’édition du week-end dernier du Turkish Daily News, « L’évangile selon Atatürk ». Quelques dizaines de lecteurs m’ont envoyé des emails rageurs, qui me reprochaient de critiquer le niveau de vénération accordé en Turquie à son fondateur.

Si vous avez lu la rubrique « Courrier des lecteurs », vous avez peut-être vu deux de ces réactions, émanant de lecteurs turcs vivant aux États-Unis. L’un, du New Jersey, écrit qu’il a été choqué par mon article, et il a ajouté, « quelqu’un devrait dire à Akyol qu’il se trompe complètement. » L’autre, une femme, m’a exprimé son angoisse quant au regard très naïf que je porte. Elle a également déclaré que je ne pouvais pas être un Turc.

Pour leur répondre, je leur sais gré de ces critiques, car elles représentent de bonnes études de cas par rapport à ce dont j’ai parlé. J’ai dit qu’il existait en Turquie un « culte d’Atatürk » populaire, et que ses adeptes ont un modèle mental strict qui les mène à se détacher de la réalité. Et c’est précisément ce que l’on trouve dans ces commentaires agacés.

Une dissonance cognitive :

Laissez-moi vous donnez un exemple. Le premier lecteur, en plus de me démolir, prétend qu’il faudrait améliorer le dialogue parmi tous ceux qui vivent en Turquie afin que personne n’aie peur de dire « Je suis fier d’être un Turc ». Il est vraiment difficile de comprendre comment le dialogue parmi les gens vivant en Turquie rendrait tout le monde fier d’être turc, mais c’est une question mineure. La vraie perle est cette supposition que certaines personnes en Turquie ont peur de dire « Je suis fier d’être un Turc ». En réalité, dans ce pays, cela n’a jamais été un problème de le dire, et c’est de fait un mantra officiel. Le vrai problème a toujours été de dire que vous étiez fier d’être autre chose qu’un Turc- par exemple, un Kurde, un Arménien, un chrétien, et même un musulman supranational. (Pour information, en 1982, l’homme politique Şerafettin Elçi a été emprisonné pour avoir tout simplement dit : « Je suis kurde et il y a des Kurdes en Turquie.)

Il est donc effarant de voir que notre lecteur kémaliste pense que la « turcité » est supprimée en Turquie, alors que le fait est que la turcité est la seule identité qui n’est pas du tout supprimée.

Si vous voulez voir encore plus de détachement-de-la-réalité à l’oeuvre, alors regardons ce que dit la seconde lectrice. Elle me critique car je critique la devise « Je vous regarde » apposée sur certains drapeaux d’Atatürk. Mais elle a tout a fait mal compris, lorsqu’elle écrit : cela signifie simplement pour toute personne comprenant la langue anglaise : « Nous suivons vos pas ». Parce que la devise que j’ai critiquée ne signifiait pas que les Turcs suivent Atatürk. Elle signifie plutôt qu’Atatürk surveille les Turcs. C’est absolument clair pour toute personne qui a quelque connaissance de la langue anglaise ou turque.

Ni publier ni périr [« Publish or perish » – « publier ou mourir », est ce qui se dit dans les universités anglo-saxonnes: pour faire carrière, il faut publier à tout prix. NdT]

Je ne vais pas souligner tout les cas de dissonance cognitive dans les écrits des lecteurs kémalistes. Pour la plupart des observateurs impartiaux, il devrait être évident que le kémalisme s’est transformé en une idéologie dogmatique et ses adeptes présentent une pauvreté intellectuelle pitoyable. Ce dernier phénomène est visible dans pratiquement tous les domaines. Dans les médias turcs par exemple, les commentateurs kémalistes purs et durs font partie des moins sophistiqués. Leurs articles sont remplis ou de clichés stériles ou de polémiques hargneuses. Dans le monde universitaire, les professeurs ou les facultés célèbres pour leur dévotion au kémalisme, ne produisent pratiquement rien qui puisse intégrer la littérature universitaire internationale. (Hélas, ils ne publient ni ne périssent !) De fait, la poignée de chercheurs turcs universellement reconnus est détestée par ses collègues kémalistes du pays. Şerif Mardin, qui est sans doute le plus éminent sociologue turc ayant jamais existé, a été boycotté par la toute-kémaliste Académie des Sciences Turques (TÜBA), simplement parce qu’il était trop indulgent envers la religion. Et dans le champ des Sciences sociales, la Turquie semble divisée entre les chercheurs productifs et sachant s’exprimer, et le reste, qui comprend la plupart des kémalistes.

En littérature, la situation n’est pas différente : les écrivains turcs connaissant un succès international, comme le récent Prix Nobel Orhan Pamuk ou Elif Şafak, sont ceux qui ont la capacité d’innover, en dehors du kémalisme. Pas surprenant donc, qu’ils soient abhorrés par les kémalistes qui expliquent leur succès par des théories de complots. Ils pensent qu’Orhan Pamuk a gagné le Prix Nobel, par exemple, parce que les impérialistes ont décidé de le promouvoir pour « avoir insulté la turcité ».

Cela fait un certain temps déjà que je réfléchis à ce qui rend l’esprit des kémalistes si superficiel. Cela ne peut pas être lié à Mustafa Kemal Atatürk lui-même, car c’était un homme d’Etat intelligent, bien éduqué, cultivé qui a promu avec force les sciences et l’instruction. Je crois que le problème, c’est la manière dont il est perçu par ses dévots. Puisqu’ils le voient, ainsi que son époque, comme la source de toute la sagesse dont ils ont besoin, ils n’éprouvent pas le besoin de comprendre le monde. Ils pensent que le Leader Suprême l’a déjà parfaitement compris et tout ce dont nous, les Turcs, avons besoin, c’est de suivre son droit chemin.

L’esprit évangélique :

Cette ligne de pensée génère une pauvreté intellectuelle dans tout paradigme. Le fondamentalisme religieux en est le meilleur exemple. En effet, la religion peut être une force motrice pour une entreprise intellectuelle, si elle est interprétée sur un mode dynamique- et c’est ce qui a engendré des personnages imposants tels que Averroes (Ibn Rushd) ou Newton. Mais la religion est une entrave à l’esprit si ses croyants pensent qu’ils leur suffit d’étudier uniquement la vie d’un saint homme et les écritures qu’il a laissées.

Dans son célèbre livre « Le Scandale de l’Esprit évangélique », l’historien américain Mark Noll suggère que la plupart des chrétiens évangéliques de son pays souffrent de cette idée fausse. Il montre que les évangéliques n’ont pas réussi à s’engager dans « tout le spectre de la connaissance moderne, y compris en économie et en sciences politiques, en critique littéraire et en littérature de fiction, en recherches historiques et en études philosophiques, en linguistique et en histoire de la science, en théorie sociale et dans les arts. » « Le scandale de l’esprit évangélique, conclut-il, c’est qu’il n’y a pas vraiment d’esprit évangélique. »

Je ne suis pas expert en christianisme américain, et je ne peux pas dire si Noll a tort ou raison. Mais je connais le kémalisme, et son idéologie souffre de ce même problème qu’il évoque. Oui, le kémalisme a un scandale qui lui est propre, également, et c’est qu’il n’y a pas vraiment d’esprit kémaliste.

Traduction C.Gardon pour le Collectif VAN – 19 novembre 2007 – 13:57www.collectifvan.org

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Author: raffi

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