Le géant russe Gazprom a marqué des points cette semaine dans son vaste projet de gazoduc South Stream, destiné comme son pendant septentrional Nord Stream à diversifier ses routes d’approvisionnement et à renforcer sa position de fournisseur tout-puissant vis-à-vis de l’Europe.
L’influent groupe énergétique public vient de conclure coup sur coup des accords de partenariat avec deux pays des Balkans, la Bulgarie et la Serbie, pour une participation au gazoduc South Stream devant relier la Russie à l’Europe occidentale, et dont la trajectoire se met ainsi peu à peu en place.
Les détails de l’accord avec la Serbie, qui devrait également comprendre un important volet pétrolier, ne devraient pas être dévoilés avant la signature prévue vendredi au Kremlin en présence du président et du Premier ministre serbes, a-t-on appris mercredi de source gouvernementale.
Le président serbe sortant Boris Tadic et son Premier ministre Vojislav Kostunica vont être reçus vendredi à Moscou par le président Vladimir Poutine, « pour participer à une cérémonie de signature d’un accord entre les gouvernement russe et serbe sur la coopération dans le domaine du gaz et du pétrole », a indiqué le Kremlin dans un communiqué mercredi.
Pour Maxim Cheïn, analyste de la maison de courtage Broker Credit Service à Moscou, il s’agit clairement d’un « grand pas en avant pour Gazprom et la Russie dans la bataille pour le contrôle des routes d’exportation d’hydrocarbures ».
« De nos jours, l’important en matière d’influence politique et économique n’est pas de contrôler les ressources mais les voies de transport », souligne-t-il. Quant aux deux pays, ils tireront aussi grand profit de leur position de pays de transit, note-t-il.
Dmitri Loukachov, analyste de la banque UBS, est plus tempéré: Gazprom aurait pu contourner la Serbie en l’absence d’accord et ne doit de toute façon attendre de gains « qu’à long terme » du chantier South Stream, étant donné que les études de faisabilité n’ont pas encore été menées.
Reste que le projet, initié l’été dernier, progresse et fait de plus en plus d’ombre à son concurrent Nabucco, soutenu par l’Union européenne et les Etats-Unis, soulignent les experts, même si nombre d’entre eux pensent que les deux projets peuvent et vont selon toute probabilité cohabiter en Europe centrale à terme.
Mais pour Gazprom, l’objectif en l’occurrence n’est « pas tant de faire échouer Nabucco que de diversifier ses voies d’exportation », explique Alexandre Bourganski, analyste de la banque Renaissance Capital, rappelant les crises à répétition de ces deux dernières années avec l’Ukraine et le Bélarus, pays par lesquels transite actuellement tout le gaz russe destiné à l’Europe.
Et la logique est strictement la même au Nord, où Gazprom s’efforce de construire un autre gazoduc desservant l’Allemagne, le Nord Stream, contournant cette fois les pays baltes, avec lesquels la Russie entretient des relations tendues.
« Je pense que ces pays seraient contents que le projet se fasse plutôt sur leur territoire », souligne Maxim Cheïn. Mais selon lui, « grâce à l’influence allemande, le gazoduc sera construit » en dépit des nombreuses réticences des pays riverains de la Baltique.
Quoiqu’il en soit, l’image de prédateur d’entreprises souvent accolée à Gazprom en Occident est largement exagérée, estime-t-il: « la vérité est que l’Europe et Gazprom sont mutuellement dépendants, donc on ne peut pas dire que l’Europe court un danger à dépendre de Gazprom », juge-t-il.