L’Arménie a peu de chances de mettre fin, avec l’élection d’un nouveau président, à son isolement en réglant enfin la dispute historique qui l’oppose à sa voisine la Turquie au sujet des massacres de 1915.
Quelque 2,3 millions d’Arméniens sont attendus mardi aux urnes afin d’élire pour cinq ans le successeur du président actuel, Robert Kotcharian. Neuf candidats sont en lice, le favori étant l’actuel Premier ministre Serge Sarkissian.
Mais pour les analystes, peu importe au fond qui en sortira gagnant, rien ne peut dénouer les tensions qui opposent l’Arménie à la Turquie et à son allié l’Azerbaïdjan –lui aussi de culture turcophone.
Pour les Arméniens, il est tout simplement inconcevable de changer de position au sujet de la mort de centaines de milliers d’Arméniens entre 1915 et 1923 dans l’Est de la Turquie d’aujourd’hui, qu’ils qualifient d’acte délibéré de « génocide » de la part de l’Empire Ottoman, explique Hayk Demoian, le directeur du Musée du Génocide à Erevan.
« Pour notre pays, il s’agit d’une question de sécurité », assure-t-il. « Il s’agit de s’assurer que des massacres de masse ne pourront plus jamais arriver ». La Turquie de son côté récuse le terme de génocide et maintient que des massacres ont eu lieu des deux côtés entre Turcs et Arméniens.
Cette question sensible est au coeur de la diplomatie arménienne depuis l’indépendance du pays, acquise en 1991 à la chute de l’URSS. C’est à elle que le pays, qui vit avec deux de ses quatre frontières fermées, doit son isolement. Et les efforts d’Erevan pour faire reconnaître internationalement le génocide n’ont fait qu’accroître encore la fureur d’Ankara.
Le conflit figure aussi en arrière-plan des relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, petit pays essentiellement musulman et turcophone. Les deux Etats demeurent officiellement en guerre au sujet de l’enclave azerbaïdjanaise à majorité arménienne du Nagorny Karabakh. Cette guerre a fait des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés au début des années 90.
La plupart des Arméniens perçoivent les revendications de l’Azerbaïdjan sur l’enclave comme un nouveau cas d’agression par un peuple de culture turcophone. En dépit de plus de dix ans de négociations sous médiation étrangère, il n’y a guère de signes d’éclaircie et les incidents demeurent fréquents dans la zone disputée.
Au cours de la campagne présidentielle, certains candidats ont plaidé pour une détente dans la politique étrangère de l’Arménie envers ses voisins. L’ancien président Levon Ter-Petrossian en particulier a appelé à adopter un ton plus conciliant à l’égard de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.
Mais les experts jugent extrêmement improbable que la politique étrangère arménienne soit infléchie sur ce point.
« Ces élections ne vont pas conduire à un changement sérieux de politique étrangère », estime l’analyste politique Alexander Iskandarian.
Manvel Sarkisian, lui aussi analyste politique, est du même avis: « Aucun président ne peut reculer sur la question de la reconnaissance du génocide ou sur le Karabakh », estime-t-il.
Au Musée du Génocide, le directeur Hayk Demoian est encore plus direct: « Cela fait partie de la mémoire collective du peuple arménien et nous ne pouvons pas renier nos souvenirs », dit-il.
« Je ne crois pas que quiconque s’écarterait franchement des politiques bien définies. Ce serait la fin de sa carrière politique », conclut-il.