Simon Abkarian : « Le Liban est une terre extraordinaire »

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Simon Abkarian : « Le Liban est une terre extraordinaire »

Le 08 juin 2008, Par Diana Kahil

Pénélope ô Pénélope est une pièce écrite et mise en scène par le comédien / metteur en scène Simon Abkarian. Présentée au théâtre National de Chaillot à Paris jusqu’au 14 juin, elle se jouera également au théâtre national de Toulouse du 14 au 24 octobre 2008. Captivante, emplie de sens et de métaphores, Pénélope ô Pénélope s’inspire du récit d’Homère, mêlant l’ici et l’ailleurs, l’aujourd’hui et le demain, les portes du souvenir et les parois de la mémoire. Le tout sur fond de “ soleil noir de la mélancolie ». La pièce aborde des thèmes comme l’attente, la cristallisation, le retour, la rédemption, l’espoir : Une femme est folle d’amour pour un fantôme – son fantôme, celui qu’elle a aimé un jour – elle l’attend pour toujours: “Tout n’est pas perdu, rien n’est jamais perdu. », crie-t-elle, seule, livrée à elle-même. Le guerrier reviendra-t-il ? Rencontre avec le charismatique Simon Abkarian, qui évoque avec nous le théâtre, les femmes… et le Liban.

iloubnan.info: Vous pouvez nous parler de votre rencontre avec le théâtre du Soleil, notamment avec Ariane Mnouchkine ?

Simon Abkarian: Je vivais à Los Angeles, à l’époque j’avais un passeport libanais. Ils sont venus jouer là-bas en 1984, c’était le festival des Jeux olympiques : The Olympic Art Festival. On m’a invité à faire un stage, je suis donc venu en France faire les auditions avec un visa de 48 jours car je n’avais pas encore de papiers français. Je suis resté au théâtre du Soleil pendant 8 ans, de 85 à 93. Les premières pièces que j’ai jouées sous la direction d’Ariane Mnouchkine étaient des pièces d’Hélène Cixous, j’ai commencé à faire du théâtre contemporain avec un auteur vivant, ce qui laisse des marques assez importantes. J’ai fini par les tragédies grecques, les Atrides avec entre autres Iphigénie d’Euripide.

Le théâtre du Soleil, c’est là où j’ai appris à jouer avec Ariane. Pas seulement jouer mais avoir conscience, se donner une conscience quant à la question qu’est ce que c’est qu’être acteur, ce n’est pas seulement jouer, c’est aussi se questionner intérieurement et intrinsèquement sur l’art du théâtre, la question de la nécessité, l’essence du théâtre. Le centre du théâtre correspond aux acteurs, il y a bien sûr aussi les auteurs mais le prisme, ce sont les acteurs. C’est là notamment où j’ai rencontré Catherine Schaub, Jocelyn Lagarrigue et bien d’autres…

Dans Pénélope ô Pénélope, vous puisez votre inspiration de vos expériences personnelles, de celles que vous avez vécues, votre pièce est dédiée principalement à votre mère…

On est beaucoup de familles libanaises à avoir connu la séparation. Quand nous avons quitté le Liban en 77, mon père est resté au Liban, il est revenu à la maison 9 ans plus tard, on avait quelques coups de fil de temps en temps, on ne savait pas s’il était vivant ou mort. Ma mère quant à elle travaillait dans un atelier de confection comme dans mon spectacle.

Je pense que la force d’un mythe comme celui d’Ulysse est évidemment liée aux dieux et à la verticalité mais il y a aussi cette incroyable chose qui fait que l’auteur qui a écrit cette déambulation, cette perdition, parlait déjà si bien de nous aujourd’hui. Pour ma part, j’ai repris le schéma du retour d’Ulysse à un moment donné, quand il arrive à Ithaque jusqu’à la mort des prétendants (dans mon spectacle, il s’agit d’un seul prétendant). En fait, j’ai essayé de développer l’intrigue autour d’un personnage féminin, Pénélope, plutôt qu’un personnage masculin, Ulysse, car c’est ma mère qui nous a élevé quand on était loin de mon père. J’ai raconté non pas pour ma mère, mais par ma mère, c’est-à-dire avec son regard et son expérience de femme.
Je suis un garçon et ça prend du temps pour un garçon de comprendre les solitudes dans lesquelles sont enfermées les femmes, surtout les femmes de chez nous où l’honneur, la promesse et la fidélité sont liés aux traditions, toutes classes confondues.

Pour évoquer cela, j’ai préféré un langage qui est traduit de l’arabe et de l’arménien en français, c’est-à-dire qu’il y a une espèce “ d’orientalité ” dans mon texte qui fait qu’il interpelle les gens d’ici. C’est très imagé : nous les orientaux, les Libanais, on parle beaucoup par images, par proverbes, par la chanson, par la poésie. Vous savez, l’écriture, c’est un processus très étrange…

Dans votre pièce se sont glissés des personnages fantômes, des esprits de défunts, comme celui de la mère qui revient hanter l’espace et le temps, ça rappelle un peu le théâtre Nô. Le théâtre japonais vous a-t-il influencé?

Le théâtre japonais est toujours une source d’inspiration pour moi, je suis en pleine admiration de cette profondeur et de cette rigueur-là, une rigueur sévère au service de la beauté et c’est quelque chose qui nous manque parfois en Europe chez les acteurs. Nous, on a les textes qui sont plus denses que les textes Nô.

En ce qui concerne l’art de l’acteur, on s’est demandé Georges Bigot et moi comment se meut un esprit désincarné qu’il faut incarner. A partir du moment où on se pose la question de la forme, on se pose la question du jeu. A partir du moment où on se pose la question du jeu, on se pose la question du théâtre.

Je pense que tous les personnages sont des esprits, même ceux qui sont vivants: il y a toujours une incantation à faire à l’intérieur de soi pour faire surgir ce qui est mort. Ce n’est pas du tout macabre mais spirituel et je pense qu’on vit ces moments aussi avec nos ancêtres, avec ceux qui nous ont laissé. C’est très difficile parfois à porter, donc pour l’exalter, quel meilleur moyen de le faire que de passer par la fête du théâtre?

La figure archétypale de la femme, qu’elle soit mère ou épouse, est omniprésente comme une musique sérielle au fil de votre pièce…

Pour moi, la matrice, c’est la femme. C’est elle qui nous façonne, elle qui nous protège, qui nous nourrit. Je pense qu’il est temps de rétablir cette image de la femme. On vit dans un monde complètement “paternaliste » qui parle du sacrifice d’Abraham sur la montagne, où ce qu’il y a de plus précieux c’est le fils. Je pense que dans tous les spectacles qui me restent à faire, je rétablirai l’image de la femme et la mettrai au centre de mon travail.

Au cœur du spectacle, il y a cette thématique de la guerre qui transforme les êtres : quand Ulysse revient, on a du mal à le reconnaître chez lui. La guerre du Liban continue-t-elle de vous hanter ?

Bien sûr, ça continue de me hanter et de m’habiter surtout. On peut parler d’un cas anecdotique : quand je vais au Liban, quand je tombe sur ma tante, elle met toujours quelques minutes avant de me reconnaître !…. J’aime le Liban, je vais d’autant plus l’aimer que je vais écrire pour lui, je suis arménien d’origine et le Liban nous a donné un asile. Je suis libanais. Le Liban est une terre extraordinaire habitée par des gens géniaux, par des gens fous, par des gens heureux, des gens parfois oublieux, avec qui on peut s’asseoir, manger et discuter.

Pourquoi avoir choisi d’intégrer des photographies, notamment des portraits dans la scénographie de la pièce, pourquoi ce choix précis ?

Chez moi, c’était comme cela à la maison, il y avait les photos des ancêtres partout dans la maison. C’était une manière de tirer sur ses propres ancêtres, pour pouvoir inventer une autre histoire. A un moment donné, il faut arriver à faire taire le poids d’une génération. Pour moi, la conscience qui compte c’est la conscience des jeunes, la conscience est une jeunesse éternelle. Dans ma pièce, la conscience c’est le fils. La conscience c’est de regarder la nouvelle génération et c’est de ne pas baisser les yeux de honte, métaphoriquement. Cette même conscience, soit on la regarde et on l’embrasse, soit on la fuit parce qu’on a honte de ce qu’on est. Et on est ce qu’on a fait.

Etes vous d’accord avec cette citation d’Antonin Artaud dans son ouvrage intitulé “le théâtre et son double” : “sans un élément de cruauté à la base de tout spectacle, le théâtre n’est pas possible »

Je suis tout à fait d’accord, de cruauté, de souffrance, de non retour, d’implacabilité. C’est quelque chose d’implacable, le théâtre. Parce que le théâtre, c’est un reflet déformé de la vie, c’est pas la vie. Ce n’est pas la vérité, on pourrait parler des heures de cela et Artaud en parle très bien d’ailleurs. Le théâtre marche avec les blessures, les bosses qu’on a à l’intérieur de nous, donc c’est vrai qu’il y a quelque chose de cru et de cruel .Après, on peut faire du théâtre de boulevard, je ne porte pas de jugement là-dessus mais ce n’est pas le théâtre que je cherche. Je cherche un théâtre d’art, pour reprendre les formules de l’époque soviétique. La recherche de la beauté coûte cher, il faut qu’on paye de soi, comme une offrande. Comme le souligne Artaud, la cruauté ou le mal nécessaire, fait à soi. Pour moi, l’acte théâtral, ce sont des êtres vivants ou morts qui essayent de mériter leur titre d’“ homme” en pratiquant le déséquilibre. Si, en 2 h10, j’ai 3 secondes de grâce dans mon spectacle, je suis heureux…

Vous préférez jouer au théâtre ou au cinéma ?

Au théâtre, parce qu’on est très proche du spectateur, parce qu’il n’y a pas la salle de montage, les prises… et en même temps, au cinéma il y a un petit quelque chose d’intéressant, c’est la non préparation. On a beau se préparer, on se retrouve souvent avec des gens qu’on ne connait pas. Quand je fais trop de cinéma, j’ai tendance à me perdre car c’est un milieu assez médiocre le cinéma, c’est une industrie avant tout.

Le centre du cinéma, c’est l’argent. Le théâtre, c’est quelque chose d’artisanal qui se prépare avec des bouts de ficelle, de bois, de lumière et surtout il y a cette proximité avec l’autre, telle qu’on arrive à développer quelque chose de fort qui se voit sur scène.

Quels sont vos prochains projets, d’une part pour le théâtre et d’autre part pour le cinéma ?

En ce qui concerne le théâtre, je vais continuer d’écrire sur les femmes que j’ai connues. Il y aura toujours cette relation à l’Antique et à la philosophie. J’ai d’ailleurs commencé à écrire trois pages, je pars de choses que j’ai vues comme notamment au
Liban ou j’ai rencontré des gens improvisant du “Zajal » (genre poétique libanais, ndlr) sur tables avec des nappes à carreaux et pour moi c’était magnifique. J’ai vraiment envie d’écrire pour le théâtre et c’est l’époque qui me pousse à le faire, pas seulement mes morts et mes vivants ou encore la beauté d’un texte. C’est une époque prolifique pour ceux qui ont le sens de la révolte en eux, comme si une voix intérieure me disait : “ c’est le moment Simon de te lever et de dire quelque chose avant de crever.” Quant au cinéma, des films sont actuellement en cours comme Rage (sortie en octobre) ou encore Secret Défense.

http://www.iloubnan.info/artetculture/interview/id/25988

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Author: raffi

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