Stepanakert 2 oct 2020 (AFP) – Arméniens et Azerbaïdjanais
restaient sourds jeudi à de nouveaux appels au cessez-le-feu et
« intensifiaient » même leurs combats au Nagorny Karabakh, où des combattants
« jihadistes » auraient été déployés selon Emmanuel Macron, laissant craindre
une nouvelle escalade du conflit.
« Selon nos propres renseignements, 300 combattants ont quitté la Syrie pour
rejoindre Bakou en passant par Gaziantep (Turquie). Ils sont connus, tracés,
identifiés, ils viennent de groupes jihadistes qui opèrent dans la région
d’Alep », a déclaré M. Macron dans la nuit de jeudi à vendredi lors d’un sommet
de l’Union européenne à Bruxelles.
Il avait plus tôt dénoncé le déploiement de « combattants syriens de groupes
jihadistes » ayant transité par la Turquie, plus fidèle alliée de
l’Azerbaïdjan, pour rejoindre ce territoire séparatiste soutenu par Erevan.
La Russie avait fait état d’informations similaires la veille à celles de
M. Macron, dont le pays fait partie avec la Russie et les Etats-Unis du
« groupe de Minsk » chargé d’une médiation dans ce conflit. Les trois présidents
des pays de ce groupe ont d’ailleurs demandé dans un communiqué commun « la
cessation immédiate des hostilités ».
« D’autres contingents se préparent, à peu près de la même taille (…) Une
ligne rouge est franchie (…) c’est inacceptable », a martelé le président
français. « J’appellerai le président (turc Recep Tayiip) Erdogan dans les tout
prochains jours parce qu’en tant que coprésident du groupe de Minsk je
considère que c’est la responsabilité de la France de demander des
explications », a dit Emmanuel Macron, en interpellant l’Otan, dont la Turquie
fait partie.
La Turquie a également été dénoncée par le Premier ministre arménien, qui a
dit détenir « des preuves » de l’implication militaire turque dans le conflit.
« Ankara a fourni à Bakou des véhicules militaires, des armes, ainsi que des
conseillers militaires. Nous savons que la Turquie a formé et transporté des
milliers de mercenaires et de terroristes depuis les zones occupées par les
Turcs dans le nord de la Syrie », a déclaré Nikol Pachinian dans un entretien
au quotidien français Le Figaro publié vendredi, ajoutant que la Turquie
s’aventurait « sur un chemin génocidaire ».
Le Nagorny Karabakh, en majorité peuplé d’Arméniens, a fait sécession de
l’Azerbaïdjan, entraînant une guerre au début des années 1990 qui avait fait
30.000 morts. Le front est quasi-gelé depuis malgré des heurts réguliers,
notamment en 2016.
Au cinquième jour des affrontements, aucun camp ne semblait avoir un
avantage décisif, Bakou et Erevan indiquant que les affrontements se
poursuivaient.
– « Coordination russo-turque » –
Le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov et son homologue
turc Mevlut Cavusoglu ont convenu jeudi, lors d’une conversation téléphonique,
que leurs deux pays étaient prêts à une « coordination étroite pour stabiliser
la situation » au Nagorny Karabakh, selon Moscou.
Néanmoins, la Turquie n’a pas publié de communiqué sur les sujets évoqués
pendant cet appel. Une source diplomatique turque a affirmé à l’AFP qu’il
avait été question de « l’agression arménienne », sans mentionner l’idée d’une
coordination.
La Russie, qui entretient des relations cordiales avec les deux anciennes
républiques soviétiques, s’est montrée inquiète du rôle de la Turquie, rival
géopolitique mais avec qui elle a des relations pragmatiques.
– Tirs de roquettes –
Sur le terrain, la petite ville de Martouni, située à environ 25 kilomètres
du front en territoire séparatiste, a été touchée jeudi par des tirs de
roquettes d’une violence encore jamais vue depuis la reprise du conflit.
Quatre civils ont été tués par ces tirs, selon les séparatistes, et 11
personnes blessées, dont au moins deux journalistes français du quotidien Le
Monde et deux autres arméniens.
Les journalistes (dont une équipe de l’AFP, qui n’a pas été blessée)
accompagnaient les autorités locales pour interviewer la population et
constater les dégâts quand la ville a été bombardée.
« J’ai construit cette maison avec mes propres mains. Je n’irai plus nulle
part », a assuré à l’AFP Artak Aloïan, un travailleur du BTP de 54 ans ayant
trouvé refuge dans une cave.
Depuis la reprise des hostilités, seuls des bilans partiels sont
communiqués faisant état au total de 136 morts. L’Arménie a annoncé que 104
soldats et 13 civils ont été tués. Bakou se refuse de son côté à communiquer
des bilans militaires mais a annoncé la mort de 19 civils.
Depuis dimanche, l’Arménie affirme que 1.280 soldats azerbaïdjanais ont été
tués et 2.700 blessés. Le ministère de la Défense azerbaïdjanais a lui affirmé
que 1.900 militaires arméniens étaient morts.
– Risque d’internationalisation –
Emmanuel Macron, Vladimir Poutine et Donald Trump ont encore appelé jeudi
« les dirigeants de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan à s’engager sans délai à
reprendre les négociations ».
A l’inverse, le président turc Erdogan a estimé qu’un cessez-le-feu ne
pouvait passer que par un retrait des forces arméniennes de l’enclave
séparatiste.
Les accusations de M. Macron risquent d’envenimer un peu plus les relations
entre Paris et Ankara, qui se sont considérablement détériorées ces dernières
semaines, notamment autour du conflit gréco-turc en Méditerranée.
La Turquie a assuré Bakou de son soutien, mais une ingérence militaire
turque n’est pas établie, seule l’Arménie l’affirmant jusqu’ici.
Erevan a par ailleurs annoncé jeudi avoir rappelé son ambassadeur à
Tel-Aviv du fait des ventes d’armes israéliennes à l’Azerbaïdjan.
Une intervention directe turque constituerait un tournant majeur et une
internationalisation du conflit.