L’arménité est un sport de combat, par Denis Donkikian

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Les Arméniens traversent une période de grande confusion qui agite les esprits en tous sens jusqu’au non sens. Ils voient des gouffres s’ouvrir autour d’eux chaque jour qui vient avec son lot de nouvelles navrantes ou alarmantes, propres à s’ajouter aux affres de ce qu’ils continuent de considérer comme une défaite. Dans ce contexte, remplacer « la mélancolie par le courage, le doute par la certitude, le désespoir par l’espoir, la méchanceté par le bien, les plaintes par le devoir, le scepticisme par la foi, les sophismes par la froideur du calme et l’orgueil par la modestie » comme le clame Lautréamont, relève de la gageure la plus insurmontable. Et pourtant, les « défaites » ne les ont jamais aussi défaits, ces Arméniens, qu’ils n’aient pu se refaire encore et encore.
Rien ne les arrête et c’est toujours le même défi qu’ils ont réussi à vaincre puisqu’ils sont là. Là, obstinément là. Là, car ils sont l’obsession d’une terre qu’ils portent en eux comme en rêve leur vie et qui constitue en quelque sorte l’emprunte onirique de leur identité. Mais aujourd’hui plus que jamais, à la faveur de cette « défaite », ils ont conscience que l’arménité reste un sport de combat.
Mis à plat et vu sous d’autres angles que ceux habituellement explorés, l’état des lieux montre une situation à plusieurs têtes.
Le vrai vainqueur de cette guerre reste la Turquie dont les vues à long terme sont redoutables car elles impliquent le phagocytage de l’Azerbaïdjan et l’effacement de l’Arménie. Par ailleurs, ces vues vont immanquablement toucher l’Iran, en proie aux manipulations du grand manitou Erdogan. Même si Téhéran semble se tourner vers la Russie via l’Arménie. On serait donc en droit de penser que l’Arménie est appelée tôt ou tard à devoir affronter sur ses frontières un chaos tel que probablement le grignotage de ses terres pourrait continuer.
Cette guerre aura vu deux protagonistes majeurs aux prises avec l’Arménie et l’Artsakh. Les faits sont assez transparents pour qu’on s’autorise à affirmer que deux despotismes se sont attaqués à deux démocraties. Nous avons déjà souligné qu’on peut y voir comme une victoire du système autoritaire sur les régimes pluralistes. Qui plus est, nos deux jeunes démocraties viennent de trouver refuge sous les ailes d’un anti démocrate notoire, à savoir Poutine. Dès lors, force est de constater que, dans le contexte particulier de cette guerre, en matière d’efficacité stratégique, les démocraties font profil bas et que les arguties byzantines des cours démocratiques montrent que dans les urgences les plus tendues mieux vaut combat que débat, mieux les actes que la parole, mieux l’unité que la fragmentation. En effet, pour qu’un peuple soit efficace dans sa lutte contre un ennemi, il semble préférable qu’il y aille groupé plutôt que dispersé. Devant la mort qui peut surgir à tout moment et de tous les côtés, il ne sied pas aux hommes de se mettre à couper les cheveux en quatre, à pinailler sur le sexe des anges ou à décliner sur tous les tons un « non » critique, fût-il démocratique et légitime. La diversité des opinions, pour recommandée qu’elle soit dans une république réelle et assagie, ne fait qu’ouvrir des portes aux menaces d’un adversaire dont le chef décide pour tous et qui oblige ses troupes à faire corps avec ses obsessions triomphalistes.
Or, à y regarder de près, en Arménie, la démocratie réelle n’a qu’environ trois ans d’âge. À telle enseigne que la plupart des gens en ignorent encore les principes tout en éprouvant un besoin de participation politique plus juste et plus grande. En revanche, les plus éclairés se partagent en deux camps : d’une part ceux qui tiennent la volonté populaire comme intangible et d’autre part ceux qui contournent cette volonté au profit de leurs intérêts immédiats.
Les affrontements qui déchirent aujourd’hui les Arméniens sont de cet ordre. Tous se réclament de la démocratie, mais tous ne sont pas démocrates. Pire que cela : ces derniers n’ont rien compris à la révolution de velours par le fait que leurs intérêts relèvent du privé et ne touchent en rien la sphère publique. Certes, la « défaite » leur a donné un prétexte vertueux pour dissimuler des intentions qui n’ont rien à voir avec la vertu démocratique. Ils y ont vu une excellente opportunité pour renverser la marche de la révolution vers une démocratie transparente qui implique de solder les débordements du passé. En clair, la démission forcée de Pachinian remettrait les pendules à l’heure de la corruption en annulant les procès en cours. Nul doute que dans ce cas, Kotcharian, Sarkissian et consorts se frottent les mains pour les blanchir des sales manipulations dont ils ont toujours été coutumiers. Plus de Pachinian, plus de jugement. Plus de jugement, partant plus de transparence, et retour à l’opacité. Ce qui signifie qu’en réalité les opposants ne proposent rien d’autre qu’une manière de virginiser les « salauds » plutôt que l’espoir d’un renouveau. Il ne faudrait pas s’y tromper : avec ce « non », ce n’est pas la démocratie qui parle, mais toujours le même vice qui colle aux mentalités archaïques et qui a sévi durant plus de vingt ans.
Actuellement le spectacle d’une Arménie démocratique livrée au chaos navre le monde entier, faire rire les despotes carnassiers qui attendent aux portes du pays pour les défoncer sans résistance, et provoque la honte à toute la diaspora. Profitant sans vergogne de la tutelle russe, au lieu de se comporter avec sagesse et retenue, au lieu de se serrer les coudes à un moment où tout peut basculer, les Arméniens se déchirent sur une personne, sans égard pour la seule chose qui devrait les transcender, à savoir la Constitution. Mais les passions nationalistes, les obsessions revanchistes et les ambitions politiques n’ont que faire des lois destinées à les contenir et à mettre le peuple à l’abri des dangers intérieurs et extérieurs. Dès lors, si après avoir échappé au pire grâce à une défaite contenue par le maître russe du jeu caucasien, certains profitent des affres de l’humiliation et des blessures de guerre pour leur ajouter le danger d’un affrontement des Arméniens contre eux-mêmes, on peut se demander qui a intérêt à fragiliser le pays et pour quoi. Car remplacer Pachinian comme on le crie à hue et à dia est d’autant plus aléatoire qu’on ne voit aucun leader émerger qui puisse concentrer sur sa personne la confiance des Arméniens du pays et des Arméniens de la diaspora. Cette diaspora qui voit d’un si mauvais œil les cyniques, les mégalos et les vengeurs faire la loi qu’elle jure déjà qu’elle ne se saignerait s’ils devaient prendre le pouvoir. Le plus à craindre est que la confiance dont jouit amplement Pachinian au pays et auprès de la diaspora fasse place à un écœurement tel que le pays pourrait ne plus s’en relever. D’autant que les opposants par la parole qui n’ont aucune bille dans leur sac font des promesses utopiques, prennent des hypothèses pour vraies et lancent des anathèmes populistes dans le seul but de renverser à tout prix un exécutif légitimement élu.
De fait, toutes ces chamailleries de gamins, de coquins et de voyous aujourd’hui en Arménie se drapent de belles intentions ronflantes à commencer par celle du salut national. Ah ! Le salut national ! Combien de crimes commis et combien de bêtises proférées en son nom ! Comme nous l’avons fait remarquer plus haut, les temps ne sont pas à attiser le désordre, fût-il légitimé par les exigences de démocratie. Les Arméniens oublient qu’ils ont deux loups à leurs trousses et que tout affaiblissement moral provoqué par les tensions, les désaccords et les disputes sont dommageables pour l’existence même du pays. Dès lors, force est de penser que le vrai salut national actuellement est dans l’action et que pour mettre en branle cette action, le velouté de la révolution est malheureusement devenu anachronique. Une démocratie qui vit sous la menace de deux dictatures extérieures se doit de durcir le ton à l’intérieur.
Malheureusement aux divisions armées de ses ennemis immédiatement voisins, les Arméniens n’ont rien d’autre à opposer que leur légendaire propension à deviser sur des utopies et à diviser leurs forces. Divisez ! Divisez ! A la longue il n’en restera rien.
Denis Donikian

L’ARMÉNITÉ EST UN SPORT DE COMBAT

La rédaction
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