L’avenir de l’Arménie ne se lit pas dans le marc de café, par Charles Sansonetti

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Après la guerre des 44 jours, un an plus tard, tous les Arméniens sont désormais convaincus de la communauté de destins que l’Artsakh et l’Arménie partagent. Ce commandement, qui motiva Monte Melkonian pour s’engager dans le combat de sa vie, c’est encore et toujours le commandement de tout Arménien, aujourd’hui.

L’Arménie n’a pas choisi le moment de son indépendance, comme elle n’a pas choisi ses voisins et leurs velléités mortifères ravivées en Artsakh, dès 1988, bien avant l’accession à l’indépendance. Cette renaissance de la nation arménienne, devait s’accompagner d’une guerre de défense que les circonstances politiques lui imposèrent.

Ce conflit d’un autre âge devint finalement une guerre de reconquête, libérant de nouveaux territoires devenus indépendants. Avec l’Artsakh, l’Arménie rompait avec l’ombre et la soumission. Du moins, pouvait-elle croire en cette possibilité d’une ère nouvelle, en cette promesse d’un nouveau destin national à écrire pour les temps modernes.

Notre Arménie est armée pour embrasser un avenir de paix, et non de guerre perpétuelle. La nation arménienne est grande. Assez grande pour faire de très grandes choses.

Mais hier comme aujourd’hui, elle est bien trop petite pour supporter un effort de guerre permanent avec ses voisins. C’est pourquoi l’Artsakh doit être reconnu, non pas par l’Arménie, mais par l’Azerbaïdjan et la Turquie. Tout comme le génocide ne doit pas être exclusivement reconnu par le monde entier, mais par la principale intéressée, la Turquie, suffirait amplement, pour qu’enfin l’humanisme gagne les mentalités turques et les mentalités arméniennes, au sens large.

L’Artsakh doit être sauvegardé comme une terre de paix. Pas exclusivement une terre arménienne, soit, si les pourparlers pour lui trouver un statut définitif achoppent, mais une terre pacifiée où tous ceux qui veulent y vivre, qui y sont nés ou pas, peuvent y vivre et y mourir en hommes et en femmes libres. Qu’ils soient Arméniens ou pas.

Garantir la paix dans ce petit territoire, ce serait restaurer la cohabitation qui existait depuis toujours entre les habitants de ces hauts plateaux, quels que soient les empires auxquels ils se soumettaient, jadis.

Une fois que l’on sait que seule la paix dans cette région peut aider à construire un avenir commun et durable, alors opposons la paix à la guerre en Artsakh. Créons des conditions étonnantes, innovantes, portons tout notre effort d’investissement, donnons toute notre confiance aux maigres populations qui vivent encore sur cette enclave pacifiée, entourée de dictatures. Accueillons-les, accueillons tous les volontaires de la paix, les opposants à tous les despotes et faisons une place aux réfugiés azerbaïdjanais comme aux différentes minorités ethniques, sociales ou politiques, réprimées en Azerbaïdjan.

S’assigner un tel rôle, affronter un tel effort dans la région, c’est déjà résister. Résister au statu quo imposé par un cessez-le feu qui empêche toujours la circulation des hommes et des marchandises, qui limite la circulation des idées et de l’information.

Il faut donc se battre encore. Se battre sans réserve depuis l’Arménie, pour relier tout le territoire et tout le peuple, au risque, bientôt, d’entrer en Artsakh comme dans une réserve, si ce statu quo s’éternisait. Il faut donc une pression externe, puissante et constante, de tout le monde et du monde entier, pour sortir de cet étau mortel.

Gravement saigné, combien de temps l’Artsakh sera-t-il maintenu comme une bête au sol qu’on regarderait agonir ?

Les juristes doivent faire leur travail pour confondre les violations azerbaïdjanaises du cessez-le-feu au plus haut niveau international. Exiger un statut juridique reconnu par tous, doit être une priorité pour qu’enfin, l’Artsakh vive.

Aider la ruralité, ou ce qu’il en reste, à se reconstituer, se repenser, se moderniser. En cela un plan, avec des objectifs, aiderait à canaliser des collaborations avec d’autres régions du monde, d’autres ruralités des montagnes qui, elles aussi, ailleurs, se remettent en question.

Aider la capitale, Stepanakert, à se reconstruire autrement. Avec le souci de répondre rapidement au relogement d’urgence, grâce à des solutions provisoires fiables et de nouvelles générations, expérimenter des architectures souples et mesurées, efficaces et recyclables. Penser, dans le même temps, à rebâtir la cité d’Artsakh à l’image d’une capitale qui regroupe et protège, qui rayonne et attire, une cité qui interpelle le monde par ses initiatives incessantes.

Depuis les hauteurs de l’Artsakh, affirmer sa différence. Bâtir cet îlot de démocratie qui survit à toutes les armes, puisque c’est la liberté de pensée qui représente l’unique menace dans cette région.

La question arménienne, la non reconnaissance du génocide, le doute qui plane sur l’Arménie, le danger mortel qui pèse sur l’Artsakh, tout cela représente la réalité, le présent des arméniens en ce début de XXIème siècle.

Le droit aux Arméniens de vivre sur leurs terres leur est toujours contesté. Cela demeure un enjeu tant que les Arméniens, plus que tout autre, feignent de croire que l’Arménie actuelle est éternelle. Aucune frontière n’est tangible et réellement stable.

Les frontières sont provisoires. Et lorsqu’elles deviennent inamovibles, c’est qu’elles sont devenues inutiles et que le combat se joue ailleurs.

L’Arménie doit devenir inévitable pour s’imposer à ses ennemis. Son indépendance doit être plus utile à ses voisins immédiats, qu’à elle-même. Si la diaspora arménienne jouait le début d’un rôle politique au service de l’Arménie, la question arménienne deviendrait un réel levier, l’Artsakh un sanctuaire intouchable.

Pour cela, il faut exister en tant qu’Arménien, pas simplement citoyen d’un pays particulier difficile à situer sur la carte, mais citoyen du monde. Citoyen d’un monde. Le seul que l’on partage tous.

L’Artsakh, actuellement non reconnu internationalement, deviendra-t-il une région arménienne si isolée, que par un effet miroir diabolique, une ironie de l’Histoire, il se réduira finalement à « notre » Nakhitchevan? Une enclave de survie coupée de son foyer national ?

Le parallèle est douteux si l’on convient que le Nakhitchevan souffre moins d’une séparation d’avec Bakou…, que d’une proximité trop large avec Ankara.

Le sort a voulu que nous soyons dispersés majoritairement sur le globe. Profitons de cette avance sur le destin des peuples et des grandes migrations qu’annonce l’avenir, pour être les modestes ambassadeurs de notre paix dans ce monde, les témoins de la solidarité entre nos peuples, les passeurs de nos pluri-cultures et les plus respectueux des identités diverses qui se mélangent aux nôtres.

Éclairons l’Arménie impliquée actuellement dans un processus de mutation, pour intégrer sa dimension diasporique suprême. Il est grand temps d’écouter la Terre plus que de s’attacher à son lopin arménien.

Demain, des peuples s’arracheront de leur maison, quitteront leur pays, sans guerre, sans ennemi à l’horizon. Soyons les nouveaux indiens en phase avec l’intemporel et apprêtons-nous à accueillir les peuples lassés de l’ancien monde, les « bientôt déracinés ». Beaucoup passeront par l’Arménie.

Les îles ont toujours été convoitées, envahies, mais elles fabriquent inexorablement des autochtones. L’Irlande fabrique des irlandais. Le Japon, des japonais. Faisons de l’Arménie, cette « île montagne », un sanctuaire d’humanité.

N’attendons pas que l’eau monte jusqu’au pied de l’Ararat pour affronter le déluge.
Notre avenir ne se lira pas dans le marc de café, puisque l’éternité existe.
C’est le présent.

Charles Sansonetti, réalisateur

La rédaction
Author: La rédaction

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