Loin de provoquer une crise, du moins pour le moment, la démission soudaine du président de la République arménienne Armen Sarkissian a été l’occasion d’une rare convergence de vues au sein d’un Parlement arménien très polarisé, où la majorité progouvernementale et l’opposition sont pour une fois tombées d’accord, lundi 24 janvier pour critiquer le motif avancé par le président pour expliquer son geste et dans la foulée, dénoncer son bilan. A.Sarkissian avait annoncé son départ la veille, prenant de court l’ensemble de la classe politique, même si les désaccords entre le président aux fonctions essentiellement protocolaires et le chef de l’exécutif, le premier ministre Nikol Pachinian, étaient criants, surtout depuis la défaite arménienne dans la guerre du Karabagh de l’automne 2020. Le président Sarkissian, qui avait alors demandé la démission de Pachinian, a justifié sa démission par le fait qu’il n’avait par les pouvoirs constitutionnels requis pour faire face aux difficultés critiques du pays. Les députés du parti Contrat civil au pouvoir comme ceux de l’opposition, très minoritaire à l’Assemblée nationale, ont fait valoir d’une seule voix que le président Sarkissian était parfaitement informé de la nature protocolaire de la fonction présidentielle quand il a accepté ce mandat début 2018, des mains d’un Parlement qui était alors très largement acquis à l’ancien président Serge Sarkissian (sans parenté). L’élection d’A. Sarkissian sera le dernier acte politique du régime de Serge Sarkissian, qui sera renversé quelques jours après par la Révolution de velours, alors qu’il cherchait à se maintenir au pouvoir sous les habits nouveaux de premier ministre, en vertu de la réforme constitutionnelle qu’il avait fait approuver par referendum en décembre 2015 et qui faisait de l’Arménie une République parlementaire. “Ne connaissait-il pas les limites de ses prérogatives quand il a été élu président?”, s’est exclamé le député du Contrat civil Khachatur Sukiasian en ajoutant : “Il aurait dû s’informer des termes de la Constitution avant de prendre ses fonctions”.Sukiasian, qui est aussi un riche homme d’affaires, est allé jusqu’à remettre en cause le patriotisme de Sarkissian et son attachement à l’Arménie. “Quand un Arménien conserve 90 % de son capital dans un pays étranger, je ne peux m’empêcher de me demander dans quelle mesure il aime la République d’Arménie” et a foi en elle, a poursuivi le député de la majorité, dans une allusion à la fortune amassée par Sarkissian en Grande-Bretagne. Sarkissian, 68 ans, a vécu et travaillé à Londres pendant près de trois décennies.
L’ancien président Serge Sarkissian lui avait offert la présidence dans le cadre du basculement de l’Arménie d’un régime présidentiel vers un système parlementaire. Le Parlement alors contrôlé par le Parti Républicain d’Arménie (HHK) de Serge Sarkissian (HHK) avait élu le nouveau président pour un mandat de sept ans en mars 2018. Hayk Mamijanian, un député de l’opposition affilié au HHK, a accusé A. Sarkissian de ne pas avoir été à la hauteur de sa fonction depuis lors. “Il chante le même refrain depuis quatre ans”, a déclaré Mamijanian devant les journalistes en ajoutant : “En parlant des mêmes choses — pouvoirs, pouvoirs, pouvoirs – pendant quatre ans, je ne puis le comprendre”. Les alliés politiques de Serge Sarkissian ont été particulièrement virulents dans leurs critiques adressées au président démissionnaire. Ils lui reproche de ne pas avoir eu le courage de s’opposer aux tendances autoritaires de Nikol Pachinian. En vertu de la Constitution arménienne, le président du Parlement Alen Simonian assumera l’interim de la présidence laissée par Sarkissian, si toutefois ce dernier ne revient pas d’ici une semaine sur sa décision de démissionner. Dans ce cas, l’Assemblée nationale devrait élire un nouveau chef d’Etat dans les 35 jours. Pour devenir président dès le premier tour de scrutin, un candidat doit avoir le soutien d’au moins 81 des 107 membres du Parlement. Ce quota est de 65 votes pour un second tour. Le Contrat civil de Pachinian contrôle 71 sièges du Parlement, et est donc bien placé pour désigner un nouveau président qui serait plus en phase avec sa politique. Le parti au pouvoir n’a toutefois pas encore fait savoir qui il voudrait voir à ce poste. Les deux formations de l’opposition à l’Assemblée nationale n’ont pas fait savoir de leur côté si elles entendaient présenter un candidat a ce poste.