Un accord de coopération russo-azéri qui a de quoi inquiéter l’Arménie et le Karabagh

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Dans le tumulte d’une guerre qui a vocation à rebattre les cartes à l’Est de l’Europe, où l’armée russe a lancé jeudi 24 février une offensive massive contre l’Ukraine, un accord de coopération conclu entre les présidents russe Poutine et azerbaïdjanais Aliev est passé presque inaperçu. Il pourrait être lourd pourtant de conséquences pour l’Arménie, toujours plus isolée et tenue de s’aligner sur les positions de son encombrant allié russe. Le président Poutine, qui préparait activement cette offensive depuis des mois, sinon des années, n’a rien laissé au hasard : avant de lancer ses troupes à l’assaut de l’Ukraine, il assurait ses arrières au Sud Caucase en offrant quelques garanties à l’Azerbaïdjan, dont il recevait le président, Ilham Aliev au Kremlin le 22 février. Le moment était propice, puisque le président russe devait proclamer le même jour l’indépendance des provinces russophones du Donbass, à l’Est de l’Ukraine, qu’il soutenait militairement depuis 2014. La reconnaissance de cette indépendance, première étape d’une offensive que Poutine a justifiée en invoquant a nécessité de stopper le « génocide » que le régime « nazi » de Kiev commettrait sur ses protégés russophones du Donbass, avait de quoi inquiéter le président azéri, qui a lui aussi un problème de séparatisme qui l’oppose depuis trois décennies à l’Arménie, proche alliée de la Russie qui y entretient sa principale base militaire au Sud Caucase: Aliev avait lâché son armée, avec l’aide active de la Turquie, à l’automne 2020 sur les Arméniens du Karabagh pour briser leurs velléités d’indépendance, au nom de l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan, qu’il estime toujours bafouée, alors que l’armée russe garantit pour cinq ans, depuis le cessez-le-feu du 9 novembre 2020 qui a mis un terme à six semaines de guerre, la sécurité de ce qui reste du Karabagh arménien. Force est de constater que lors de cette rencontre, Poutine s’est employé à dissiper les inquiétudes de Bakou concernant une éventuelle reconnaissance russe de l’indépendance du Karabagh, en mettant l’accent sur le respect de l’intégrité territoriale, principe cher aussi au président turc Erdogan, qui s’est empressé de le rappeler au même moment à la Russie, en dénonçant l’offensive russe contre l’Ukraine. Celle-ci a d’ailleurs demandé l’aide de la Turquie, qui lui a déjà fourni des armes, dont ces redoutables drones qui firent tant de dégâts au Karabagh. Mais si, dans la crise ukrainienne, Erdogan renoue avec une rhétorique atlantiste oubliée pour condamner l’agression russe, au Sud Caucase en tout cas, le voilà pour l’instant rassuré lui aussi quant aux intentions russes et à l’intégrité territoriale de son allié azéri, d’autant qu’au même moment, les envoyés spéciaux arménien et turc se rencontraient jeudi pour un deuxième tour de pourparlers à Vienne en vue de la normalisation des relations arméno-turques, processus encouragé par la Russie comme par l’Occident. Le texte qu’a signé le président Poutine avec Aliev, qui s’empressait de téléphoner à son allié Erdogan au lendemain de cette rencontre à Moscou mardi, est de nature en revanche à inquiéter la partie arménienne, « la coopération alliée” qu’il prévoit devant servir de socle au développement des relations entre les deux pays. Ces accords semblent avoir pris de court l’Arménie, dont le premier ministre Pachinian se sentait dans les bonnes grâces du Kremlin pour avoir été invité par Poutine à Moscou pour une visite d’Etat, marquant le 30e anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre l’Arménie et la Russie ; des relations toujours plus difficiles à assumer d’ailleurs pour la démocratie arménienne, étroitement tributaire, pour sa sécurité, de Moscou et de ses doubles jeux, mais désireuse de préserver ses liens avec l’Occident, un exercice d’équilibriste extrêmement hasardeux à l’heure où la guerre embrase l’Ukraine qui, de son côté, s’est toujours rangée certes aux arguments de Bakou dans le conflit du Karabagh, et s’est montrée bien plus proche de l’Azerbaïdjan que de l’Arménie. Engagées dans un double dialogue à but unique avec l’Azerbaïdjan et avec la Turquie, sous la houlette de Moscou, les autorités arméniennes n’ont pu dissimuler leur trouble à l’annonce de la profession de foi d’amitié russo-azérie. Le représentant du président du Parlement arménien et membre du parti Contrat civil de Pachinian, Hakob Archakyan, a ainsi expliqué aux journalistes mercredi que Erevan devait encore étudier le document avant de faire quelque commentaire. Il laissait néanmoins entendre que des Etats souverains étaient en droit de mener la politique étrangère de leur choix… ce qui vaudrait tant pour l’Ukraine que pour l’Arménie, si tant est qu’elles soient encore des Etats souverains. “Il n’y a pas encore de réponse. Le texte sera sérieusement étudié, et alors, je pense qu’il y aura une réponse rapide”, a indiqué Archakyan, vantant le partenariat stratégique liant Moscou à Erevan, a rapporté Armenpress. Le ministère arménien des affaires étrangères de la même manière a invoqué les accords existants entre l’Arménie et la Russie, en précisant que le document signé par Poutine et Aliev mardi ne saurait porter atteinte aux relations avec Moscou, “sauf à ce que les parties n’en développe les termes au détriment de l’alliance russo-arménienne”. Répondant à une enquête menée par Sputnik Armenia, le porte-parole du ministère arménien des affaires étrangères Vahan Hunanyan a indiqué que Erevan et Moscou à différents niveaux prennent des mesures constantes en vue de “développer leurs relations sur le plan bilatéral et multilatéral au profit du développement de nos pays dans les conditions de garanties de sécurité”. Hunanyan avait ajouté qu’Erevan espérait que l’accord Russie-Azerbaïdjan “fournira une opportunité supplémentaire d’avancer dans la mise en œuvre des dispositions contenues dans les trois déclarations trilatérales adoptées par les leaders de l’Arménie, de la Russie et de l’Azerbaïdjan, ce qui pourrait contribuer à un règlement durable du conflit du Haut-Karabagh sous les auspices des coprésidents du Groupe de Minsk de l’OSCE”. Mais une telle perspective est-elle encore à l’ordre du jour alors que la crise durable qui s’est installée entre la Russie et l’Occident en raison de la guerre en Ukraine compromet le consensus entre les trois pays coprésidant le processus de paix de Minsk paix sous l’égide de l’OSCE, déjà soumis à rude épreuve par la guerre du Karabagh ? L’opposition arménienne en doute fortement en tout cas, et n’a pas manqué de dénoncer l’optimisme, certes mesuré, que voudrait afficher le gouvernement. L’annonce de l’accord russo-azéri a fourni une nouvelle occasion aux forces d’opposition arméniennes de critiquer le régime de Pachinian, en faisant valoir que ce texte signé par la Russie et l’Azerbaïdjan constituait un nouveau revers politique, qu’il faut attribuer à la façon catastrophique selon elles, dont Pachinian aurait géré les relations avec Moscou. “Ce document souligne la politique étrangère complètement erronée des autorités arméniennes actuelles”, a ainsi déclaré Artur Khachatryan, une figure de proue de l’alliance d’opposition Hayastan, qui, cité par Azatutuyun.am, aurait ajouté : “Nous avons perdu de vieux amis mais n’en avons gagné aucun de nouveau”. “Ils ont sapé nos relations avec la Russie … et ce document aussi montre que quelque chose ne va pas dans les relations [russo-arméniennes]”, a conclu le député de l’opposition devant les journalistes. Dans ce nouvel accord, la Russie et l’Azerbaïdjan s’engagent à suivre “les objectifs et les principes de la Charte des Nations unies (ONU), de l’Acte final d’Helsinki et d’autres textes de consensus de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), les principes et normes universellement reconnus de la législation internationale”, ce qui ne manque de cynisme, d’un côté comme de l’autre, quand on sait comme ont été foulés aux pieds ces principes sur lesquels s’appuient les deux processus de Minsk sous l’égide de l’OSCE, l’un pour le Karabagh, l’autre pour l’Ukraine. Le texte évoque aussi les accords signés entre les leaders de l’Arménie, de l’Azerbaïdjan et de la Russie le 9 novembre 2020, mettant fin à la vaste offensive militaire menée par l’Azerbaïdjan contre le Karabagh, ainsi que les documents signés le 11 janvier 2021 et le 26 novembre 2021, qui prévoient l’établissement de groupes de travail chargés de discuter d’une réouverture des axes de transport entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan et du processus de délimitation et de démarcation des frontières entre les deux pays du Sud-Caucase. A cette fin, la Russie et l’Azerbaïdjan se sont engagés à coopérer pour faire face aux problèmes soulevés par les termes des déclarations susmentionnées et à “coopérer étroitement tant au niveau régional qu’international pour promouvoir l’établissement d’une paix sur le long terme entre les Etats de la région”. L’accord porte aussi sur la coopération militaire, ce qui n’a rien d’étonnant alors que la Russie a vendu des années durant pour des milliards de dollars d’armements à l’Azerbaïdjan, au grand dam de son allié arménien, mais qui peut néanmoins poser problème, alors que la Turquie a renforcé son influence militaire en Azerbaïdjan, avec lequel elle a contracté une alliance après l’avoir aidé à remporter la guerre contre les Arméniens au Karabagh. Les parties vont approfondir l’interaction entre les forces armées de la Fédération de Russie et de la République d’Azerbaïdjan, y compris en organisant des exercices conjoints d’entraînement au combat, ainsi qu’en développant certains secteurs de la coopération bilatérale militaire”, précise le texte de l’accord qui ajoute : “Les parties, prenant en considération le haut niveau de coopération militaro-technique, interagissent sur les questions relatives à l’acquisition d’armes et d’équipements militaires modernes, ainsi que dans d’autres domaines d’intérêt mutuel”. La Russie et l’Azerbaïdjan ont aussi été d’accord pour “supprimer résolument de leurs territoires les activités d’organisations et de personnes portant directement atteinte à leur souveraineté d’Etat, à l’indépendance et à l’intégrité territoriale de l’autre partie”. Le Karabagh et l’Arménie apprécieront… Erdogan davantage qui, après la nouvelle rencontre des envoyés spéciaux arménien et turc à Vienne, se félicitait des perspectives ouvertes par ce dialogue vers la normalisation des relations avec l’Arménie et la réouverture de la frontière arméno-turque ! Reste que dans le contexte délétère de la guerre en Ukraine, les termes de l’accord russo-azéri paraissent purement conjoncturels et n’ont rien de définitif…

Garo Ulubeyan
Author: Garo Ulubeyan

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