Poids de la défaite, conséquence des menaces extérieures, impuissance militaire et horizon diplomatique restreint : l’arménosphère vit l’une des pires crises de son Histoire depuis l’accession à l’indépendance, en septembre 1991. Et comme il est de coutume en pareille circonstance, la recherche de boucs émissaires intérieurs tient lieu de débouché politique. Car il faut bien trouver des responsables, n’est-ce pas ? Désigner des coupables, donner du grain à moudre à son camp, sauver sa foi, entretenir les fidélités. Fût-ce au prix de querelles fratricides sous les applaudissements de l’ennemi. La période que nous vivons depuis la signature du cessez-le-feu du 9 novembre 2020 a, hélas, offert un riche panorama de ce triste spectacle. L’attaque contre le Parlement d’Erevan, avec le lynchage de son président, Ararat Mirzoyan (actuel ministre des Affaires étrangères), a constitué la première étape de cette « résistance » censée préparer le retour de l’ancien régime. Rien ne nous aura été épargné : blocage pendant des mois des rues d’Erevan, insultes en guise d’arguments, démagogie nationaliste téléguidée par les caciques de l’ancien régime. Voilà plus de deux ans que se multiplient ces invectives stériles qui tirent vers le bas notre démocratie, exacerbent les passions tout en contaminant la diaspora.
« Tout ce qui est excessif est insignifiant » disait Talleyrand. Et dans notre cas, « dangereux ». L’injure, la diffamation n’ont jamais procédé de l’agora ni fait progresser les idées. Et c’est rarement servir la patrie que de vilipender à l’étranger ses dirigeants élus.
À cet égard, qu’il soit tout de même permis de signaler l’exception française. On peut dire ce que l’on veut du CCAF, mais la coprésidence aura, au moins, permis de gérer avec une certaine civilité les désaccords et orienter la mobilisation sur l’essentiel : la défense de l’Etat arménien et celle de la république du Haut-Karabakh.
Exception faite de l’épisode de la venue de Pachinian à Paris, le 1er juin 2021, qui a donné lieu à des débordements inacceptables, la gestion des contradictions politiques internes a été relativement contrôlée. On se souviendra, notamment dans ce cadre, des entretiens cordiaux entre Ararat Mirzoyan et les coprésidents du CCAF dont Mourad Papazian, membre du bureau mondial de la FRA, à l’ambassade d’Arménie, en novembre 2021, alors que le même ministre des Affaires étrangères avait été houspillé par cette même FRA à New-York. On se rappellera de sa prise de parole lors de l’inauguration de l’Esplanade d’Arménie, le 10 décembre 2021, organisée dans l’unité. On se souviendra que les critiques contre le positionnement, pour le moins malvenu, du Haut-commissaire à la diaspora en faveur d’un petit groupe hostile au CCAF lors de sa venue en France, en février 2022, sont restées dans les limites du débat démocratique, sans dégénérer en attaques personnelles contre Zareh Sinanyan, ni en demande de démission, et encore moins en campagne en ce sens. Et ce, en dépit du fait que certains courtisans zélés du Haut-commissaire dans l’Hexagone n’hésitaient pas, dans l’espoir de bénéficier de ses faveurs, à réclamer des têtes dont celles de la coprésidence du CCAF, jugée pour l’un de ses membres trop hostile au régime et pour l’autre, sans doute trop unitaire avec la FRA, malgré son soutien affiché à Pachinian au pire moment de la défaite ! L’on se pose en s’opposant, c’est bien connu. Ainsi va la politique politicienne.
Alors, bien sûr, il ira toujours de soi d’attendre plus et mieux d’une structure ou d’une représentation communautaire, quand bien même celle-ci n’a pas à rougir de son bilan, bien au contraire. N’a-t-elle pas institutionnalisé la prise en compte républicaine de la solidarité franco-arménienne à travers le dîner annuel du CCAF ? N’a-t-elle pas obtenu la journée nationale de commémoration du 24 avril et, en complémentarité avec la diplomatie de l’Arménie et de l’Artsakh, la reconnaissance du Haut-Karabakh par l’Assemblée nationale, le Sénat et 70 collectivités territoriales, parmi les plus importantes? Un tel résultat aurait-il été possible sans la dynamique de l’unité dont le CCAF, qui regroupe l’immense majorité du monde associatif arménien, est le promoteur et le garant ? Qu’il soit permis d’en douter.
En fait, les autorités arméniennes, quel que soit le régime, disposent d’une chance en or de pouvoir s’appuyer sur ce type d’outil que beaucoup jalousent. Alors, bien sûr, sans attendre de remerciements, comment ne pas être surpris par certaines attitudes, qui participent à leur niveau du désordre et de ce climat de division, dont on ne peut franchement pas se permettre le luxe, surtout en ce moment.
En ces temps d’inquiétude pour l’avenir du pays, le moment n’est-il pas venu d’affirmer le prima de l’essentiel sur l’accessoire, du tout sur la partie ? Simple question de maturité politique et…de bon sens.
Ara Toranian