Ce que disent les accords d’Alma-Ata, nouvelle base de négociations

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Selon les cartes disponibles l’Azerbaïdjan occupe 2 à 3% de l’Arménie, et selon la chronologie l’Artsakh a déclaré son indépendance avant Bakou. 

Le 6 octobre dernier à Prague, Nikol Pachinian et Ilham Aliev ont accepté de rester fidèles aux accords d’Alma-Ata conclus en décembre 1991. Ce document, signé par onze des quinze républiques soviétiques, dont l’Arménie et l’Azerbaïdjan, actait la dislocation de l’URSS et la création de la Communauté des États Indépendants (CEI). Les signataires affirmaient fonder des Etats de droit basés sur les principes de la démocratie, adhérer aux principes figurant dans la Charte des Nations Unies et dans l’Acte final d’Helsinki et respecter les dispositions des traités internationaux sur les droits de l’homme et les droits des peuples. Hormis une série d’engagements en matière de coopération dans les domaines politique, économique, culturel et éducatif, cet accord stipulait clairement le non-recours à la force, la coexistence pacifique et le respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté des états signataires.

L’Artsakh et l’Azerbaïdjan
Le communiqué d’Aliev et de Pachinian à Prague a donné lieu à de vifs commentaires en Arménie. Naturellement, l’opposition politique a sauté sur l’occasion pour accuser Pachinian d’accepter la souveraineté azerbaïdjanaise sur l’Artsakh en reconnaissant l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan. Rappelons cependant que la déclaration d’Alma-Ata fut signée en décembre 1991, alors qu’au mois de septembre de la même année le parlement d’Artsakh avait déjà déclaré son indépendance. Quand le 6 octobre dernier Nikol Pachinian parle de la « déclaration d’Alma-Ata » lors de la rencontre organisée par Emmanuel Macron et le président du Conseil de l’Europe Charles Michel, il ne fait qu’évoquer un document qui demeure toujours en vigueur. La déclaration d’Alma-Ata précise que « les parties reconnaissent et respectent mutuellement leur intégrité territoriale et l’inviolabilité des frontières existantes. » Il s’agit plus exactement des frontières des anciens États membres de l’URSS. Rappelons que le conseil suprême de l’Azerbaïdjan avait adopté le 30 août 1991 la déclaration concernant le « rétablissement de l’indépendance étatique de l’Azerbaïdjan », et le 18 octobre de la même année, l’acte constitutionnel correspondant. Bakou renonçait, ainsi, à être l’héritier de l’Azerbaïdjan soviétique et se considérait comme successeur de la République démocratique d’Azerbaïdjan déclarée le 28 mai 1918 et ayant duré deux ans, jusqu’au 28 avril 1920. Notons aussi que l’Artsakh n’a jamais fait partie de la République démocratique d’Azerbaïdjan. Mieux, il s’est déclaré indépendant par référendum et est sorti de l’Azerbaïdjan soviétique en 1991.
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Des incongruités
Le cartographe Rouben Galichian pense que la référence à la déclaration d’Alma-Ata durant la rencontre de Prague ne poursuivait qu’un but, celui de faire sortir les troupes azéries du territoire souverain de l’Arménie, et n’était nullement en lien avec la question de l’Artsakh. « Par ordre de Staline en 1921, le Karabagh a été cédé à l’Azerbaïdjan et obtenu un statut de région autonome. Cela signifie que le Karabagh se trouvait dans les frontières de l’Azerbaïdjan mais avec un droit à l’autonomie », explique Rouben Galichian. Pour ce qui est des incursions dans le territoire arménien proprement dit, selon le cartographe, les Azéris doivent reculer de 8 à 10 km à Djermouk, et sortir leurs troupes du territoire souverain de l’Arménie à Sev Lidj, à Ichkhanassar, à Sotk, etc. Mais il reconnaît des incongruités qui compliquent la délimitation des frontières arméno-azéries. Il existe plusieurs cartes qui varient les unes des autres ; dont une qui est gardée secrète. Rouben Galichian connaît la plupart d’entre elles et maîtrise son sujet. Dans chacune de ces cartes, les frontières de l’Arménie et de l‘Azerbaïdjan sont tracées de manière différente et ont, en réalité, subi des modifications qui ne sont basées sur aucun principe sérieux et n’ont aucune valeur juridique internationale. En étudiant l’évolution cartographique, on remarque que le territoire de l’Azerbaïdjan a cru progressivement au détriment des terres arméniennes.
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Le Nakhitchevan
« Même s’il n’y a aucune annexe, la déclaration d’Alma-Ata a été signée sur la base des cartes tracées pendant la période soviétique par l’État-Major de l’URSS ; ces cartes sont secrètes et ne sont pas accessibles à la consultation. Bien sûr, le ministère arménien de la Défense et le Comité national du cadastre possèdent des copies de certaines d’entre elles, mais ce sont principalement celles de 1991. Ce n’est que récemment que quelqu’un les a divisées en 250 parties, s’agissant de cartes très détaillées et les a diffusées sur internet. Les gens ne connaissent que la version géographique de ces cartes, dans notre cas c’est celle que nous avons l’habitude de voir. Du point de vue du droit international, lorsque des pays déclarent leurs indépendance, ils doivent avoir en tête des frontières bien concrètes, sinon cela n’a aucun sens. Alma-Ata se base justement sur cette carte, cependant le vrai territoire de la République d’Arménie a sans cesse subi des modifications en sa défaveur. Hélas nous n’avons aucune trace de celles établies en 1921-1922 ». D’après Galichian, les frontières des années 20 ne sont pas favorables à l’Azerbaïdjan. À l’époque, le Nakhitchévan était sous souveraineté arménienne et il n’existait pas d’enclaves azerbaïdjanaises sur le territoire de l’Arménie ; elles ont fait leur apparition entre 1927 et 1936, quand des territoires arméniens ont été donnés à l’Azerbaïdjan sous le prétexte de créer ce qui devait être le Kurdistan Rouge. Il s’agit de plus de 1 000 km2. Mais ce projet de création du Kurdistan Rouge fut vite abandonné sans pour autant que les terres en question soient rendues à l’Arménie. Pour M. Galichian, il faut absolument porter cette question devant les tribunaux internationaux.
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Cartes tenues secrètes
« Poutine dit que la Russie doit forcément participer à la démarcation des frontières arméno-azéries puisque personne d’autre n’a les cartes que Moscou détient. L’État-Major de la Russie soviétique avait tracé entre 1921 et 1923 les cartes des frontières de l’Arménie, de la Géorgie et de l’Azerbaïdjan. Ces cartes ne nous ont jamais été remises et sont conservées à Moscou. Ils ne nous les montrent même pas. Je pense que ces cartes nous sont favorables puisque les enclaves ne devraient pas y figurer et les territoires d’Al Lidj et de Sev Lidj, tout comme ceux de Chournoukh, d’Ichkhanassar de Goris étaient à nous, sûrement », poursuit Galichian. En 1926, une carte de l’Arménie valable au 1er avril de la même année et validée par le NKVD (les services de sécurité soviétiques) a été publiée dans la première Grande Encyclopédie soviétique. Il s’agit donc d’une carte officielle, sur laquelle Rouben Galichian s’est longuement penché. Carte à l’appui, Galichian démontre comment les terres arméniennes année après année ont été cédées à Bakou. Il confirme que sur les cartes de 1926 il n’y avait pas d’enclaves, que l’Artsakh était collé à l’Arménie et seul le fleuve Aghavno passait entre eux, que la région d’Artzvachène dans sa totalité était arménienne, etc. Et ce qui est intéressant, c’est que toutes ses preuves correspondent aussi à la carte de l’Azerbaïdjan de cette même époque. Dans une autre carte publiée en 1927, les terres entourant Artdvachène sont déjà représentées à l’intérieur des frontières de l’Azerbaïdjan et seul le village reste à l’intérieur de l’Arménie. Dans celle de 1932, apparaissent d’autres enclaves azerbaïdjanaises (Barkhoudarlou, Soflou, etc.) au sein de l’Arménie dans le Tavouch alors que Artzvachène est désormais complètement coupé de l’Arménie et représenté comme une enclave en Azerbaïdjan. La carte de 1940, quant à elle, fait état d’une nouvelle enclave azérie, celle de Tigranachène-Kiyarki.

Les intérêts russo-azéris
« Nous devons commencer un processus de délimitation et récupérer, par l’intermédiaire des tribunaux internationaux, nos terres qui ont été données à l’Azerbaïdjan dans les années 1920. Si nous avions commencé ce processus en 1994, alors que nous étions victorieux, nous aurions eu gain de cause. Mais nous n’avons rien fait. L’Azerbaïdjan s’est armé, pendant que nos généraux et commandants devenaient millionnaires », se désole le cartographe. Aux dires de M. Galichian, l’Azerbaïdjan occupe en ce moment 2 à 3 pour cent du territoire arménien souverain. Il pense que les cartes détenues secrètement au Kremlin nous sont favorables, c’est la raison pour laquelle les Russes hésitent à les dévoiler. Il soupçonne même les Russes d’être capables de les falsifier pour pouvoir présenter les terres proprement arméniennes sous forme d’enclaves. « Les Russes sont pro-azerbaïdjanais parce qu’ils s’enrichissent grâce à eux. Il en a toujours été ainsi ; non seulement pendant les années soviétiques mais aussi à l’époque des tsars ». Que la question de l’Artsakh ne soit pas close par la déclaration d’Alma-Ata, même certains cercles de l’opposition l’admettent. Le responsable dachnag Guégham Manoukian l’a soutenu récemment lors d’une visioconférence. Ce député du parlement arménien a réagi vivement au discours azerbaïdjanais soutenant que le conflit du Haut-Karabagh et la question de l’autodétermination des Arméniens de l’Artsakh n’existent plus et qu’ils ne sont plus discutés au cours des rencontres Pachinian-Aliev. M. Manoukian argumente en rappelant que le Conseil suprême de la république d’Arménie avait validé la déclaration d’Alma-Ata à la réserve près que l’intégrité territoriale ne valait pas renonciation au droit des peuples à l’autodétermination. « L’Azerbaïdjan a signé la déclaration d’Alma-Ata alors que la République du Haut Karabagh était déjà déclarée », a-t-il rappelé.

Recours en justice possible
Khosrov Haroutiounian, l’ancien Premier ministre qui avait assisté à la cérémonie de la signature d’Alma-Ata, lui aussi insiste sur le fait qu’au moment de la signature de la déclaration le 21 décembre 1991, l’Artsakh était déjà hors de l’Azerbaïdjan et de l’URSS. Dans un premier temps, la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie ont signé le 8 décembre 1991, l’accord de Belovej (aussi appelé traité de Minsk), puis 13 jours plus tard, une nouvelle déclaration a été signée à laquelle se sont joints les huit autres états. Entretemps, l’Artsakh avait quitté l’URSS, conformément à la loi soviétique votée en avril 1991 légitimant le droit de quitter l’URSS. « Si nous prenons pour base la déclaration d’Alma-Ata de décembre 1991 pour la reconnaissance de l’intégrité territoriale, nous devons reconnaître que l’Artsakh ne faisait plus partie de l’URSS », dit M. Haroutiounian avant d’ajouter que la position adoptée pendant des années par les dirigeants arméniens affirmant qu’Erevan n’a aucun problème avec Bakou concernant l’intégrité territoriale est justement fondée sur ce constat. « Il est impossible de faire référence à la déclaration d’Alma-Ata sans tenir compte des événements au moment de sa signature. Il ne s’agit pas d’un document unilatéral. Cette déclaration du 21 décembre 1991 est un divorce politique à l’amiable. Nous avons l’opportunité de nous accrocher à elle. Je pense que l’évocation de l’accord d’Alma-Ata à Prague nous est utile. J’espère que nos autorités s’en serviront. Cela donne la possibilité de retourner à la table des négociations. Les dirigeants de l’Arménie doivent dire une chose, ce que dit d’ailleurs l’Occident aussi, à savoir que le conflit n’est pas réglé. Nous devons maintenant nous saisir de toutes les occasions qui se présentent », conseille Khosrov Haroutiounian. D’ailleurs l’ancien premier ministre considère le vote du 15 novembre dernier au Sénat français comme un levier de pression politique et une sérieuse opportunité pour parvenir à une justice sur la question de l’Artsakh. n

Gagik Aghbalyan
Traduit de l’arménien par H.Kéchichian

La rédaction
Author: La rédaction

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