Abriss Nikol, par René Dzagoyan

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Le 3 mars 2023, la Direction du Trésor français publiait un rapport pour le moins inattendu sur la situation économique de l’Arménie, dont les données rangent dans le placard des fake news les déclarations catastrophistes de l’opposition au gouvernement Pachinian. En effet, dès les premières lignes, nous dit le rapport, « L’Arménie a enregistré la plus forte croissance parmi les pays de l’Union économique eurasiatique au 1er semestre 2022, avec une hausse du PIB estimée à 11 % en glissement annuel, déjouant ainsi les prévisions de la Banque centrale d’Arménie et des institutions financières internationales. » De fait, la richesse produite en moyenne par individu en Arménie (le PIB par habitant) s’élève à 4 600 USD, ce qui la place juste derrière l’Azerbaïdjan, à 5 300 USD, et au coude à coude avec la Géorgie et l’Ukraine d’avant le conflit. Ce rebond, ajoute le rapport, est dû pour l’essentiel au dynamisme des services et du commerce, en hausses respectives de 26,9 % et 10,7 %. Mieux encore, selon le Trésor, la croissance de l’Arménie devrait atteindre 13 % en 2022. Notons, pour les nostalgiques du passé, que ce résultat contraste avec les historiques « moins 14 % » de 2008 sous le règne de Kotcharian, ou les 0.2 % de Serge Sarkissian en 2016. Autrement dit, sous la gouvernance Pachinian, mis à part la période de la « Guerre des 44 jours », la production intérieure de l’Arménie a régulièrement augmenté. So what comme on dit outre-Manche ? Qu’est-ce que cela change ? À peu près tout, à commencer par la sécurité du pays.
Une production intérieure à la hausse a naturellement relevé le niveau des recettes fiscales, ce qui a permis une augmentation des dépenses de l’État. Ainsi, durant l’ère Sarkissian, les dépenses publiques s’élevaient à 2,6 milliards d’€ en 2017, et s’infléchissaient à 2,5 milliards d’€ en 2018. En 2019, première année fiscale Pachinian, les dépenses d’État atteignaient 3 milliards d’€, puis 3.4 milliards d’€ en 2020, soit une évolution de 44 % en deux ans. Précisions qu’entre-temps, ceux qui se servaient dans les caisses de l’État à grands coups de louche ont été éloignés de la marmite.
D’aucuns pourraient accueillir ces chiffres avec un haussement d’épaule n’était l’incidence de cette croissance sur la sécurité du pays. Selon les données de la Banque Mondiale, sous le règne de Kotcharian, les dépenses militaires s’élevaient à 247 millions USD en 2008. De 2008 à 2018, Sarkissian les portaient à 513 millions USD, soit un doublement en 10 ans. Mais dès son arrivée, Pachinian porte le budget 2019 à 652 millions USD, soit une hausse de 27 %, pour le stabiliser autour de 620 millions USD en 2020 et 2021. Mais grâce à la croissance, pour l’année 2023, le budget est porté à 1,2 milliard USD, c’est-à-dire un doublement des dépenses militaires en un an seulement. Une performance que les partisans de l’ancien système se gardent bien de mentionner. On les comprend. À l’heure où la Russie a quasiment arrêté toute livraison d’armes, dans l’espoir de l’arrivée de ses partisans au pouvoir, cette marge financière nouvelle permet à l’Arménie de chercher d’autres appuis et d’autres fournisseurs, en particulier du côté de la France, dont l’aide discrète n’en est pas moins réelle, et de l’Inde, avec qui, au durant l’été 2022, Erevan a signé un contrat de 244 millions USD, portant sur la fourniture de missiles supersoniques Brahmos, d’anti-drones Astra, de radars Swathi, de lanceurs de roquettes Pinaka, etc. Une alliance commerciale qui s’est prolongée en alliance stratégique. En effet, lors de sa visite à Erevan en octobre 2022, S. Jaishankar, ministre des Affaires étrangères indien, a validé la proposition d’Ararat Mirzoyan son homologue, portant sur la création d’une route commerciale partant du port de Mumbaï en Inde pour arriver au port de Chabahar en Iran, et qui aboutirait en Arménie, puis en Géorgie, accédant ainsi à la mer Noire et à l’Europe. L’Arménie lieu de transit de l’acier, des produits chimiques et du riz indien vers l’Europe, voilà qui mérite d’être militairement sécurisé. D’où la constitution de l’alliance militaro-commerciale Erevan-Téhéran-New Delhi, au grand dam de Bakou.
Cette santé économique confortée par ces nouvelles alliances explique sans doute l’obstination d’Erevan à ne rien céder à Bakou, ni sur le corridor est-ouest, ni sur la cession du Karabagh, que l’opposition lui reprochait de vouloir brader. Obstination qui n’a pas empêché les États-Unis d’appuyer Erevan, ni la Turquie d’entamer des négociations de paix, quitte à irriter son partenaire azéri. Notons que ce sont là les premières avancées diplomatiques significatives de l’Arménie en 30 ans, qui lui donnent sur la scène internationale une place et une visibilité sans commune mesure avec sa taille ou son importance militaro-économique. En résumé, on ne voit guère ce que l’on pourrait reprocher à la politique de Pachinian, surtout après comparaison avec les bilans de ses prédécesseurs. Certes, on pourrait désavouer quelques excès d’autoritarisme, notamment vis-à-vis des tenants de son opposition, mais gageons que le peuple lui pardonnera ces pulsions de césarisme. Les opposants, qui lui reprochent ses écarts parce qu’ils en sont les victimes, n’ont-ils pas pardonné à Kotcharian le meurtre des manifestants du 1er mai 2008, l’assassinat de Vazgen Sargsian, et le massacre du Parlement ?
Certes, pour beaucoup, le Pachinian-bashing est devenu une règle. Les peuples ne sont pas réputés pour leur reconnaissance. « Toujours, disait De Gaulle, le chef est seul face au mauvais destin. » Face au bon aussi. La politique est une longue solitude. Particulièrement chez les Arméniens. Au vu de ce bilan, se trouvera-t-il un jour quelqu’un pour crier à cet homme seul « Abriss Nikol ! » ?

René Dzagoyan

La rédaction
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