La succession d’événements tragiques qu’a connus l’Arménie, depuis la défaite face à l’Azerbaïdjan dans la guerre de l’automne 2020 jusqu’à la disparition du Karabagh arménien fin septembre, a relégué dans un lointain passé sinon condamné à l’oubli une affaire qui avait pourtant défrayé la chronique judiciaire et politique d’Arménie des mois durant et qui reste néanmoins, aux yeux de l’opposition arménienne, comme une preuve manifeste des efforts déployés par le gouvernement de Nikol Pachinian pour assurer son emprise sur l’appareil judiciaire du pays, qu’il affirme pour sa part vouloir réformer en vue d’en assurer l’indépendance. Cet épisode tumultueux de la vie politique arménienne s’est rappelé au souvenir des Arméniens au détour de la décision, tardive, de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), qui a attendu plus de trois ans avant de rejeter la procédure en appel qu’avaient engagée l’ancien président et trois autres membres de la Cour constitutionnelle d’Arménie, en vue de dénoncer leur révocation orchestrée par le premier ministre Pachinian. Les magistrats de la plus haute cour de justice d’Arménie avaient été soumis à forte pression du gouvernement de Pachinian pour démissionner en 2019, Pachinian les accusant de garder des liens étroits avec l’ancien gouvernement arménien et de faire obstacle à ses “ réformes judiciaires ». Faute d’avoir obtenu leurs démissions par ses pressions, le gouvernement de Pachinian mettra en œuvre des amendements constitutionnels controversés un an après qui lui permettront de parvenir à ses fins. Les amendements avaient fixé à 12 ans la durée limite d’exercice du mandat des neuf membres de la Cour Constitutionnelle, ce qui entraînait le départ immédiat de trois des juges sur la sellette qui étaient en fonction depuis les années 1990. En vertu de ces nouveaux textes, Hrayr Tovmasian, se voyait contraint de renoncer à la présidence de la Cour, dans laquelle il était cependant autorisé à siéger, en qualité de simple membre. Tovmasian et les trois autres juges mis à la retraite forcée — Alvina Gyulumian, Felix Tokhian et Hrant Nazarian – avaient dénoncé ces amendements comme nuls et non avenus pour n’avoir pas été soumis au préalable à l’examen de la Cour constitutionnelle. L’opposition arménienne, vent debout, avait aussi accusé l’équipe politique de Pachinian de violer allègrement cette procédure légale. Tovmasian, Gyulumian, Tokhian et Nazarian s’étaient pourvus en appel devant la CEDH, en arguant qu’ils avaient été contraints à la démission en violation de plusieurs articles de la Convention européenne sur les droits de l’homme, dont l’un, notamment, garantit leur “accès à la cour ”. Dans son verdict rendu public jeudi 7 décembre, et que l’on n’attendait plus, la plus haute cour européenne, dont le siège est à Strasbourg, s’est gardé d’invalider, ni même de mettre en doute, la mesure révocatoire, estimant qu’elle résultait de changements constitutionnels qui “ne visaient pas eux-mêmes en particulier ” les juges limogés. La Cour européenne affirme ne pas avoir trouvé de “preuves de quelque remarque négative des autorités visant les plaignants, que ce soit sur leur activité professionnelle, leur personnalité ou leur moralité ”. Pachinian et ses alliés politiques n’avaient pourtant jamais caché que les amendements qu’ils avaient fait voter par le Parlement sous leur contrôle avaient pour objectif principal de déloger les membres de la Cour constitutionnelle qui avaient été mis en place par le régime précédent des anciens présidents Serge Sarkissian et Robert Kotcharian. Le premier ministre, qui avait été porté au pouvoir par sa révolution de velours en mai 2018, avait ainsi déclaré en 2019 qu’ils devaient démissionner parce qu’ils ne “représentent pas le peuple ”. Le verdict de la CEDH a aussi évoqué des déclarations sur le sujet dues à la Commission de Venise du Conseil de l’Europe en 2020. Tout en soutenant largement les amendements constitutionnels controversés, la commission avait critiqué le gouvernement de Pachinian pour son refus d’aménager une période de transition qui aurait “permis un changement progressif dans la composition de la Cour, en vue d’éviter qu’un changement brutal et immédiat mette en danger l’indépendance de cette institution ”. Tovmasian et ses collègues révoqués n’ont pas réagi dans l’immédiat à la décision de justice européenne. Siranush Sahakian, une avocate qui les représente, a indiqué au Service arménien de RFE/RL qu’elle étudiait le texte et qu’elle se prononcerait ultérieurement à son sujet. Dans le sillage des amendements de 2020, deux autres membres de la Cour constitutionnelle avaient dû démissionner dans les années suivantes. Dans leur écrasante majorité, les juges siégeant actuellement dans la plus haute cour du pays ont été placés par les autorités politiques actuelles d’Arménie, dont le choix a été validé par le Parlement qu’il contrôle. De la même manière, le gouvernement de Pachinian a nommé la plupart des membres du Conseil suprême de la magistrature (SJC), une puissante instance judiciaire supervisant les tribunaux d’Arménie. Cette instance est actuellement présidée par Karen Andreasian, ancien ministre de la justice de Pachinian qui était membre, jusqu’en septembre 2022, de son parti Contrat civil au pouvoir. Depuis un an, le SJC a révoqué un grand nombre de juges dont plusieurs étaient respectés, et lancé des mesures disciplinaires contre plusieurs autres, alimentant les allégations de l’opposition selon lesquelles Pachinian cherchait à limiter l’indépendance de la justice en Arménie sous couvert de “ réformes judiciaires ” soutenues par l’Occident. Les leaders de l’opposition accusent d’ailleurs l’Occident de fermer les yeux pour des raisons géopolitiques sur ces manœuvres du gouvernement de Pachinian, a fortiori depuis que celui-ci s’écarte ostensiblement de son allié traditionnel russe pour se rapprocher de l’Europe et de l’Occident.
La Cour européenne des droits de l’homme rejette l’appel déposé trois ans avant par l’ancien président de la Cour constitutionnelle d’Arménie dénonçant sa révocation par Pachinian
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