La résistance ou la tentation du vide

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Le 21 février 2024, Missak et Méliné Manouchian entreront au Panthéon. En reposant aux côtés de Jaurès et de Victor Schœlcher, ils porteront avec eux un triple symbole. D’abord, celui de la Résistance des humbles à la Barbarie. Rescapés d’un génocide, apatrides, elle cousette, lui menuisier, rien ne destinait ce couple sans citoyenneté à défendre l’honneur de la France, quand elle l’avait perdu pour avoir préféré la soumission au combat et la honte à la dignité. Honneur retrouvé, cependant, grâce à ceux qui, à Londres ou en Apatridie, ont accepté d’« être outragés et abandonnés par les siens », comme disait De Gaulle, pour défendre une certaine idée de l’Humanité et de la France. « L’avenir de l’homme est la femme. Elle est la couleur de son âme. Elle est sa rumeur et son bruit », écrira Aragon vingt ans après les salves du Mont Valérien. Faire entrer ensemble Missak et Méliné sous la coupole de Soufflot, signale la volonté présidentielle, c’est-à-dire la volonté de la France, d’honorer également l’âme et sa couleur, la voix intérieure et son écho dans l’espace. La Patrie reconnaissante réunira ce que la mort, l’ingratitude et l’oubli avaient temporairement désunie. Le combat pour la liberté pour tous les hommes était aussi le combat de l’égalité entre l’homme et la femme. Liberté, égalité, restait la fraternité. En 2012, le président d’alors lançait un grand débat sur l’identité française, visant à distinguer ceux qui méritaient le nom de Français des autres. L’appel de 2014 à panthéoniser le Groupe Manouchian voulait apporter une réponse à ce débat. Rappelons-en les termes essentiels. « En cette période d’incertitude où se pose la question lancinante de l’identité française, est venu le moment de proclamer par un hommage-symbole que cette identité ne tient pas aux origines ethniques des citoyens que nous sommes… L’identité française tient dans ce que l’on apporte à la France autant que dans ce que la France nous apporte. » Tandis que les débats sur l’immigration ressuscitent cette problématique, associer les 24 autres apatrides à la reconnaissance de la Patrie eut, là aussi, apporté un début de réponse. Mais, qu’on le veuille ou non, le nom de Manouchian désigne un groupe plus qu’un homme. Pendant que la dépouille du menuisier et de son « orpheline » entreront dans la catacombe de la colline Sainte-Geneviève, les ombres de Spartaco, Lejb, Salomon, Armenak, Rino, Antonio, Celestino, Emeric, Marcel, Mojsze, Olga et les autres feront partie du cortège invisible qui les accompagnera dans l’obscurité de la crypte, pour continuer, une fois la cérémonie terminée, leur interminable et fraternel dialogue. En effaçant les contours universalistes du Groupe Manouchian, l’hommage à Missak et Méliné donne relief à leur arménité, où l’on retrouve les âmes amies de Henri Karayan et Arsène Tchakérian et de tous ceux qui ont nourri nos mémoires. Inquiétant et salutaire rappel à l’heure où les voisins turcs et azéris clament haut et fort leurs rêves de génocide et d’éradication de la nation arménienne. Un rappel, plutôt un appel à la Résistance, en réponse à un présent bien réel. « L’Arménie est en danger de disparition », clamaient en novembre sur les radios françaises les parrains et marraines du Fonds Arménien. À ce danger, il n’y a qu’une réponse : permettre à l’Arménie de sanctuariser son territoire. Ne nous trompons pas de combat. L’on peut revendiquer tant qu’on veut le retour de l’Artsakh aux Artsakhiotes, la reconnaissance internationale d’une république du Haut-Karabagh, la création de tous les gouvernements ou représentations en exil que l’on veut, un fait reste incontournable : si l’Arménie disparaît, tout est perdu. Notre foyer national sera effacé à jamais de la carte du monde, et notre nation se dissoudra au fil des générations. La condition sine qua non de toute exigence est et restera pendant encore des décennies une Arménie assurée de son existence par une armée garante de son intégrité. Toute exigence qui ne converge pas vers la sanctuarisation de son espace vital est tout juste propre à en aggraver les faiblesses, c’est-à-dire à faire le jeu de l’ennemi. Nous, aujourd’hui, la Diaspora en ce début d’année 2024, devons faire face à notre responsabilité historique : en trois mille ans d’histoire, nous sommes la première génération à voir notre nation menacée de disparition et nous sommes seuls devant cette menace. Aussi n’avons-nous pas le choix : pour que l’Arménité survive, priorité absolue doit être donnée à la reconstitution de l’Armée et à l’organisation d’unités d’autodéfense. En allégeant la charge de l’État dans le domaine des infrastructures, de la santé, de l’éducation, etc. les organisations humanitaires participent de cet objectif et donc à la résistance. Qu’en est-il du reste ? C’est-à-dire de nous. Jusqu’ici, deux personnages politiques ont compris cet impératif : Nikol Pachinian et le président Macron. Le premier en doublant le budget de l’Armée et en éradiquant la corruption qui l’a si longtemps asséché ; le second, le président Macron en livrant des armes à l’Arménie en rupture avec Bakou, Moscou et Ankara et en signant un accord global d’assistance à l’Armée arménienne. La seule question qui se pose est de savoir si la Diaspora saura s’inspirer d’eux et de Manouchian en entrant en résistance active par la participation à l’effort de défense de l’Arménie, ou bien, fidèle à ses tropismes, si elle cédera à la tentation du vide. L’avenir nous le dira. Mais encore faut-il qu’elle en choisisse un.

La rédaction
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Jean-Michel Dubernard

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