Bravant l’hostilité des élites laïques à son endroit, Abdullah Gül a décidé de se lancer à nouveau dans la course à la présidence de la République avec le soutien de l’AKP au pouvoir.
Le premier tour de scrutin est prévu le 20 août au sein du nouveau Parlement issu des élections législatives anticipées du 22 juillet, provoquées par le blocage institutionnel de la première candidature, au printemps, du ministre sortant des Affaires étrangères.
Ce scrutin avait été remporté haut la main par le parti, issue de la mouvance islamiste, du Premier ministre sortant Recep Tayyip Erdogan.
Le chef de la diplomatie turque, dont le passé islamiste et le foulard porté par son épouse en public irritent le camp laïque, devra attendre le troisième tour, huit jours plus tard, pour pouvoir l’emporter à la majorité simple requise.
Lundi soir, le parti de la Justice et du Développement (AKP) a annoncé que Gül se représenterait, une décision assurée de nourrir l’inquiétude notamment des généraux de l’armée, qui s’est proclamée gardienne sourcilleuse de la laïcité chère au père de la Turquie moderne, Atatürk.
Mardi, la livre turque a perdu deux points par rapport au dollar et la Bourse d’Istanbul a reculé en raison des inquiétudes des investisseurs à propos de la candidature controversée du n° 2 de l’AKP et de la nervosité des marchés au niveau mondial.
« ENTETEMENT OBSTINE »
« J’ai constaté que mes amis soutiennent ma candidature à la présidence et demandé de rencontrer les responsables de l’opposition », a confié mardi à la presse le ministre à l’issue d’une série d’entretiens avec le chef de file du Parti du mouvement nationaliste (MHP, extrême droite anti-européenne), Devlet Bahceli.
Abdullah Gül a qualifié ces entretiens de « très fructueux et bénéfiques », sans préciser si le MHP, qui dispose de 70 députés pour 341 à l’AKP, appuierait sa candidature.
Bahceli a, dans les faits, ouvert la voie à cette candidature en annonçant que les élus de son parti assisteraient aux séances prévues à l’assemblée, qui compte en tout 550 membres, pour la désignation du futur chef de l’Etat, permettant ainsi au gouvernement d’obtenir le quorum nécessaire de 367 députés pour valider le scrutin.
Quant au Parti républicain du peuple (CHP, opposition sociale-démocrate), sa première réaction à la nouvelle candidature d’Abdullah Gül a été, comme c’était prévisible, glaciale. « Ce nom est moins synonyme de réconciliation que d’entêtement obstiné (de la part du parti au pouvoir) », a commenté sur CNN Türk l’un de ses responsables, Onur Oymen.
Le camp laïque, état-major en tête, n’apprécie guère le passé islamiste d’Abdullah Gül et le fait que son épouse porte ostensiblement le voile islamique, une hérésie aux yeux des tenants d’un kémalisme pur et dur. Il a fait capoter sa première candidature au mois de mai.
Pour l’AKP, l’homme considéré comme le principal architecte de la candidature d’Ankara à l’Union européenne est le mieux à même pour succéder au chef de l’Etat sortant, le très laïque Ahmet Necdet Sezer.
BENEFICE DU DOUTE ?
Le parti d’Erdogan estime que son large succès au scrutin du 22 juillet lui donne le droit politique et moral de représenter la candidature de Gül, montrant aussi par là que le pays est gouverné non par l’armée, mais par la classe politique.
Il y a dix ans, les généraux n’avaient pas hésité à renverser un gouvernement jugé trop islamiste dans lequel l’actuel chef de la diplomatie avait rang de ministre d’Etat et de porte-parole.
Aujourd’hui, les analystes minimisent les craintes d’un nouveau coup de force de l’armée.
« L’opposition républicaine ne peut pas faire grand’chose pour stopper la candidature d’Abdullah Gül compte tenu du triomphe électoral de l’AKP, de la légitimité du nouveau gouvernement et de l’immense popularité de l’intéressé », fait valoir Ahmet Akarli, économiste chez Goldman Sachs, dans un note aux investisseurs.
« Les militaires devront vraisemblablement amorcer un mouvement tactique de recul et accorder à l’AKP et à Gül le bénéfice du doute. Toute autre attitude risquerait, à l’heure actuelle, de se révéler contre-productive », ajoute-t-il.
Partageant cet avis, Metin Heper, doyen de la faculté des sciences sociales de l’université Bilkent d’Ankara, souligne devant Reuters que pour intervenir dans le champ politique, les généraux doivent avoir le soutien de l’opinion publique .
Il n’est reste pas moins que le puissant état-major suivra, sans nul doute, le processus électoral à la loupe.
Au printemps, il n’avait d’ailleurs pas hésité à saboter la première candidature de Gül en exprimant sa très nette désapprobation par le biais d’un communiqué laconique mis en ligne sur internet en pleine nuit.