Agression contre l’Arménie : ça sent mauvais sauf si…, par Franck Gaillard

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Pour la première fois depuis 1994, le Conseil de sécurité des Nations Unies a été saisi les 15 et 16 septembre par le dossier arméno-azerbaïdjanais. Au terme des échanges, l’incertitude règne et toutes les options sont sur la table, même la plus sombre : celle d’une nouvelle agression de Bakou, mais…

Enfin, une discussion sur le conflit arméno-azerbaïdjanais au Conseil de sécurité de l’ONU. Par un soir d’été 2022 finissant, à la demande de la France, qui préside pour un an le Conseil de sécurité, saisi par l’Arménie, les quinze membres se sont penchés sur les affrontements entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, qui ont eu lieu entre les 12 et 14 septembre et se sont conclus par un cessez-le-feu sous l’égide de la Russie et des Etats-Unis.

La lecture des interventions soulève plusieurs remarques. Aucun Etat n’a nommé directement l’agresseur. Tous les Etats ont déploré la reprise des combats, appelé à la résolution du conflit par la voie diplomatique et invité la communauté internationale à fournir les efforts nécessaires pour empêcher le retour des hostilités. En lisant cependant entre les lignes, les subtilités du langage diplomatique font état de trois approches.

L’approche la plus favorable à l’Arménie est défendue par la France qui identifie ouvertement l’Azerbaïdjan comme l’Etat à l’origine des hostilités, sans pour autant qualifier Bakou d’agresseur. L’Inde, de son côté, s’est montré encore plus subtile puisque New Delhi appelle l’agresseur à cesser immédiatement les hostilités, sans lui donner un nom. Dans ce même groupe, mais avec une position légèrement infra par rapport à Paris et New Delhi, la Russie et les Etats-Unis ont appelé au retour des forces azerbaïdjanaises et arméniennes sur leurs positions respectives. Ce qui peut surprendre dans le cas arménien, considérant que les troupes arméniennes se trouvent sur leur propre territoire. Dans le même ordre d’idées, la France, les Etats-Unis et le Royaume Uni sont les trois Etats à rappeler la nécessité de respecter le droit international humanitaire notamment dans la libération des prisonniers (sans aller plus loin dans la qualification). A propos de la sécurité des groupes non-armés, notamment les populations arméniennes touchées par les affrontements, la Norvège, l’Irlande, le Kenya et les trois membres permanents occidentaux ont dénoncé les frappes sur les populations et les infrastructures sur le territoire arménien.

Si dans une deuxième grappe, celle des Etats prudents, on y trouve le Gabon, le Mexique, le Ghana, le Brésil, les Emirats Arabes Unis et l’Albanie, qui se cachent derrière une rhétorique de paix vide de sens en dehors de grands poncifs, dans une troisième catégorie, la moins favorable à l’Arménie, la Russie et la Chine se démarquent par toute absence de pensée envers les populations civiles victimes de l’agression. Pas étonnant quand on sait que les pays autoritaires fondent leur approche sur la supériorité du droit formel, celui des Etats, sur le droit substantiel fondé sur le droit des gens, propre aux démocraties.

En résumé, ce tour de table fait-il office de “carton jaune” ou de “feu vert” à Bakou pour toute nouvelle agression ? Le débat est ouvert et le curseur penche plutôt du côté de la seconde option. En effet, dans le droit international nommer directement l’agresseur lui fait porter l’ensemble des responsabilités du conflit lors de sa sortie de guerre. Dans ces conditions, l’Azerbaïdjan n’ayant pas été directement qualifié d’agresseur (soit on demande à Bakou de maintenir ses forces sur ses positions initiales sans retenir le vocable “agresseur” (position française), soit on demande à l’agresseur de se retirer sans le qualifier ouvertement (position indienne)), la porte d’une nouvelle offensive lui est grande ouverte. C’est d’ailleurs dans cette hypothèse de reprise des hostilités qu’après la discussion au Conseil de sécurité, le premier ministre arménien, Nikol Pachinyan s’est entretenu avec les présidents Macron et Poutine et le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, pour les appeler à la vigilance la plus absolue et faire pression sur Bakou pour cesser toute provocation.

Cette veille stratégique est d’autant plus urgente que les débats au Conseil de sécurité se sont soldés par l’absence de toute déclaration commune. Ce qui signifie qu’en dépit des appels à l’unité de l’organe suprême du multilatéralisme, de la part de Miroslav Jenca, sous-secrétaire général pour l’Europe, l’Asie centrale et les Amériques au Département des affaires politiques et de la consolidation de la paix, et de l’ambassadeur du Gabon, le fait que l’amorce d’un consensus international ne s’appuie pas sur une déclaration solennelle – on est encore très loin d’une résolution du Conseil de sécurité, tant le P5 est divisé notamment depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie) laisse les Arméniens dans l’incertitude la plus totale. D’autant que d’après des diplomates européens, la Russie a empêché tout accord sur une déclaration commune du Conseil de sécurité, car elle aurait voulu insérer dans le texte la déclaration du 9 novembre 2020 mettant fin aux hostilités lors de la guerre des 44 jours, un document que les Etat-Unis – et dans une moindre mesure – la France ne reconnaissent pas, considérant que le Groupe de Minsk, qu’ils coprésident avec la Russie, a été écarté des négociations arméno-azerbaïdjanaises sous l’égide de la Russie et dans une moindre mesure de la Turquie. D’ailleurs, à la lecture du compte-rendu de la séance, il est frappant de noter comment les positions stratégiques des Etats se lisent facilement : la Russie, la Chine, le Brésil et la Norvège (pourtant membre de l’OTAN) se limitent à l’accord de cessez-le-feu du 9 novembre 2020. L’Inde, le Kenya, le Mexique et… la France conservent un équilibre entre l’accord conclu sous la Russie et la médiation occidentale (Union Européenne ou OSCE), alors que le Royaume-Uni, les Etats-Unis, l’Albanie et l’Irlande ne reconnaissent que la médiation occidentale dans leur déclaration. Les autres pays n’évoquent que l’urgence de maintenir un cessez-le-feu comme s’il tombait du ciel.

Dans ces circonstances si floues, eu égard à la connaissance du dossier par les membres du Conseil de sécurité mais aussi à la guerre en Ukraine, le conflit arméno-azerbaïdjanais est loin d’être résolu. Si la communauté internationale souhaite une paix de réconciliation, inclusive et de réhabilitation où le vaincu dispose de droits respectant sa dignité, la Turquie, l’Azerbaïdjan et le Pakistan, veulent une paix de punition, de capitulation et humiliante pour le vaincu. Telle est la toile de fond des enjeux qui sous-tendent la discussion au Conseil de sécurité des Nations Unies.

Alors, dans ces circonstances, “carton jaune” ou “feu vert” à Bakou ? Tout semblerait indiquer qu’en l’absence de cadre normatif, la réalité du terrain fasse pencher le curseur vers la seconde option sauf si d’autres éléments extérieurs à l’enceinte des Nations Unies surgissent comme des éléments dissuasifs.

D’abord, l’avenir de l’Arménie dans l’OTSC, le bras armé de la Russie, une alliance de sécurité collective aux ordres de Moscou. Après avoir été agressée, l’Arménie a saisi l’intervention de l’OTSC au nom de l’article 4 de sa Charte qui stipule qu’en cas d’agression d’un pays tiers, les alliés doivent automatiquement intervenir en faveur du membre qui en fait la demande. Or, jusqu’à preuve du contraire, le secrétariat général de l’OTSC n’a envoyé qu’une mission d’observation en Arménie, le long de la ligne de front alors que d’autres pays membres comme le Kazakhstan et le Kirghizstan ont rejeté tout envoi de contingent dans le Caucase du Sud. L’Arménie peut être en mesure de s’interroger sur la pertinence de rester dans cette alliance. Et cela peut faire réfléchir la Russie : après avoir humilié les Arméniens en faisant croire qu’elle les a sauvés en 2020, la Russie peut-elle prendre le risque de voir partir l’Arménie, seul membre de l’OTSC dans le Caucase du Sud ? D’autant que ce changement d’orientation signifierait qu’Erevan se rapproche de l’Occident.

Justement, l’Occident, notamment les Etats-Unis qui multiplient les initiatives en faveur de l’Arménie, dont la plus importante est la visite à Erevan – et seulement à Erevan – de Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des Représentants, a aussi une carte à jouer en matière de prévention des conflits. Plus l’Occident s’implique en faveur des intérêts de l’Arménie, plus l’Arménie retrouve de la valeur stratégique aux yeux des Russes qui ne peuvent pas sacrifier davantage leur allié arménien, d’autant que la Russie traverse une mauvaise passe en Ukraine.

En outre, l’Iran, qui depuis le début se pose en garant du respect de l’intégrité territoriale de l’Arménie, n’hésite plus à afficher son agacement face aux provocations de l’Azerbaïdjan. Lors du dernier sommet de l’Organisation de coopération de Shanghaï, en septembre 2022, à Samarkand, en Ouzbékistan, le président iranien, Ebrahim Raïssi s’est montré ferme à l’adresse d’Aliev : l’Iran n’acceptera pas de “corridor” sur le territoire arménien, ni de violation de l’intégrité territoriale de son seul voisin chrétien qui propose un débouché alternative à la route Iran=Azerbaïdjan=Russie.

Enfin, les Arméniens doivent urgemment faire preuve d’union nationale et de mobilisation sans précédent dans leur histoire récente. Au pouvoir de se montrer moins clivant et défaitiste, à l’opposition de se montrer moins radicale et plus raisonnable, l’heure n’est pas -faut=il le rappeler – à la nikolmania ou la nikolphobie mais à la solidarité nationale et l’union sacrée.

Franck Gaillard

La rédaction
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