Alain Prochiantz, le rêveur de science

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C’est l’histoire d’un homme qui lit beaucoup. Depuis toujours. La lecture conçue comme une sorte de conversation amicale avec les scientifiques-écrivains qui l’ont précédé. Ou comme un héritage fécond, prolongé par les spectacles de théâtre qu’il a coécrits avec le metteur en scène Jean-François Peyret.

Alain Prochiantz est docteur en biochimie et spécialiste de la biologie du développement. C’est à ce titre qu’il devait donner sa leçon inaugurale au Collège de France, jeudi 4 octobre, sur « les processus morphogénétiques », décrivant la manière dont se forment les organes. Au premier chef, le cerveau, « ce drôle d’organe, fait de matière molle ». Il précise : « Mon cerveau sait ce que je pense, mais je ne sais pas ce que pense mon cerveau. » Voilà qui passionne celui qui se dit « intéressé, dans la science, par l’invisible sous le visible ».

Alain Prochiantz est volubile mais précis, cultivé et caustique. Il n’en est pas pour autant « un austère qui se marre ». Avec un brin de provocation, il se définit lui-même ainsi : « Je suis tout sauf un puritain, dans la vie comme en science. »

Fils d’un couple de médecins, ce Parisien de toujours a des origines mêlées : Arméniens, juifs de Lettonie et du Pays basque, Français de la deuxième génération… Athée invétéré, né au croisement de trois religions – juive, catholique et orthodoxe -, il s’est tout de même trouvé une croisade : faire perdre à la science son caractère sacré. Une démarche qu’il compare, toujours provocateur, à celle de Sade. « Sade est l’un des plus grands philosophes de la nature. Il l’a désacralisée. » En hommage au marquis, il a intitulé le premier de ses nombreux ouvrages édités par Odile Jacob, La Biologie dans le boudoir.

La forme des organes et leur développement sont progressivement devenus « la recherche de sa vie » au gré de rencontres, de cours et de lectures. Faute de place dans un laboratoire de neurosciences, il assure avoir choisi la biologie moléculaire « parce que cela faisait moderne ». Mais c’est au Massachusetts Institute of Technology (MIT), qu’il fait une rencontre décisive, celle d’un auteur et d’un livre, On Growth and Form publié en 1917, par D’Arcy Thompson, et consacré au développement de la forme des êtres vivants. De retour au bercail et aux neurosciences, il entre dans le laboratoire de Jacques Glowinski au Collège de France et se consacre au changement de forme des neurones.

A l’époque, Alain Prochiantz éprouve une véritable « fascination » pour les cours de François Jacob au Collège de France. Le Prix Nobel évoquait notamment des gènes découverts au milieu des années 1980, les « homéogènes », dont la mutation entraîne une modification de la forme et de la position d’un organe. Ainsi, une mouche peut se retrouver avec une patte à la place d’une antenne ou une aile là où devrait se trouver un oeil.

Devenu entre-temps directeur d’unité à l’Ecole normale supérieure, Alain Prochiantz formula alors l’hypothèse que ces mêmes gènes régulaient la forme des organes et celle des cellules, dont les neurones. « Et c’est là que ça s’est gâté », raconte-t-il.

A l’encontre des dogmes en vigueur, les expérimentations pratiquées dans son laboratoire accréditent l’idée que deux cellules se communiquent une information de position en échangeant une protéine nucléaire et répondent par un changement de forme. « Un type sensé aurait conclu qu’il s’agissait d’un artefact ou aurait fait semblant de n’avoir rien vu. Naïvement, avec Alain Joliot et Michel Volovitch, nous avons creusé l’hypothèse. Ne pas le faire aurait été immoral. » Tombé amoureux de cette histoire, Alain Prochiantz s’est obstiné. Depuis, les données scientifiques se sont accumulées pour étayer son hypothèse.

Pour autant, il refuse de se laisser aller à une vision paranoïaque, quasi mystique, d’une science bardée de certitudes : « Les scientifiques sont des gens qui doutent énormément. » Avant que son hypothèse ne commence à être confirmée, Alain Prochiantz s’interrogeait : « Où est-ce que je me suis trompé ? Cela a débouché sur la question : « Comment ai-je trouvé ? » » Cette envie de « comprendre comment l’on pense en science » le conduit à se plonger dans la lecture du philosophe français Georges Canguilhem et de ses réflexions sur l’histoire de l’embryologie, comme il s’était plongé dans Claude Bernard. « Lire Darwin, Claude Bernard ou Alan Turing, cela vous remet à votre place, mais sans vous écraser. Ils ont une légèreté qui vous élève, vous conforte. »

C’est précisément à propos d’Alan Turing, mathématicien mais aussi biologiste, inventeur du terme « morphogène », qu’Alain Prochiantz est sollicité par l’écrivain et metteur en scène Jean-François Peyret. Une collaboration qui a débouché sur le spectacle Turing-Machine (créé en 1999 avec la participation artistique du Jeune Théâtre national). « Turing est un génie qui a éclairé ce qui se passait dans mon labo. C’est le plus grand poète du XXe siècle », affirme Alain Prochiantz.

D’autres spectacles ont suivi, dont Les Variations Darwin. Le prochain sera consacré à Galilée et, cette fois, la physicienne et philosophe Françoise Balibar s’est jointe à l’équipe. La création aura lieu en février 2008 au Théâtre national de Strasbourg et sera reprise au Théâtre de l’Odéon à Paris en mars.

Leur méthode de travail est bien établie. Prochiantz intervient le premier. Il écrit, puis, à partir de leurs séances de travail, Peyret écrit une « partition zéro », qu’il livre à ses acteurs. Ceux-ci improvisent. Vont ainsi naître plusieurs générations de partitions jusqu’au numéro 6 ou 7. « A partir de là, on ne bouge plus. Je me suis toujours interdit d’intervenir sur les répétitions sans que Jean-François me l’ait demandé », précise le scientifique.

Pour Peyret, ce que fait Alain Prochiantz est « de la science continuée par d’autres moyens. Il ne veut pas être pris pour un scientifique « honnête homme » ou un esthète. Il a compris qu’il pouvait faire de la science autrement ». Le scientifique voit dans cette collaboration une manière de rendre compte du caractère poétique de la science. « Il y a une part d’intuition, de rêverie dans la science, même si, à un moment, cela devient de la pure logique. Il y a quelque chose de l’ordre de la littérature. Jean-François me donne cet espace où je peux rêver », avoue Alain Prochiantz. Il le pousse aussi à la lecture intégrale. « Je n’aurais jamais lu tout Darwin sans Jean-François, seulement quelques oeuvres », reconnaît-il. Les livres, toujours les livres.

Paul Benkimoun

LE MONDE

Article paru dans l’édition du 04.10.07.

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Author: raffi

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