Les autorités turques se sont lancées dans une « opération transparence » pour faire taire les rumeurs concernant la santé d’Abdullah Öcalan. Les avocats du chef séparatiste kurde et fondateur du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK, marxiste-léniniste), détenu et isolé depuis 1999 dans une prison militaire située sur l’île d’Imrali (nord-ouest), ont affirmé récemment, à Rome, que leur client, condamné à la prison à vie, pourrait avoir été empoisonné.
Une analyse d’échantillons capillaires réalisée par un laboratoire indépendant de Strasbourg montrerait, selon eux, la présence de métaux toxiques – du chrome et du strontium – dans l’organisme de M. Öcalan, laissant penser à un empoisonnement lent. Une version très vite rejetée par le gouvernement : « C’est un mensonge. Si la Turquie était un pays de cette sorte, elle l’aurait fait depuis longtemps », a réagi le ministre de la justice, Cemil Ciçek.
Une enquête a tout de même été ordonnée et une équipe de trois médecins a procédé, mardi, à des prélèvements de sang, d’urine et de cheveux. Les résultats des analyses doivent être rendus publics d’ici la fin de la semaine à Istanbul. Mais pour Alaeddin Erdogan, membre du comité central du parti pro-kurde légal DTP (Parti de la Turquie démocratique), « le fait que le ministre ait déclaré par avance que les tests seront négatifs montrent que les résultats ne peuvent pas être crédibles. Il faut envoyer des médecins indépendants ». La vice-présidente du parti, Aysel Tugluk, réputée proche d’Abdullah Öcalan, a mis en garde la Turquie, assurant que « ceux qui ont des sympathies pour Öcalan vont réagir ».
La santé d' »Apo », âgé de 58 ans, est l’objet de rumeurs récurrentes. Pour Cemil Ciçek, les partisans du PKK essayent de médiatiser la cause de leur chef, alors que le Conseil de l’Europe vient de décider, le 21 février, de clore le dossier Öcalan, qui demandait à être rejugé. Un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, en mai 2005, avait réclamé un nouveau procès.
« C’est une tentative de ramener le sujet dans le débat politique », a ajouté Mehmet Agar, dirigeant du Parti de la juste voie (DYP, droite), partisan d’un changement de politique d’Ankara sur la question kurde et d’une amnistie « pour permettre aux membres du PKK de descendre des montagnes et de faire de la politique dans la vallée ».
Mais à l’approche de la fête kurde de Newruz, le 21 mars, les élus kurdes sont « sous la pression de l’Etat », affirme Alaeddin Erdogan. « Vingt-deux responsables du parti sont actuellement en prison. Toutes ces arrestations ont pour but de décourager les adhésions en nous montrant comme un parti hors-la-loi à l’approche des élections législatives qui auront lieu à l’automne », ajoute-t-il.
Des dizaines d’autres élus du Sud-Est, à majorité kurde, sont sous la menace de la justice. Un responsable du DTP, Sedat Yurttas, a été condamné, mercredi, à Diyarbakir, à six mois de prison ferme pour avoir fait l’apologie du séparatisme kurde. Il avait évoqué « Monsieur Öcalan » en utilisant le mot « sayin », une marque particulière de respect, dans un entretien à la chaîne kurde Roj TV, proche du PKK, qui émet depuis le Danemark. La même peine, pour les mêmes motifs, a été prononcée, mardi, à l’encontre du président du DTP, Ahmet Türk. « Cette accusation est presque comique, constate l’avocat Ali Fuat Bucak. Cela montre que la Turquie est en train de faire marche arrière en matière de liberté d’expression et de droits de l’homme, notamment sur la question kurde. »
Le 26 février, Ahmet Türk et Aysel Tugluk avaient déjà écopé de dix-huit mois de prison parce que des tracts de leur parti, rédigés en langue kurde, évoquaient Abdullah Öcalan.
Guillaume Perrier
LE MONDE
Article paru dans l’édition du 09.03.07