Anne Hidalgo : « La reconnaissance du Karabagh est une mesure de protection »

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La maire de Paris qui a victorieusement porté les couleurs de la gauche lors des dernières élections dans la capitale a relevé le défi de redynamiser son camp, à travers sa candidature à la présidentielle. Mission impossible ? Pas pour cette battante qui a toujours été, aussi, de toutes les mobilisations pour la cause arménienne.

Nouvelles d’Arménie Magazine : Cinquième vague oblige, la question de l’hôpital public et plus largement celle de notre système de soins représente l’un des grands enjeux de cette campagne. Vous proposez de sortir d’une logique purement comptable pour partir des besoins de santé de la population. Concrètement, si vous étiez élue, comment feriez-vous pour financer cette transformation coûteuse qui s’ajoute au doublement des salaires des enseignants ? Et par ailleurs, de quelle façon pourriez-vous régler le problème criant du manque de médecins et de personnel soignant ?
Anne Hidalgo :
C‘est effectivement un sujet majeur. Depuis le temps que la gauche dit que notre système de soins est maltraité et sous financé ! Nous voyons ce qu’il en coûte de ne pas assurer sa pérennité et son efficacité : un manque cruel de lits de personnels formés et de matériels des personnels et des structures poussées jusqu’aux limites alors que nous affrontons la pire crise sanitaire en un peu plus d’un siècle. Contrairement à ce que vous affirmez je ne crois pas que ce que je propose soit une transformation coûteuse. C’est un changement d’approche de la santé publique que je propose, une façon d’appréhender et de repenser les missions de l’hôpital public à partir des besoins. Les Français sont en droit d’exiger de l’hôpital public que les dépenses qui lui sont consacrées et qui résultent de leur contribution soient adaptées à leurs besoins de santé. Ce n’est tout de même pas à la santé de s’adapter au fonctionnement et à la comptabilité de l’assistance publique. L’approche que je propose est tout aussi attentive au denier public que l’approche libérale de la santé publique conduite depuis 30 ans. Quant aux salaires des enseignants j’ai dit qu’il était nécessaire de les revaloriser de manière très significative. Les enseignants ont en 20 ans presque perdu un tiers de leur pouvoir d’achat. Cette érosion continue de leur pouvoir d’achat doit cesser sans quoi la pénurie de médecins et de soignants dont vous parler pour l’hôpital se retrouvera également du côté des enseignants. Rendez-vous compte qu’un enseignant du premier degré commence sa carrière à 1 700 euros et arrivent en fin d carrière à peine 2 200 euros. 500 euros de progression de salaire pour presque 40 ans d’activité, quel salarié peut-il l’envisager alors même que l’inflation refait son apparition. Et on parle ici de personnels hautement qualifiés avec des bac + 4 ou 5 ! Je le redis ici il faut sur les 5 ans qui viennent aboutir un doublement du salaire des enseignants notamment du premier degré. C’est un effort de rattrapage absolument nécessaire et qui viennent compenser les économies réalisées à bas bruit par l’état depuis 20 ans sur le dos des enseignants. L’école est un pilier essentiel de nos démocraties, tout comme l’hôpital public. Si l’état ne peut plus assurer correctement ces deux missions essentielles que sont la formation de notre jeunesse et la protection de notre santé, les classes populaires comme les classes moyennes finiront par s’interroger sur ce que peut l’état pour eux. Et ils auront quelques raisons légitimes de douter de son action et des prélèvements directs et indirects qu’il exerce pour assurer justement ces missions essentielles. Je connais trop le procès en dépenses publiques que l’on fait à la gauche. Mais Je constate que c’est lors des quinquennats de Nicolas Sarkozy et d’Emmanuel Macron que la dette publique s’est emballée avec toutes les conséquences que l’on sait en termes de charges que l’on fait peser sur les générations futures et sur les jeunes actifs. Les faits sont têtus : la droite n’est pas meilleure gestionnaire des comptes publics que la gauche. Cette distinction entre une droite bonne gestionnaire et une gauche dépensière fleure bon les clichés des années 80. Je sais que la nostalgie est à la mode dans le débat démocratique aujourd’hui mais elle n’autorise pas à dire des contre-vérités
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NAM : Actuellement, aucun sondage ne vous met en position d’être au second tour, pas plus d’ailleurs que les autres candidats à gauche même si Christiane Taubira entrait dans la course. Quant à l’union autour d’une seule personne, avec ou sans primaire populaire, elle ne semble pas d’actualité. Quelle option reste-t-il pour espérer une présence de la gauche au deuxième tour ?
A. H. :
Ce qui fait la force et la noblesse de l’engagement politique c’est qu’à un certain moment il se confronte au suffrage universel, exprimé par les citoyens dans le secret et de l’isoloir. Si on concède aux instituts de sondage qui sont des sociétés privées à but lucratif le soin de designer pour les citoyens qui sera au second tour d’une élection majeure c’est que nous tournons le dos à notre fonctionnement démocratique. Je dois dire que cela ne correspond en rien à mes convictions et à mes engagements. Du coup Je me garderai bien d’affirmer que la gauche sera absente du second tour comme vous le faites. Maintenant, il est sûr que la candidature de Christiane Taubira, le refus de Yannick Jadot de participer à la primaire populaire empêche le rassemblement d’une large partie de la gauche qui aspire à gouverner et à gouverner ensemble. Avant même mon annonce de candidature au printemps 2021 j’avais appelé à un rassemblement et j’avais participé à des réunions avec l’ensemble des partis de gauche pressentant le danger d’un morcellement et d’une multiplication des candidatures. Il n’y avait déjà à ce moment-là peu d’appétence de nos amis d’EELV pour un rassemblement avant le premier tour. Les candidatures se sont multipliées : Arnaud Montebourg, Yannick Jadot et désormais Christiane Taubira. J’ai renouvelé en décembre mon appel à l’union et au rassemblement au travers mais chaque candidat pense qu’il a plus à perdre qu’à gagner en participant à une primaire ouverte, les programmes étant désormais construits et présentés. C’est dommage et je continue à penser que l’union est nécessaire mais je ne peux faire l’union contre la volonté de chacun de cultiver son pré carré électoral. Je pense que l’approche social-démocrate et écologique est celle qui rassemble l’essentiel des électeurs de gauche dont je comprends par ailleurs le désarroi du peuple de gauche face à la multiplicité des candidatures et l’impossibilité d’une union. Et je crois que mon devoir est de porter devant le suffrage universel l’approche social-démocrate humaniste et écologique qui est la mienne depuis le début.

NAM : Pendant longtemps la gauche s’est faite la championne de la défense des opprimés à travers le monde. Éric Zemmour et Valérie Pécresse viennent de se rendre en Arménie et au Karabagh au nom de leur soutien aux Arméniens en danger et, plus généralement, de la défense des chrétiens d’Orient. Est-ce que cette cause intéresse encore la gauche ?
A. H.
: En tout cas, elle m’intéresse, et depuis longtemps, avant même le début de mon engagement politique puisque c’est à Lyon, d’où je viens, que j’ai appris, par des survivants du génocide, ce qu’était l’histoire de la persécution et du massacre perpétrés par l’Empire ottoman, dont la politique de purification ethnico-religieuse a aussi touché les assyro-chaldéens, les Grecs et les juifs. La sensibilité à cette histoire, et à l’actualité des persécutions, qui se poursuivent aujourd’hui du fait de l’islam radical, n’est pas affaire de droite ou de gauche, et vous le savez puisque des élus de gauche siègent dans les groupes parlementaires d’amitié avec l’Arménie et au Cercle d’amitié France-Artsakh Pour ma part, j’ai des relations suivies avec les communautés maronite et melkite de Paris. Lors de ma première visite à Erbil, j’ai tenu à rencontrer les représentants des communautés chrétiennes de la ville et notamment le Père Najeeb, devenu depuis archevêque chaldéen de Mossoul, qui a réussi à sauver des mains de l’État islamique les 800 manuscrits de Qaraqosh qui sont une partie de la mémoire des chrétiens orientaux. Vous le savez, tous les dignitaires religieux des trois cultes chrétiens existant dans la communauté arménienne sont présents aux cérémonies liées au génocide et à l’Arménie. Donc ma position est claire : d’une part je m’engage aux côtés des chrétiens d’Orient dont les Arméniens du Caucase et du Moyen-Orient, d’autre part je réaffirme solennellement que toutes les dénominations chrétiennes dans ces régions ont une présence qui remonte aux premiers siècles et qui doit perdurer, coûte que coûte, parce que les chrétiens sont là-bas chez eux.
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NAM : Durant ce conflit, le gouvernement s’est montré très timide pour condamner clairement l’agression azéro-turque au Haut-Karabagh, tout comme on l’entend à peine aujourd’hui dénoncer l’occupation d’un territoire du sud de l’Arménie, le Siounik, par les mêmes. Cette indifférence vous paraît-elle acceptable ?
A. H. :
Clairement, non. Je comprends que la France, qui coprésident le groupe de Minsk, doive jouer un rôle de médiateur qui impose la retenue dans l’expression. Mais enfin ce groupe existe depuis 1992 et il n’a toujours pas réussi sa médiation. Son sommet de Genève, le 16 octobre 2017, avait certes réuni les deux chefs d’État arménien et azéri et en était sorti un engagement à « limiter les tensions au Karabagh ». C’était un an après la « guerre de quatre jours », on connaît la suite : l’agression du 27 septembre 2020. Donc il faut poser la question des responsabilités de la tension dans la zone et de qui veut, des deux belligérants, mettre en jeu l’existence de l’autre. Ce n’est pas l’Arménie qui est dans le surarmement. Ce n’est pas elle qui fait appel à l’appui turc et qui permet aux panturquistes d’atteindre la continuité territoriale de la Mer noire à la Caspienne. Ce n’est pas elle non plus qui détruit le patrimoine culturel et cultuel arménien en Artsakh et qui viole le cessez-le-feu qui, sans la présence russe, volerait totalement en éclats. Certes, le président Macron, le 13 mai dernier a condamné, comme toute la communauté internationale, l’entrée azérie dans les régions de Siounik et Geghargounik et c’est la moindre des choses, puisqu’il s’agit de territoires situés à l’intérieur des frontières reconnues de l’Arménie. Mais quand on est, et c’est la position du président, « attaché à l’intégrité territoriale de l’Arménie », il faut penser globalement les enjeux. C’est-à-dire affirmer que l’occupation du Siounik et la situation en Artsakh sont liées, par un projet global consistant, comme je l’ai dit, à rétrécir l’espace territorial et culturel arménien dans le Caucase, au bénéfice de ceux qui, d’Ankara à Bakou, sont animés par une idéologie nationaliste pan-turque.

NAM : L’Assemblée nationale, le Sénat et soixante-dix collectivités territoriales dont la ville de Paris, ont voté des vœux demandant la reconnaissance de la République du Haut-Karabagh. Anne Hidalgo présidente ferait-elle de même au nom de la France ? Et défendrait-elle ce dossier et, plus largement, la sécurité de l’Arménie et de son patrimoine dans les instances internationales (Europe, Onu, Unesco…) ?
A. H. :
Défendre la sécurité de l’Arménie et l’intégrité de son patrimoine ? Évidemment ! D’ailleurs en 2021 j’ai rejoint, à la demande du Primat du Diocèse de France de l’Église apostolique, le Comité pour la protection du patrimoine spirituel et culturel arménien en Artsakh. Ma conviction est que détruire des monuments, qu’il s’agisse d’une église ou d’un khatchkar, bombarder la cathédrale de Chouchi, démolir des tombes arméniennes en Artsakh, c’est effacer une mémoire, la mémoire arménienne. C’est, d’une certaine manière, prolonger le génocide des hommes par l’atteinte aux lieux qui attestent d’une présence arménienne immémoriale. Or dans le Caucase, l’imbrication des peuples, des religions et des cultures est une réalité historique et chacun a le droit à ce que son identité soit respectée, sans quoi l’épuration ethnique n’est jamais loin. La reconnaissance du Karabagh est un acte de souveraineté qui dépend de la volonté de l’exécutif. Le Sénat a voté en novembre 2020 une résolution demandant cette reconnaissance. L’Assemblée nationale, peu après, s’est prononcée pour la mise en œuvre d’un processus de reconnaissance du Haut-Karabagh. Les conditions sont donc réunies. J’entends l’argument du gouvernement selon lequel une telle reconnaissance ferait perdre à la France sa capacité à servir de médiateur. Selon moi, l’usage de la force, non seulement contre le Karabagh mais contre le territoire arménien internationalement reconnu rend cette précaution obsolète. Je vois la reconnaissance du Karabagh comme une mesure de protection contre d’autres probables atteintes à la présence arménienne qui est continue sur ce territoire depuis l’antique Royaume d’Arménie.

NAM : On assiste aujourd’hui à des tentatives d’enrôlement et d’instrumentalisation nationaliste de l’immigration turque par Erdogan. Elles se traduisent notamment par une propagande négationniste, des pressions contre des opposants turcs, des agressions contre les organisations kurdes ou des Français d’origine arménienne, comme on l’a vu l’année dernière à Décines, Vienne et Dijon. Le temps n’est-il pas venu de combattre ces manifestations de haine par, entre autres, une loi de pénalisation du négationnisme du génocide arménien ?
A. H. :
Cette pénalisation, je la demande depuis toujours. Pourquoi ? Parce que c’est la justice même, certes, mais aussi parce que la loi Gayssot a été efficace contre les négateurs du génocide des juifs. Ils étaient une petite secte, ils le sont restés parce que la loi a puni les négationnistes, a permis d’interdire leurs revues, de les frapper au portefeuille, de forcer quelques-unes de leurs figures de proue à quitter la France. Les géants du net ont souvent fermé leurs comptes et déréférencé leurs sites. Même s’il reste beaucoup à faire contre la cyber-haine, ce bilan globalement positif pour la vérité historique et la démocratie, nous l’atteindrions aussi si la négation du génocide arménien était punie par la loi. La question de l’instrumentalisation d’une partie de l’immigration turque acquise aux idées clérico-nationalistes va toutefois plus loin que la négation. Ce qui est en jeu, c’est la diffusion d’un modèle autoritaire très peu respectueux des droits de l’opposition, des minorités et même des élus puisque des centaines de maires kurdes ont été « débarqués », parfois emprisonnés et remplacés par des préfets pour leur appartenance au HDP, qui est un parti démocratique, laïc et féministe. Ce qui est en jeu, c’est le fait qu’Ankara semble conseiller aux ressortissants turcs de rester avant tout de fidèles citoyens de leurs pays au détriment de l’intégration, tandis que quelques Français d’origine turcs tentent d’implanter chez nous, à l’instar de ce qui a été fait aux Pays-Bas et en Belgique, des partis politiques islamo-communautaristes qui, heureusement, n’ont aucun écho parce que totalement contraires à notre conception française de la citoyenneté.

Propos recueillis par Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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