On connaissait la social-démocratie, l’idée – marxiste mais pas fausse – que la révolution française avait été finalement une prise de pouvoir de la bougeoisie. En cherchant bien dans les cours de sciences-po, on pourra aussi trouver le mouvement social-démocrate-révolutionnaire. Reste maintenant à chercher dans les encyclopédies en ligne ou papier le terme de « révolution bougeoise-démocrate »…C’est urgent, puisque c’est ainsi que Lévon Ter Pétrossian a qualifié son mouvement hier jeudi à la tribune, en s’excusant pour le terme « bourgeois » toujours mal compris en raison du passé soviétique. L’accolade que se donnent les deux adjectifs est surpenante. Un bourgeois est rarement révolutionnaire – l’inverse peut en revanche exister, avec une bonne dose de reniement de soi. Démocrate, une révolution l’est rarement – toutes commencent avec l’idée d’apporter au « peuple » épuisé de faim et d’injustice la Démocratie – puis accouchent d’une bonne Terreur dite révolutionnaire ; ce qui vérifie finalement le proverbe cité l’autre jour en arménien par une amie: les téméraires font la révolution ; les malins s’emparent du pouvoir, et le peuple lui reste là avec ses problèmes.
Lors du meeting d’hier jeudi, outre ces efforts pour conceptualiser le mouvement, le discours de l’ancien premier président a dénonce le pouvoir « féodal et clannique », et affirmé qu’il se battait aussi pour que ceux qu’on appelle les oligarches soit libérés de ce système. Il a également affirmé qu’il fallait plus que jamais ancrer l’Arémnie dans l’Europe et l’Occident, qu’il s’agissait là de la seule voie possible pour le pays – sinon, celui-ci risquait fort de ressembler assez vite à l’Afghanistan ou à l’Irak.
La marche qui a traversé la ville s’est déroulée sans heurts, avec en tete, une voiture de police dont descendait à intervalles réguliers un caméram braquant son objectif et filmant les premiers rangs de la manifestation. Ce petit manège a duré du bas en haut de l’avenue Mashtots. Les rangs serrés de la manifestation avancent, la voiture de police prend un peu de distance, fait hurler dans ses haut-parleurs un avertissement que personne n’écoute – le meeting est interdit, la manifestation aussi etc. – et la voiture prend de l’avance sur le cortège, s’arrete un court moment à bonne distance et fait descendre son homme à la caméra, qui tourne tout de meme en numérique Sony dernier cri…
Problème : à une telle distance des premiers rangs de manifestants, l’objectif ne peut guère filmer autre chose…que les journalistes, par définition toujours en tete de la tete d’une manifestation. Si on a du temps à perdre dans les couloirs du pouvoir à filmer les cortèges, il serait peut etre avisé de donner quelques cours de journalisme à ceux qui font office de caméra-espion, pour qu’ils sachent au moins quoi et qui filmer. A moins bien sur que l’ordre soit de fait de filmer les représentants des medias- le journaliste a tendance à exciter les coups de matraque par sa seule présence. Repérés, filmés, scrutés – au moins les journalistes que nous sommes saurons pourquoi on les visera en premier lors d’une charge répressive comme les affectionne le pouvoir actuel en Arménie…
Laurence Ritter
Nouvelles d’Arménie Magazine
Erevan