Artavazd Pelechian, le poète cinéaste arménien : Pelechian, un cinéaste hors normes

Se Propager

a sortie en salles de trois films d’Artavazd Pelechian – fût-ce dans une seule salle parisienne en plein été – constitue un événement non négligeable. Cela pour deux raisons : son oeuvre fait figure d’éblouissante comète dans l’histoire du cinéma, et l’homme, dont les apparitions se font de plus en plus rares, est nimbé de mystère. Né en 1938 à Leninakan, en Arménie soviétique, Pelechian s’est formé au début des années 1960 au VGIK, la célèbre école de cinéma soviétique, et est l’auteur de treize films, depuis son film d’études intitulé La Patrouille de montagne (1964) jusqu’à Vie (1993).

Cette oeuvre, qui demeure largement méconnue du grand public, peut être considérée comme documentaire, mais fait imploser en réalité, par son lyrisme poétique, le cadre couramment admis du genre. C’est un cinéma sans acteurs, ni dialogues ni histoires, qui prend à bras-le-corps la matière filmée, l’ingère et la régurgite dans une succession de salves vibratiles, tantôt suaves, tantôt explosives, mais toujours imprégnées de la plus vive sensibilité, de la plus folle inspiration. En vérité, il serait plus juste de désigner Pelechian, après David W. Griffith, Serguei Eisenstein et Dziga Vertov, comme l’un des plus grands monteurs de l’histoire du cinéma, et assurément le plus halluciné de tous. S’il fallait faire appel à l’image repérable d’une semblable déraison artistique, celle d’Antonin Artaud ferait l’affaire. Les trois échantillons que cette programmation nous invite à découvrir en constituent de très bons exemples.

Nous (1969) mêle ainsi des prises de vues tournées par le cinéaste à des images d’archives pour fabriquer une réalité subjective qui condense et incarne de la manière la plus expressive l’histoire du peuple arménien. Les Saisons (1972) poursuit ce projet, en focalisant le point de vue sur la vie saisonnière des bergers arméniens, sur le rapport sensuel des hommes à la terre et à l’animal : les images de ce film sont composées de telle sorte qu’elles s’inscrivent de manière inaltérable dans la conscience sensible du spectateur. Notre siècle (1982) est enfin une évocation quasi surréaliste, à partir d’images d’archives tant américaines que soviétiques, de la conquête de l’espace par l’homme. De comptes à rebours à répétition en explosions récurrentes de carlingues, de corps en apesanteur en atterrissages approximatifs, ce film allie une réflexion angoissante sur la démesure technologique et un regard franchement cocasse sur l’incommensurable vanité de l’homme.

AMBITION PROMÉTHÉENNE

La science du rythme, l’entrelacs réinventé de la bande-son et de la bande-image, l’art du montage à distance, qui sépare plus qu’il ne relie, évoquent l’ambition de ce cinéaste hors normes de proposer, comme en repartant de zéro à mi-chemin du muet et du sonore, une vision du cinéma tel qu’il aurait pu exister.

Cette ambition prométhéenne, l’homme Pelechian en accuse comme il convient la dimension utopique. Reclus quelque part à l’Est, n’ayant plus rien réalisé depuis 1993, opposant une certaine force de résistance à l’exploitation de ses films existants, le cinéaste est devenu de son vivant une sorte de mythe cinéphilique. Quelques sorties fulgurantes le rappellent, de plus en plus rarement, au bon souvenir des spectateurs les plus attentifs, qui ne l’ont découvert en Occident que dans les années 1980. La première, et l’une des très rares rétrospectives de son oeuvre en France, eut lieu ainsi en 1992, à la Galerie nationale du Jeu de paume. Un mémorable dialogue entre Artavazd Pelechian et Jean-Luc Godard s’ensuivit dans les colonnes de ce journal (Le Monde du 2 avril 1992). En dépit d’initiatives ponctuelles depuis lors, le silence a fini par recouvrir cette oeuvre remarquable. Ces trois petits cailloux permettent aujourd’hui à ceux qui le souhaitent de remonter la piste Pelechian.


Trois films d’Artavazd Pelechian. Espace Saint-Michel, 7, place Saint-Michel, Paris-5e. Métro Saint-Michel. Tél. : 01-44-07-20-49.

La revue universitaire en ligne Cadrage consacre un dossier à Artavazd Pelechian : www.artavazd-pelechian.net.

Jacques Mandelbaum

LE MONDE

Article paru dans l’édition du 25.07.07

raffi
Author: raffi

La rédaction vous conseille

A lire aussi

Sous la Présidence d’Honneur de M. Nicolas DARAGON, Maire de Valence, Président de l’Agglomération, Vice-Président de La Région, L’UGAB Valence-Agglomération

Le ministère des Affaires étrangères de l’Azerbaïdjan a de nouveau accusé l’Arménie de ne pas avoir fourni de cartes des

Lors de la séance plénière de l’Assemblée nationale de la semaine prochaine, l’opposition parlementaire, les factions « Hayastan » (Arménie)»

a découvrir

Se connecter

S’inscrire

Réinitialiser le mot de passe

Veuillez saisir votre identifiant ou votre adresse e-mail. Un lien permettant de créer un nouveau mot de passe vous sera envoyé par e-mail.

Retour en haut