Le jeudi 24 mai 2007
LA PRESSE EN ALLEMAGNE
Arthur Abraham, le schtroumpf devenu roi
Sophie Allard
La Presse
Bamberg, Allemagne
Il y a une époque où, lors de ses combats, Arthur Abraham marchait vers le ring avec un gros bonnet de schtroumpf sur la tête et accompagné d’aguichantes schtroumpfettes. Peu soucieux de son image, il avançait au rythme de The Smurf Song, composée par le musicien caricatural Father Abraham.
Lorsqu’il est devenu champion du monde, en 2005, il a simplement troqué son bonnet blanc pour un bonnet or. C’était avant que les détenteurs des droits de la bande dessinée n’y mettent leur grain de sel.
Abraham, 27 ans, a depuis perdu son sens de l’humour. C’est du moins l’impression qu’il donne. Toujours invaincu (22-0, 17 K.-O.), «King Arthur» – son nouveau surnom – fait montre d’une attitude un peu hautaine et froide. La couronne et la cape rouge ont remplacé le ridicule bonnet.
Dans un magazine de Bamberg, le boxeur pose fièrement à dos de cheval, sa couronne sur la tête et une épée à la main. L’habit ne fait pas le moine, mais on dit d’Arthur Abraham qu’il se déplace rarement sans sa cour ! Il s’est récemment entouré de sujets qui font ses quatre volontés : un tel transporte son sac d’équipement, l’autre attache ses souliers
Le champion du monde aurait-il la grosse tête ? En tout cas, son entraîneur lui a suggéré de garder à distance ses «nouveaux amis» cette semaine. «Ils ne pourront rien pour lui dans le ring», a-t-il dit aux journalistes.
Lors de la conférence officielle, hier après-midi, Abraham s’est contenté de prononcer quelques mots. Un discours en allemand seulement. Sébastien Demers (20-0, 9 K.-O.) a été nettement plus coloré et spontané, réussissant au passage à susciter quelques éclats de rire dans la salle. «Abraham a l’air blasé. Il ne semble pas nous prendre au sérieux», s’est exclamé, un brin vexé l’entraîneur Alain St-Amand.
Marié à Miss Allemagne 2006, Arthur Abraham est devenu un héros national en septembre, lors de son dernier combat. Il a battu aux points le Colombien Edison Miranda, malgré une mâchoire cassée dès le quatrième round! Il a boxé blessé, le visage déformé et le sang coulant à flot, sans jamais penser à abandonner. Il a surmonté la douleur avant de gagner dans la controverse. Il n’en fallait pas plus pour susciter l’intérêt du public.
«J’ai été entraîné à boxer en cachant ma douleur», a récemment déclaré Abraham aux médias. «Ça paraissait pire à la télévision. J’avais la serviette dans les mains et j’étais prêt à l’agiter au moindre pépin», s’est défendu son entraîneur, Ulli Wegner, issue du système sportif de l’Allemagne de l’Est. Il coache à la dure. La police a tenté de porter des accusations, en vain. «Ceux qui le pointent du doigt ne savent pas de quoi ils parlent. Je suis content qu’il m’ait donné la chance de défendre mon titre malgré tout», précise Abraham.
Au lendemain de ce féroce duel, «King Arthur» s’est retrouvé en première page de tous les journaux allemands. Sa mère, qui ne comprend pas la langue, pense toujours que le boxeur s’en est tiré avec quelques points de suture. «Je ne voulais pas l’inquiéter.» Rien n’y paraît aujourd’hui, mais deux plaques de titanium et des vis tiennent sa mâchoire en place.
Né Avetik Abrahamyan, en Arménie, le champion est doté de cet esprit du guerrier qui ravit les foules. Quelque 7000 personnes sont attendues samedi soir à l’aréna Jako de Bamberg, ville moyenâgeuse où il a grandi. «C’est un boxeur très intelligent dans un ring. Il ne précipite pas les choses, il est réfléchi. C’est aussi un bon cogneur, affirme le promoteur Wilfried Sauerland. À force de parler de sa mâchoire, les gens viennent à oublier qu’il est un sacré bon boxeur. C’est le meilleur au monde dans sa division.» Il en est à sa quatrième défense d’un titre obtenu en décembre 2005 contre Kingsley Ikeke.
«Il est toujours en bonne condition physique. Il est agressif, il fait mal à ses adversaires de sa main droite. Il a cependant tendance à être un peu large. Au centre du ring, il est ordinaire, mais si tu te retrouves adossé aux câbles et moindrement en perte d’équilibre, il te le fera payer très cher, explique le promoteur Yvon Michel, arrivé à Bamberg, lundi. La moindre erreur peut être fatale contre Abraham. C’est un gros défi pour Sébastien, mais il est prêt pour ça.» Le Québécois, fort d’un jab explosif, tentera de tester la mâchoire de son adversaire.
«J’en ai marre qu’on me parle toujours de ma mâchoire, répond sèchement Abraham quand on le questionne sur le sujet. Je n’ai aucune douleur, j’ai passé le test de l’entraînement. Je suis en grande forme et j’ai hâte de remonter sur le ring. Mon entraîneur dit que jamais en carrière je n’ai eu d’aussi bonnes sessions de sparring. Je m’attends à une bataille très excitante.» Et moins sanglante que la dernière, probablement.
