Au Siounik, la vie est rythmée par la peur de l’Azerbaïdjan, par Ani Paitjan

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Les habitants se sont rassemblés sur la place principale où une scène a été installée. Quelques Gorisetsi tiennent en main des petits drapeaux où l’on peut lire en arménien « Hayastan », avec deux petites flèches rouges pointant vers la droite. Sur la scène, une affiche s’étale où le visage mi-souriant de Robert Kotcharian apparaît.
Les campagnes électorales ont commencé, et la foule attend l’arrivée du second président d’Arménie (1998-2008). Après douze ans d’absence politique, celui qui est connu comme l’instigateur d’une Arménie oligarchique, a fait son grand retour à l’annonce des élections anticipées du 20 juin. Son nouveau parti est une alliance constituée de la Fédération révolutionnaire arménienne (FRA) et du nouveau parti, Veratznvogh Hayastan (Renaissance Arménie).
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Il y a encore un an, le visage de Robert Kotcharian n’était aperçu que lors de son procès lié au cas du 1er mars 2008, où, suite à une manifestation, huit civils ont perdu la vie. Celui qui était abhorré par la majorité est maintenant perçu comme la solution à la crise que traverse l’Arménie.

Guerre et insécurité

Fin septembre 2020, la guerre éclate dans le Haut-Karabakh. L’Azerbaïdjan déploie l’artillerie lourde pour reprendre les terres de l’Artsakh. Après 44 jours d’atrocités, un cessez-le-feu est conclu entre l’Arménie du Premier ministre Nikol Pachinian, la Russie et l’Azerbaïdjan. Résultat : plus de 5 000 soldats entre 18 et 25 ans ont perdu la vie, plus de 70 % du territoire du Haut-Karabakh est sous contrôle azerbaïdjanais et depuis, son président Ilham Aliyev ne cesse de menacer du doigt. En sept mois, l’insécurité s’est déplacée dans le Siounik où le gouvernement de Pachinian s’est trouvé forcé de céder des terres à cause de démarcations imprécises entre les deux États. Pas étonnant donc que Pachinian soit particulièrement impopulaire dans cette partie-là du pays. Pas étonnant non plus que Kotcharian ait choisi Goris pour lancer sa campagne.
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« À l’époque, il y avait la sécurité, l’Azerbaïdjan n’aurait jamais attaqué l’Arménie. Robert Kocharian est le leader qu’il nous faut, il protégera nos terres. Je ne sais pas comment mais je sais que c’est la personne qu’il nous faut », dit Slavik, un habitant de la ville.

Changement de camp
Anna Grigoryan est l’un des visages de l’alliance de Kotcharian. Elle fait partie de la liste électorale et a été élue en 2020 membre de l’Assemblée nationale pour le parti « Im Qayl » de Nikol Pachi­nian. Après la guerre, la jeune femme a retourné sa veste, en colère contre le gouvernement. « Je suis originaire de Kapan dans le Siounik, j’ai peur pour ma région et je vois bien que Pachinian n’arrive à rien. Il faut quelqu’un de fort et je pense que l’alliance Hayastan est ce qu’il faut à l’Arménie », explique-t-elle.
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Robert Kotcharian fait finalement son apparition, sous les applaudissements de la foule. Il promet de mettre fin à la crise économique, de se débarrasser des organisations qui reçoivent de l’aide des pays occidentaux et qui affaiblissent le pays, il jure que Pachinian le paiera et il assure que les frontières du pays seront sûres quand il sera à la tête du gouvernement. En retour, c’est une acclamation tonitruante que reçoit Kotcharian.

Troupes azerbaïdjanaises
en Arménie

À environ dix kilomètres de la ville, loin du vacarme des élections, une horde de vaches paissent en silence dans une prairie dont la verdure est parsemée par-ci par-là de coquelicots. Il s’agit du chemin qui mène au lac Noir (Sev lidj), situé à la frontière avec l’Azerbaïdjan. Depuis un mois, il est devenu impossible de se rapprocher davantage du lac. Le 12 mai, les Azerbaïdjanais ont avancé leurs troupes et ont entièrement pris le lac. 70 % du point d’eau se trouve en terre arménienne, le reste était situé du côté azerbaïdjanais. Malgré la violation de l’intégrité territoriale de l’Arménie, les troupes ennemies ne bougent pas de leur position. La situation a réveillé les peurs chez les habitants de la région.
Shahum Margaryan a 55 ans et il est le propriétaire des vaches qui ruminent dans le pré. Le berger trace une demi-lune dans l’air : « toute cette partie-là, elle est sous contrôle azerbaïdjanais, explique-t-il. Là devant, c’est la montagne Ishkhanasar, derrière se trouve le lac et les Azerbaïdjanais se sont placés en hauteur. Si on monte l’une des collines, on peut même les voir physiquement. »
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Le berger est originaire de Tegh, le dernier village avant d’entrer dans le Karabagh. Pendant vingt ans, il a travaillé et vécu à Kashatagh, une région de l’Artsakh avant d’être prise par l’Azerbaïdjan durant la guerre. Avec tristesse, il regarde le territoire qu’il a vu prospérer pendant deux décennies. « J’ai travaillé toute ma vie, j’étais bien, j’avais 2 000 hectares, plus de 300 bêtes, je menais une bonne vie et j’avais tellement de projets pour l’avenir. J’ai tout perdu.» De ses bêtes, il ne lui en reste plus qu’une trentaine et plus aucun territoire. « J’ai été forcé d’amener le bétail ici et, il y a un mois, on a su qu’il serait impossible d’amener mes vaches et moutons au lac. Plus ça va, plus l’espace se réduit pour moi », raconte-t-il.
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Pendant la discussion, Shahum reçoit un appel. La mairie vient de lui annoncer qu’elle lui laissait un peu de temps pour trouver un autre endroit pour ses animaux. Depuis la guerre, le berger a du mal à joindre les deux bouts. Il a dû faire un prêt pour racheter quelques vaches. « Nous, les fermiers, nous adorons notre travail. J’aime être à l’air libre avec mes animaux, mais je vais devoir toutes les vendre avant le début de l’hiver parce que je ne peux plus continuer comme ça. » Que fera-t-il après ? « Mourir de faim », réplique-t-il le regard inquiet.

La peur quotidienne

Mi-juin, deux bergers de son village ont été retenus prisonniers car ils se sont accidentellement retrouvés dans la zone azerbaïdjanaise à cause des problèmes de démarcation du territoire. C’est tant bien que mal et après de longues heures de négociations qu’ils ont finalement été libérés. « L’avenir s’annonce mal, je le sens. Si les Turcs (sous-entendu les Azerbaïdjanais) sont arrivés là, ils ne s’arrêteront pas. Moi, je n’ai pas peur. C’est ma terre et je resterai ici à me battre, je n’ai pas peur pour moi. Mais j’ai deux fils qui surveillent eux aussi le bétail, j’ai peur pour eux, j’ai peur qu’il leur arrive quelque chose. »
Pourtant, Shahum ne blâme pas Pachinian pour la guerre, pour la ferme qu’il a perdue, ni pour la situation dans laquelle il se trouve actuellement. Au contraire, il s’agit du candidat qui a sa voix. Pour lui, les autres leaders de partis tentent de diviser les citoyens et mettent des bâtons dans les roues de Nikol Pachinian pour l’empêcher de travailler.
« Vous savez, de toutes ces personnes, s’il y a bien quelqu’un qui a le droit de jeter la faute sur Pachinian, c’est bien moi. Mais je ne le fais pas, parce que je sais que la situation dans laquelle nous nous trouvons n’est pas entièrement de sa faute. Nous avons eu trente ans pour nous préparer et nous n’avons rien fait », explique-t-il d’une voix calme.
Dans son pré, loin des affres politiques, Shahum rassemble ses bêtes et marmonne : « tout ça, c’est du spectacle, personne ne s’intéresse à notre sort. » Le berger restera avec son bétail dans les montagnes jusqu’à octobre, sous le regard des Azerbaïdjanais, si d’ici-là, la situation ne s’envenime pas dans la région.

Ani Paitjan

La rédaction
Author: La rédaction

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