Les 15 et 22 mars prochains, les Français seront appelés aux urnes pour procéder au renouvellement des conseils municipaux. Ces élections, fondamentales pour la vie quotidienne, le sont aussi pour le mouvement associatif, tant sur le plan communal que national, étant donné leur impact sur la composition future du Sénat. À ce titre elles intéressent doublement les Français d’origine arménienne engagés pour la défense de leur culture, de leur mémoire au niveau local, mais également politique.
Des personnalités d’origine arménienne se présentent à cette échéance municipale. C’est le cas de Béatrice Hovnanian, numéro 4 sur la liste EELV de Rudy l’Orphelin à Caen. Professeure agrégée en anglais, elle est installée dans la plus grande ville du Calvados depuis 2006. Consciente de l’urgence écologique, elle est secrétaire nationale adjointe du Cap 21, et présidente de « Nucléaire en Questions« . Militante engagée, elle dit tenir son courage, sa force et sa résilience de ses origines familiales, et notamment de son père qui fut, en 1956, le premier député français d’origine arménienne après avoir été vingt ans apatride. Entretien avec une femme de convictions.
Nouvelles d’Arménie Magazine : Comment se présente politiquement la situation dans votre ville ? Qu’apporterez votre victoire à la ville ?
Béatrice Hovnanian : Caen est une ville méconnue. Ville d’histoire depuis Guillaume le Conquérant, centre de la bataille de Normandie, elle est aussi une ville d’eau avec un patrimoine architectural impressionnant. On y trouve de multiples jardins arborés. C’est une ville dynamique à taille humaine.
Mais cette ville est aujourd’hui en train d’être sacrifiée aux promoteurs immobiliers, le dernier projet étant la vente d’un patrimoine public à un promoteur pour la construction un nouveau centre commercial en centre-ville, projet que nous voulons absolument stopper. Ce dernier est symptomatique d’un aveuglement et d’une surdité du maire sortant.
Caen Ecologiste et Citoyenne, la liste sur laquelle je me présente, veut permettre à Caen de se réinventer et de prendre de manière sereine et cohérente le tournant inéluctable de la transition écologique. Nous avons des chances de l’emporter face à un maire LR associé à des militants LREM.
Nouvelles d’Arménie Magazine : Quelles sont les trois propositions prioritaires de votre programme ?
Béatrice Hovnanian : Nous souhaitons faire de Caen une ville décarbonée, carbone free, sans énergie fissile ni fossile, d’ici 2050 et de le faire avec les habitants de manière heureuse. Nous voulons faire de Caen une ville attrayante, solidaire et dynamique. Comment y arriver ? Il est difficile de résumer en quelques phrases un programme de 65 pages.
Il s’agit de privilégier les modes de transports doux en augmentant l’offre de transport public de 40%, en créant une nouvelle ligne de tram, en piétonnisant le centre-ville, en développant un réseau express vélo sécurisé de 53 km, en multipliant les parkings à vélos et en créant des services de réparation de vélo, mais aussi d’auto-partage dans chaque quartier et enfin en offrant la gratuité des transports publics aux moins de 26 ans et aux plus modestes. Ainsi, nous voulons encourager les uns et les autres vers les transports doux en les rendant plus accessibles et plus attrayants. Nous voulons permettre à chacun de diminuer sa dépendance à la voiture.
De même, nous souhaitons inscrire Caen dans le dispositif zéro chômeur longue durée et aussi créer davantage d’emplois locaux, ceci en favorisant l’économie sociale et solidaire, en investissant massivement dans la rénovation énergétique et en créant une régie publique de production d’énergie renouvelable ainsi qu’un label Caen Positif Impact pour les entreprises ayant un impact positif sur l’environnement et sur l’emploi local.
Enfin, nous travaillerons pour une plus grande proximité des services publics partout dans la ville. Cela va des antennes pour les logements sociaux, à l’implantation de gardiens d’immeubles pour 100 logements sociaux et enfin à l’îlotage d’une police de proximité qui se déplacerait à pied dans les quartiers. Cela inclut aussi de réels espaces verts à moins de cinq minutes de chez soi où qu’on habite.
Je pourrais aussi parler de la maison des droits, des voyages à l’étranger pour les enfants (erasmus +), de la forêt urbaine que nous souhaitons en centre-ville pour en faire un îlot de fraîcheur, de la régie municipale de l’eau et de bien d’autres projets que nous voulons mettre en place pour une écologie qui soit cohérente.
Nouvelles d’Arménie Magazine : Qu’est-ce qui vous a poussé à vous présenter sur la liste ? Quel a été le déclic de votre engagement politique ?
Béatrice Hovnanian : Nous vivons une drôle d’époque ! L’humanité a créé les moyens de sa propre perte. En tant que peuple, nous avons créé des systèmes qui nous enferment dans une logique d’auto-destruction. En soi, c’est hallucinant. Je suis mère de deux enfants. Je ne peux pas m’asseoir et regarder le Titanic se précipiter vers l’Iceberg sans agir. C’est pourquoi, je me suis engagée, il y a dix ans déjà, à Cap21 auprès de Corinne Lepage. C’est aussi pour cela que j’ai organisé en 2018 une grande marche de La Hague à Paris avec une conférence chaque soir pour débattre du nucléaire et des énergies renouvelables.
A Caen, notre liste rassemble EELV, CAP 21, le PCF et Citoyens à Caen, un mouvement local de centre-gauche. Elle propose un changement radical mais qui n’est pas violent, un changement que l’on accompagne, un changement vers un avenir attrayant, voilà pourquoi je m’engage.
Toutefois, je relie aussi mon engagement directement à mes origines arméniennes. Mon grand-père est revenu vivant de Der-es-Zor. Il a enseigné la force, le courage et la résilience à mon père qui en 1956 est devenu le premier député français d’origine arménienne après avoir été vingt ans apatride. Député, il a été le seul de la commission d’enquête parlementaire sur les tortures en Algérie à refuser de signer le rapport final qui dédouane les services français des accusations de sévices contre les nationalistes algeriens. Pour cela et parce qu’il n’était pas un ‘pur’ français, il a été deux ans plus tard passé à tabac par l’OAS et pratiquement laissé pour mort pendant une campagne électorale. Il se battait pour ce qu’il voyait comme juste. A son tour, il m’a appris le courage. Il disait qu’un homme politique devait bien sûr être raisonné mais que le cœur et la volonté étaient tout aussi importants. Ce sont eux, mon père et mon grand-père, qui me permettent aujourd’hui de garder la tête froide et de m’engager pour l’avenir de nos enfants.
Nouvelles d’Arménie magazine : Avez-vous, durant votre campagne, croisé des électeurs d’origine arménienne ? Et comment cela se passe-t-il, en particulier lorsqu’ils ne sont pas de votre bord politique ?
Béatrice Hovnanian : J’ai croisé quelques électeurs arméniens. Il y a une petite communauté arménienne sur Caen. Une bonne partie d’entre eux étudie au conservatoire et j’ai tenu à aller dîner chez Anouche, un restaurant arménien local avant de rentrer en plein dans le vif de la campagne pour me donner de la force. Ceux que j’ai croisés m’ont félicitée pour mon engagement et certains sont spontanément venus me dire qu’ils me soutiennent. Quand on sait d’où me vient cet engagement, on peut comprendre que ce soutien me fait particulièrement chaud au cœur.
Propos recueillis par Claire Barbuti