Une personnalité emblématique de l’émigration politique en Belgique, Mohamed Baroudi s’est éteint le 21 juin 2007 à Bruxelles à l’âge de 72 ans.
Les familles Baroudi et Touzani nous ont annoncé que la cérémonie d’adieu aura lieu le mercredi 27 juin 2007 à 10h30 au musée Charlier (16, avenue des Arts à 1210 Saint-Josse). L’inhumation se déroulera à 15h00 au Cimetière de Saint-Josse (9, rue Henri Chomé à 1030 Bruxelles).
Très émus par son décès, nous présentons nos sincères condoléances aux familles Baroudi et Touzani ainsi qu’à tous ses camarades et amis.
Arrivé en Belgique en tant qu’exilé politique en 1966, Mohamed a consacré toute sa vie à la défense des droits des citoyens d’origine étrangère et à la lutte pour la démocratisation dans les pays d’origine.
Il a toujours été solidaire avec la lutte des exilés arméniens, assyriens, kurdes et turcs en provenance de Turquie.
Malgré son état de santé, il avait participé le 13 mars 2006 au colloque organisé à l’Hôtel de Ville de Bruxelles par le Collectif 1971 (l’Association des Arméniens démocrates de Belgique, les Associations des Assyriens de Belgique, la Fondation Info-Türk et l’Institut kurde de Bruxelles): « L’impact des régimes répressifs sur l’exode massif vers les pays européens ».
Le sénateur Josy Dubie, président du colloque, a présenté Mohamed en ces termes:
« Je vais à présent donner la parole à Monsieur Mohamed Baroudi, exilé marocain qui a quitté son pays, le Maroc, pendant les années de plomb où des milliers et des milliers de Marocains ont souffert, ont été torturés, beaucoup ont disparu. Il est en Belgique depuis des années et des années et il est pour beaucoup de Marocains un exemple de résistance pour la démocratie et les droits de l’Homme dans son pays. »
Quant à Mohamed, il a conclu son intervention avec cet appel: « Je crois que nous sommes appelés tous, progressistes et démocrates turcs et marocains, à nous voir bientôt pour pouvoir nous adresser ensemble à l’opinion publique ici dans ce pays devant la mondialisation galopante qui ne comprend que le gain et le profit. Nous, nous, voulons davantage de droits de l’Homme, davantage de libertés et davantage de progrès. »
A cette occasion douloureuse, pour honorer la mémoire de cet exilé politique insoumis, nous tenons à reproduire le texte complet de son intervention lors du colloque du 13 mars 2006.
La Fondation Info-Türk
Le texte complet de l’intervention de Mohamed Baroudi
lors du colloque du 13 mars 2006 à Bruxelles
Mesdames et Messieurs, Chers Amis, malgré la situation de santé qui n’est pas très bien, j’ai tenu à être présent à cette rencontre. D’abord pour saluer les participants et ensuite pour marquer ma solidarité de toujours avec la lutte du peuple turc et avec les organisateurs qui en font partie intégrante, je veux parler d’Info-Türk, de l’Institut Kurde de Bruxelles, des Associations des Assyriens de Belgique et l’Association des Arméniens de Belgique.
C’est aussi pour évoquer, dans cette brève intervention, des souvenirs auxquels je reste attaché : les souvenirs du début de l’immigration marocaine et turque dans les années soixante. Quand nous nous sommes trouvés quelques-uns, Marocains ou Turcs au sein des deux syndicats: FGTB et CSC pour assurer l’accueil et l’orientation pour l’installation des primo-arrivants ici. Ils sont arrivés sans aucune préparation, aucune structure d’accueil n’a été prévue, ni par l’état d’accueil, ni par l’état d’exportation, d’envoi. Parce qu’il s’agit d’exportation.
Nous nous sommes trouvés quelques-uns. Nous étions, moi j’étais du côté de la FGTB, pour d’abord accueillir ces gens, qui n’avaient, qui ne savaient rien de cette Belgique. Il y en a qui parlaient un peu, un tout petit peu de français. Il y en a qui ne parlaient pas le français, pas du tout.
Alors, à partir de cette action d’accueil, nous avons pu créer les premiers noyaux d’organisations de travailleurs marocains et turcs, à l’intérieur des deux syndicats. Et c’était grâce au soutien et à la solidarité des associations, des groupes et du courant de travailleurs immigrés de l’ensemble de l’Europe. Je veux parler des Espagnols qui étaient bien avant nous, des Italiens, des Grecs, des Portugais, des Français aussi. Et c’est cette aide qui nous a donné la force et la protection contre les groupes envoyés, pour nous moucharder et pour nous intimider, des autorités marocaines qui s’appellent les Amicales des Travailleurs et Commerçants Marocains en Europe et du côté turc, il y avait les sinistres Loups Gris qui étaient là pour intimider, agresser et moucharder les travailleurs Turcs et leur famille. Et c’est grâce à cette solidarité que nous avons pu faire face à ces deux fléaux qui continuent toujours, sous d’autres formes, bien sûr. Cette solidarité au sein des syndicats et avec les groupes organisés des travailleurs migrants européens nous a permis d’obtenir des droits à l’intérieur du monde du travail. Déjà dans les années 70, nous sommes devenus délégués à tous les échelons du travail syndical. Nous avons obtenu nos droits de vote social et nos droits de vote politique. Cela a traîné, jusqu’à cette année où l’on a finalement accepté d’accorder le droit de vote pour les élections comme dans les années 70, nous avions obtenu le droit de vote syndical, le droit de vote social.
Cette phase qui a duré depuis l’arrivée jusqu’au début des années 81, je peux l’appeler la phase syndicale de l’accueil des travailleurs migrants turcs et marocains.
Suite à ça nous sommes passés à la phase que j’appellerais politique ou partisane où ce sont les partis politiques qui se sont occupés du devenir de cette immigration et de sa deuxième et troisième génération.
Nous nous sommes trouvés ici dans les années 60, travailleurs, exilés, suite à ce qui s’est passé dans notre pays. Notre pays, comme vous le savez, était colonisé par la France et par l’Espagne, les deux à la fois depuis le début du siècle dernier jusqu’en1956. Le peuple marocain a résisté pendant toute la durée de l’occupation contre la présence étrangère dans notre pays mais toujours avec l’espoir de voir les Marocains, le peuple marocain et ses différentes couches bénéficier des biens de leur pays. Or, après l’indépendance, étant donné d’une part, les faiblesses de la direction de la résistance et d’autre part, les jeux du colonialisme, c’est la droite, c’est la réaction qui a récupéré les rênes du pouvoir donc les rênes du pays.
Au bout de 2 ans, les Marocains ont senti que rien n’avait changé, après 2 ans d’indépendance : de 56 à 58. C’était le début des révoltes, des révoltes populaires pour protester contre la privation et contre l’accaparement des biens du pays par une petite minorité de gens soutenus par leur police, par leur armée et par leur administration héritée du colonialisme. Donc, c’est à partir de 58 que les soulèvements allaient se succéder pour donner des phases et des contingents successifs de travailleurs migrants et avec eux, dans leurs valises, des exilés politiques.
Moi, j’appartiens à cette génération de 63 qui a pu échapper à un coup de filet organisé par le pouvoir marocain avec l’intention d’éliminer tout ce qui était opposition radicale à son régime.
Aujourd’hui, on essaie de faire montrer à l’Europe que les choses ont changé après la disparition du roi Hassan II et la succession au trône de son fils. Il y a des choses qui ont changé. Il y a la personne qui a changé. Il y a le style. Mais au fond, nous restons toujours un pays qui a besoin de travail pour ses enfants, qui a besoin d’écoles pour ses enfants, qui a besoin d’hôpitaux pour les gens, un pays qui a besoin de la liberté. C’est toujours la presse qui est présentée aux tribunes du pouvoir. Un pays qui a besoin de reconnaître le droit aux minorités. Les Sahraouis sont toujours jetés dans le désert parce qu’ils ont revendiqué le droit à l’autodétermination. De la même manière que les Kurdes, que d’autres minorités demandent leur autodétermination en Turquie.
Donc, je peux dire, de ma part, s’il y a des apparences qui ont changé, s’il y a un style qui a remplacé l’ancien, le fond reste le même et l’on cherche à miroiter ça à l’Europe pour y accéder. Parce que le Maroc était toujours à la traîne de la politique turque, mais si la Turquie est candidate à l’Europe, le second candidat après elle, c’est le Maroc. Alors, je crois que nous sommes appelés tous, progressistes et démocrates turcs et marocains, à nous voir bientôt pour pouvoir nous adresser ensemble à l’opinion publique ici dans ce pays devant la mondialisation galopante qui ne comprend que le gain et le profit. Nous, nous, voulons davantage de droits de l’Homme, davantage de libertés et davantage de progrès. Merci pour votre attention.
Bruxelles, le 13 mars 2006