Belgique : Recrutement des élus, valeurs socialistes… Le malaise est patent

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« Trois dangers nous guettent », prévient Patrick Moriau, député fédéral PS, « le jeunisme exacerbé, le bougisme et le communautarisme. Nous devons réaffirmer nos valeurs de laïcité et d’universalité sans tabou ni complexe. L’intérêt général, ça n’est pas la somme des intérêts particuliers ».

Un membre du bureau politique national acquiesce : « Le PS mérite mieux que de devenir un parti à l’américaine, perméable aux lobbies religieux ou ethniques, écartelé entre des chapelles et des courants, fractionnant son action publique pour faire plaisir à chaque communauté ! »

Le sénateur Philippe Mahoux ajoute : « Liberté de conscience, respect des valeurs d’autrui, séparation des églises et de l’Etat… La discussion portant sur notre conception laïque de la société ne peut rester sous le boisseau. Elle doit se poursuivre en continu. Et, bien entendu, elle doit s’appuyer sur un mélange de convictions et d’ouverture. On ne résout jamais les problèmes en niant leur existence. »

Depuis le 8 octobre, un certain malaise règne au sein du Parti socialiste. En cause : plusieurs événements survenus avant, pendant et après le scrutin communal. De la polémique concernant le port du foulard dans les bureaux de vote au recrutement contesté de certains candidats issus de l’immigration.

Des dérives du « stemblok » à Bruxelles à l’élection d’un sympathisant de l’extrême droite turque sur la liste PS de Schaerbeek. De la saga Bouarfa à l’affaire Kir, accusé d’avoir signé une pétition niant le génocide arménien…

« Il est grand temps de faire notre examen de conscience », admet, en off, un ministre PS. « Et de nous reposer d’urgence la question suivante : quelle société multiculturelle voulons-nous défendre ? »

Du Boulevard de l’Empereur aux sections locales, les opinions divergent et… s’affrontent. Entre Wallons et Bruxellois, laïques modérés et libres-penseurs rabiques, camarades belgo-belges et « allochtones », « il est effectivement très difficile de faire la synthèse et de trouver un fil rouge », déplore un député fédéral.

Nombreux sont ceux qui, en interne, voudraient pourtant avancer : « Nous devons débattre de façon sereine, décomplexée et non passionnelle. Il ne faut pas tarder, idéalement avant les élections », plaide l’eurodéputée Véronique De Keyser.

Pour la sénatrice Anne-Marie Lizin, il y a aussi urgence : « Mes visites récentes dans plusieurs Maisons de la Laïcité en Wallonie me font dire qu’il y a un certain souci avec ces questions, une forme d’insatisfaction, voire d’insécurité. »

Certains « sages » du PS planchent actuellement sur le sujet. L’Institut Emile Vandervelde, lui-même, s’est emparé du dossier. On parle formation et suivi des élus, pacte de la laïcité, ateliers, débats… Et l’état-major socialiste ne peut plus se permettre, à quelques mois des législatives, de fermer les yeux.

« Nous devons réinvestir dans nos militants et nos candidats », insiste la députée Karine Lalieux, « notamment ceux qui sont issus de l’immigration, pour qu’ils puissent faire face au poids de leur communauté et qu’ils gardent la distance politique qui s’impose ».

« Le PS doit retrouver sa vocation de mouvement d’éducation populaire et arrêter d’enrôler des candidats de circonstance ! », tranche un membre du bureau national.

« Nous devrons être plus stricts, plus rigoureux dans le recrutement », ajoute un ministre fédéral. « Passer de l’ouverture quantitative au qualitatif. Nous appuyer sur des relais vraiment progressistes dans les communautés. »

Et la députée Lalieux d’ajouter : « Nous sommes les élus d’un parti, nous adhérons à un programme et à un socle commun de valeurs. C’est une question de cohésion et de cohérence. »

C’est précisément un des enjeux du débat en cours : (re)donner une certaine cohérence au discours socialiste concernant la laïcité, la défense des minorités, le dialogue interculturel… « Nous parlons encore à 1.001 voix », tonne un sage du PS. « Trop de tactiques locales, électoralistes et communautaires ! »

Le PS entend garder la main sur l’électorat d’origine étrangère, principalement arabo-musulman, qui vote traditionnellement à gauche. Mais sur les sujets sensibles, qu’ils soient nationaux (port du foulard à l’école, cantines halal, financement public des mosquées…) ou internationaux (reconnaissance du génocide arménien, question du Sahara occidental, adhésion de la Turquie…), un ministre PS l’admet volontiers : « Le parti navigue souvent à vue selon qu’il parle depuis Molenbeek, Saint-Josse ou le fond de la Wallonie… »

Le parti socialiste est-il en mesure de réussir cette fameuse « synthèse » ? « Nous avons prouvé à travers des lois éthiques sur l’euthanasie, la recherche sur les embryons, la lutte contre les discriminations… que nous étions capables de combiner laïcité et espace de liberté le plus large possible », plaide Philippe Mahoux.

« J’ai confiance en nos valeurs universelles et en notre capacité à mener un débat serein sur la séparation entre l’action politique et le fait religieux », ajoute Véronique De Keyser.

Néanmoins, entre les tenants d’une certaine forme de communautarisme – principalement en région bruxelloise, où il s’agit de ne pas se fâcher avec l’électorat maghrébin, turc et subsaharien… – et les adeptes du principe de laïcité « à la belge », le PS reste sous tension : « Va-t-on, en pleine affaire carolo et Immo Congo, prendre le risque de perdre des plumes supplémentaires ? Quels seront les bénéfices d’une telle confrontation ? », doutent certains au bureau politique du parti.

A quelques mois des législatives et de l’accession du sénateur Pierre Galand à la présidence du Centre d’action laïque, le PS progresse donc à petits pas entre autocritique, stratégie électorale et prudence de Sioux.

 » Soit on a le courage politique d’avancer, soit on va droit dans le mur ! », conclut un parlementaire. « Elio, qui ne jure plus que par Ségo (Ségolène Royal, NDLR) , a-t-il mesuré combien la France républicaine et multiculturelle est malade ? Quelle société entend-il défendre ? Il est grand temps de le savoir ! » (Le Soir, Hugues Dorzée, 4 décembre 2006)

Témoignage d’une militante d’origine algérienne

Attaques interminables de la part de certains camarades » (…) « Diffamations » (…) « Attitude déloyale ». Ghezala Cherifi, 40 ans, militante socialiste depuis 1994, a décidé de sortir du bois.

Conseillère communale sortante à Saint-Gilles et non réélue, elle vient de déposer plainte auprès de la Commission de vigilance de la Fédération bruxelloise du PS. Elle dénonce une campagne électorale « impitoyable ». Et espère que son parti va « se réveiller ». Témoignage.

« Je suis entrée au Parti socialiste en 1994. Je n’avais ni réseaux ni relais. Je me suis forgé une conscience politique en étudiant Sciences Po à l’ULB. Je milite activement dans le milieu associatif bruxellois depuis plus de 20 ans. Aujourd’hui, je suis déçue et inquiète.

Algérienne d’origine, j’ai toujours veillé à travailler dans un esprit universaliste. Je me suis toujours méfiée des réflexes ethnico-religieux. Je revendique mon statut de femme et de laïque. Mais aujourd’hui, je ne me sens absolument pas soutenue. Après plusieurs expériences électorales – à Ixelles, sur les listes régionales en 1999, à Saint-Gilles en 2000 et le 8 octobre -, j’ai découvert combien il n’est pas simple d’avoir un idéal et des convictions et de les défendre avec franchise et intégrité. J’ai connu l’autoritarisme des petits chefs, les coups sous la ceinture, les débats cadenassés, les alliances qui se font et se défont…

Je suis musulmane pratiquante, mais je n’ai jamais caché mon attachement au principe de neutralité. On me l’a beaucoup reproché. Je n’ai jamais fait campagne dans les mosquées en surfant sur les sujets communautaires qui plaisent. Mon franc-parler dérange. Je devenais la mauvaise musulmane, la fille facile, le traître à sa communauté… Insultes, boycott pas SMS, arrachage d’affiches… Ce fut médiocre et sans pitié ! Mon parti joue avec le feu sur ces questions. On préfère passer des accords avec des responsables religieux locaux, soutenir ceux qui font allégeance au régime marocain ou turc, retourner sa veste sur des sujets qui fâchent comme le port du foulard ou le génocide arménien. C’est plus porteur électoralement !

J’ai été la cible des nationalistes marocains de mon parti. Je n’ai jamais pris de position sur la question du Sahara occidental, mais le simple fait d’être algérienne suffisait à me cataloguer, à faire campagne contre moi par SMS ou via la presse marocaine.

Au PS, on peut se prononcer à l’envi sur la situation en Palestine, mais gare à celui qui aborde la question du Sahara occidental ! Il ne faut surtout pas risquer de se fâcher avec l’ambassade ou le Régime… Je ne peux plus tolérer quelqu’un qui me dit la communauté algérienne est petite, tu ne représentes qu’une minorité, tu ne fais pas le poids face aux candidats d’origine marocaine. Ne suis-je pas censée être une candidate belge avant tout ?

Je ne supporte plus la condescendance et le paternalisme de certains à l’égard des militants ou des élus issus de l’immigration. Je m’insurge contre les critères de recrutement : prétendue notoriété, docilité, capacité à faire le plein de voix… Je n’aime pas l’idée de faire miroiter des mandats, une réussite sociale, des avantages X ou Y… C’est intenable ! Mon parti – mais pas seulement lui – ne peut plus décemment poursuivre sur cette voie .».

(Le Soir, 4 décembre 2006)

raffi
Author: raffi

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