Bruno Retailleau : « l’histoire des hommes est d’abord celle des civilisations »

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Nouvelles d’Arménie Magazine publie dans son numéro de novembre une interview exclusive de Bruno Retailleau, rapporteur de la résolution sur l’Arménie et le Haut-Karabakh qui sera débattue le 15 novembre prochain au Sénat. Dans cet entretien, le président du Groupe LR de la chambre haute du Parlement revient sur les raisons de son engagement politique.

Nouvelles d’Arménie Magazine : Vous vous êtes à nouveau mobilisé sur la question arménienne en prenant l’initiative d’une conférence au Sénat le 22 septembre dernier. Pensez-vous à d’autres initiatives ? Pourquoi cet engagement ? Quelle est sa genèse ?
Bruno Retailleau :
Depuis de nombreuses années déjà, le combat pour les chrétiens d’Orient et contre le totalitarisme islamiste est au cœur de mon action. Ce combat, c’est celui du peuple arménien. Je me suis rendu en Arménie l’année dernière. J’ai vu un peuple-courage, qui s’est battu seul contre la coalition azéri-turque et ses mercenaires djihadistes, dans une forme d’indifférence. C’est la raison pour laquelle je me suis battu pour que le Sénat adopte une résolution demandant que la France reconnaisse la république du Haut-Karabakh. Mais l’Arménie est aussi pour moi un pays-message. Car elle dit ce que nous ne disons plus : la dignité d’un peuple réside avant tout dans sa souveraineté. Elle nous montre aussi ce que nous ne voyons plus : l’histoire des hommes est d’abord celle des civilisations, et celles-ci sont mortelles. Voulons-nous défendre la nôtre ? Nous reconnaissons-nous encore dans cette civilisation européenne dont l’Arménie constitue la courageuse sentinelle ? Ou avons-nous définitivement basculé dans l’amnésie et l’ingratitude ? Telles sont les interrogations fondamentales que nous lancent les Arméniens du fond de leur épreuve. Nous devons être à leurs côtés et dénoncer clairement l’attitude criminelle de l’Azerbaïdjan qui bombarde des civils, massacre des soldats désarmés. La France doit parler clair : l’Azerbaïdjan est l’agresseur, ses troupes doivent quitter le territoire arménien et notamment le couloir de Latchine.

NAM : La guerre des 44 jours a-t-elle, selon vous, scellé le sort du Karabakh ?
B. R. :
Rien n’est jamais perdu. Regardez l’Ukraine : qui aurait dit qu’elle ferait reculer l’ours russe ? Pour ma part, je continuerai de porter la cause de l’Artsakh. N’envoyons pas à l’Azerbaïdjan et à son parrain turc un signal de faiblesse qui pourraient les pousser à aller encore plus loin. Car l’Azerbaïdjan n’est pas dans une logique d’apaisement mais d’affrontement, cherchant, depuis mai dernier, à repousser par petites touches la frontière arménienne et imposer ses vues sur cette liaison vers le Nakhitchevan.
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NAM : Que peut faire concrètement la France pour la république du Haut-Karabakh ? Et pour l’intégrité territoriale de l’Arménie ?
B. R. :
La négociation du cessez-le-feu du 9 novembre qui s’est faite sans la France a été un camouflet pour notre pays. Pourtant, nous disposons de nombreux leviers pour défendre les intérêts de l’Arménie. La France est coprésidente du groupe de Minsk, elle préside en ce moment même le Conseil de sécurité de l’ONU et est un membre fondateur de l’Union européenne. Autant d’instruments que nous devons utiliser. D’autant plus que la guerre en Ukraine fragilise le rôle de la Russie. Je me réjouis qu’Emmanuel Macron ait enfin décidé de mobiliser nos partenaires européens pour envoyer une mission civile en Arménie, le long de la frontière avec l’Azerbaïdjan, afin de contribuer à la délimitation des frontières et à leur respect. Faudrait-il aller plus loin, envisager des sanctions ou l’envoi sous mandat de l’ONU d’une force d’interposition ? Il ne faut rien écarter, y compris la fourniture d’armes défensives à l’Arménie pour équilibrer le rapport de force. Je propose également à Emmanuel Macron de reprendre la proposition que nous avions faite durant l’élection présidentielle, d’organiser à Paris une conférence internationale pour l’Arménie, afin d’aborder tout autant les enjeux laissés de côté par les accords de cessez-le-feu, à savoir le statut international du Haut-Karabakh et le retour des réfugiés, ainsi que la question de la protection du patrimoine culturel et religieux du Haut-Karabakh.

NAM : Que peut-on demander au gouvernement français et à l’Europe sur ces questions ?
B. R. :
Qu’ils cessent ce deux poids-deux mesures insupportable. L’Europe et la France ont infligé d’énormes sanctions à la Russie après son agression de l’Ukraine – ce qu’il fallait faire – jusqu’à accepter de se passer du gaz russe. Mais qu’en est-il de la guerre qui est menée au Haut-Karabakh et de la violation de l’intégrité territoriale de l’Arménie ? L’Europe s’est, jusqu’à présent, contentée de quelques communiqués indolents de protestation qui n’ont eu aucun effet. Plus grave encore, Madame Von der Leyen s’est rendue en personne à Bakou pour annoncer et célébrer en grande pompe un nouvel accord qui doit doubler les importations de gaz azerbaïdjanais. C’est un scandale moral. L’Europe a délibérément rangé au placard les valeurs qu’elle prétend défendre en Ukraine. La souveraineté de l’Arménie vaut-elle moins que celle de l’Ukraine ? Le sang et les souffrances des Arméniens valent-ils moins que ceux des Ukrainiens ? En choisissant l’Azerbaïdjan comme fournisseur de gaz en lieu et place de la Russie, l’Europe ne fait pas seulement preuve de lâcheté et de fausseté, elle commet une immense erreur stratégique. Elle renforce considérablement le régime dictatorial d’Aliev et valide la stratégie d’expansion et de tension permanente de son parrain turc. Nous le paierons un jour.

NAM : En quoi le combat pour l’Arménie rejoint-il vos convictions politiques ?
B. R. :
Je crois en la transmission, qui relie les générations les unes aux autres et qui ancre chaque individu dans une histoire qui le dépasse mais dont il est le dépositaire. C’est cela que nous rappelle l’Arménie, cette petite nation, premier royaume chrétien, qui a su traverser les épreuves et les blessures que lui a infligées l’Histoire et qui est toujours là, debout, pour défendre son identité et sa souveraineté. Mais l’Arménie est aussi un avertissement. Un avertissement pour une Europe qui, justement, ne veut plus entendre parler de nation et de civilisation. Or, lorsque l’on se coupe de ses racines, lorsque l’ouverture à l’Autre justifie l’oubli de soi, alors les jours de malheur ne sont jamais loin. Regardez cette promotion du voile islamique qui est faite avec le soutien de la Commission européenne : en célébrant le hijab, alors que les Iraniennes le retirent, l’Europe ouvre un espace pour l’islamisme, elle donne raison à Erdogan et aux successeurs de Khomeini. Quelle folie !
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NAM : L’axe Ankara-Bakou représente-t-il aussi une menace pour l’Europe ?
B. R. :
Évidemment. Depuis plusieurs années maintenant, la Turquie est une force de déstabilisation internationale. Au Moyen-Orient, elle a alimenté le conflit en Irak et en Syrie pour forger l’axe fréro-chiite qu’a très bien décrit Gilles Kepel. En Afrique, elle a transféré de très nombreux djihadistes du Levant vers la Libye, enfonçant un peu plus ce pays dans la guerre civile. En Europe et en Méditerranée, elle se livre à un incessant chantage aux migrants et menace l’intégrité territoriale de certains États comme la Grèce. À l’intérieur de nombreux pays européens, comme en France, la Turquie participe à entretenir un « djihadisme d’atmosphère » par l’intermédiaire de ses réseaux religieux comme le Millî Görüs et des succursales islamistes qu’elle chauffe à blanc dès qu’une occasion se présente. Rappelons-nous de la campagne de boycott que Erdogan a lancée contre la France après l’assassinat de Samuel Paty. Ce qu’il se passe aujourd’hui dans le Caucase, avec la formation d’un axe Ankara-Bakou, n’est donc que la dernière étape en date de cette ambition impérialiste que la Turquie déploie depuis plusieurs années, et qui se nourrit de nos lâchetés et de nos compromissions. Messieurs Erdogan et Aliev ne cachent même pas leurs rhétorique génocidaire, le premier qualifiant les Arméniens de « restes de l’épée », dans une allusion glaçante au génocide de 1915, et le second de « chiens ». L’Europe est-elle prête à accepter, à ses portes, un nouvel Empire ottoman, un nouveau sultan, un nouveau tyran qui, du Caucase à la Méditerranée, imposerait ses vues ? Est-elle prête à accepter, pour un peu de gaz, la disparition d’un peuple qui nous supplie de l’aider ?

NAM : Qu’est-ce qui vous a décidé à postuler pour la direction de LR ?
B. R. :
Les Républicains sont aujourd’hui dans un état de faiblesse avancé. Notre score aux dernières élections présidentielles démontre clairement que les Français ne nous croient plus. Et ils ne nous croient plus parce que, au pouvoir, la droite les a déçus. Pour retrouver la confiance de nos compatriotes, un « ripolinage » de façade ne suffira pas. Il va falloir faire l’inventaire des erreurs passées et assumer une ligne claire. C’est le projet que je porte avec des hommes et des femmes de conviction, comme François-Xavier Bellamy notamment, très engagé, comme vous le savez, pour la cause arménienne et à qui j’ai confié cette mission de refondation intellectuelle de la droite. Sur l’immigration, l’islam politique, la dépense publique ou le travail, je veux une droite qui ne recule plus, qui ne se renie plus, une droite qui ne s’excuse plus d’être de droite. Je n’ai jamais eu, moi, la droite honteuse. Mais je veux aussi une droite audacieuse, qui se remette au travail, parce que critiquer ne suffira pas et que nous devons proposer aux Français un vrai projet de société, et pas seulement quelques mesures.

NAM : Quels sont les obstacles à surmonter pour prétendre à la victoire d’un candidat LR à la prochaine présidentielle ?
B. R. :
D’abord, il faut prendre les choses dans l’ordre : nous précipiter dès maintenant sur la prochaine élection présidentielle, en désignant un candidat dès 2023, serait une lourde erreur. Pour notre candidat, d’abord : si la droite trébuche aux élections européennes, on l’électrocutera. Mais aussi pour notre parti : si, comme d’habitude, on se préoccupe des personnes plutôt que des idées, nous pouvons être sûrs que rien ne changera ! Tant que la droite mettra les personnes avant les idées, elle perdra, parce que ce qui intéresse les Français, ce sont des solutions à leurs problèmes, pas nos concours internes de beauté. D’abord la refondation, ensuite l’incarnation. Nous croyons à la valeur travail ? Et bien, mettons-nous immédiatement au travail pour bâtir un vrai corpus intellectuel de droite, établir les grandes réformes dont la France a besoin. Pour cela, nous devons aussi sortir de nos zones de confort, aller sur des terrains comme l’écologie, l’éducation ou la culture, que nous avons trop longtemps abandonnés à la gauche.

NAM : Le bilan de votre parti lorsqu’il était au pouvoir constitue-t-il pour vous un atout ou un handicap pour son retour aux affaires ?
B. R. :
C’est notre principal handicap. La droite avait promis la rupture et, quand elle a été aux responsabilités, elle a choisi la demi-mesure. Elle a fait les heures supplémentaires, mais elle n’a pas mis fin aux 35 heures. Elle a introduit des peines planchers mais a supprimé la double peine. Elle a réduit le nombre de fonctionnaires dans certaines administrations – pas toujours les bonnes d’ailleurs ! – mais elle a créé les ARS qui ont bureaucratisé la santé. Ce sont toutes ces petites lâchetés qui nous ont conduits aux grandes défaites. Il faudra faire l’inventaire. J’ai la liberté pour le faire : je n’ai jamais été l’homme d’un clan, je me suis même opposé à certaines décisions de notre famille politique comme le traité de Lisbonne, que je n’ai pas voté parce que je considérais qu’il contournait le « non » souverain des Français au référendum de 2005.

NAM : Qu’est-ce qui fait aujourd’hui le plus défaut à la France ?
B. R. :
Ce qui manque à la France, c’est une politique qui s’attaque aux causes, au lieu d’essayer d’atténuer les conséquences avec des chèques en bois. À la fin de l’année dernière, la France affichait une dette de 112.9 % du PIB, un déficit public de 6.5 % et un taux de dépenses publiques de 59.2 %, dont une partie était sans lien avec la crise sanitaire. Si la croissance était fonction du niveau de dépenses, la France serait un paradis, un pays à l’avant-garde du bonheur universel ! Et que constate-t-on ? Que l’hôpital s’effondre, que l’insécurité gangrène jusqu’aux plus petits villages, que les flux migratoires explosent, que notre école dégringole dans tous les classements internationaux, etc. Pendant cinq ans, la seule politique qui a été menée par Emmanuel Macron aura consisté à déverser une pluie d’argent public en espérant que cela suffise à acheter la paix sociale. Le Ségur de la santé ou le Beauvau de la sécurité en sont des exemples caricaturaux. « Je dépense donc je suis » : voilà le credo d’E. Macron. Cette addiction à la dépense publique a été aggravée par la pratique du « en même temps ». Quelle confiance peut-on accorder à un président qui dit tout et son contraire ? Qui annonce vouloir fermer quatorze réacteurs nucléaires puis, une fois la filière nucléaire sabordée, veut relancer la construction d’EPR ? Qui refuse en 2017 de repousser l’âge légal de départ à la retraite et qui fait de ce report un argument de campagne en 2022 ? Qui prononce, aux Mureaux, un discours sur la menace islamiste et qui considère qu’une femme voilée est le nec plus ultra du féminisme ? L’« en même temps » a installé une forme de « tout se vaut ». Mais si tout se vaut, alors tout est faux ! Nous devons montrer à droite que la politique vaut encore quelque chose, qu’il y a encore des hommes et des femmes d’honneur qui ne sont pas prêts à troquer leurs convictions pour des ambitions.

Propos recueillis par Ara Toranian

La rédaction
Author: La rédaction

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