La Commission européenne a appelé mardi l’UE à respecter ses engagements envers la Turquie, faute de quoi la déception des Turcs pourrait les détourner des réformes réclamées par les Européens.
« Le processus d’adhésion à l’Union européenne est une équation qui nécessite deux parties pour produire des résultats », a déclaré le commissaire à l’Elargissement Olli Rehn lors de la publication de son rapport annuel sur l’évolution des négociations d’adhésion de la Turquie au bloc européen.
« La conditionnalité en est la pierre angulaire, mais elle ne fonctionne que si l’UE respecte son propre engagement concernant la perspective d’adhésion. Sans cela, nous pouvons toujours exiger des réformes, bien sûr, mais ce serait comme parler à un mur », a-t-il ajouté.
La Turquie a commencé en octobre 2005 des négociations d’adhésion à l’UE qui pourraient durer au moins dix ou quinze ans. L’objectif de ces pourparlers est officiellement une adhésion pleine et entière, bien qu’elle ne soit pas garantie.
Mais plusieurs Etats membres, France en tête, contestent cet objectif.
Sans citer la France, ni son président Nicolas Sarkozy, qui répète que la Turquie n’a pas sa place dans l’UE, M. Rehn visait mardi implicitement Paris, en s’exprimant exceptionnellement en français lors de son point de presse.
Lundi, le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a lui-même accusé l’Union européenne de mettre des « barrières politiques » à son adhésion. L’UE « déçoit nos attentes », a-t-il déclaré.
Pour prouver à la Turquie que l’UE respecte ses engagements, le commissaire Rehn a appelé à ouvrir « dans les prochaines semaines » deux des 35 chapitres thématiques qui jalonnent les négociations d’adhésion: sur la « protection des consommateurs » et les « réseaux trans-européens ».
Soulignant que ces deux chapitres n’étaient pas « politiquement controversés », il a espéré que « tous les Etats membres soutiendraient » leur ouverture.
La Turquie n’a pour l’instant ouvert que 4 des 35 chapitres et 8 sont gelés depuis décembre 2005 en raison du refus des Turcs d’ouvrir leurs ports et aéroports aux navires et avions chypriotes grecs.
M. Rehn a estimé qu’en respectant ses engagements avec Ankara, l’UE pouvait se permettre d’être « rigoureuse ».
Il a ainsi annoncé avoir demandé aux Etats membres de ne pas ouvrir le chapitre sur le « système judiciaire et les droits fondamentaux » tant que le « tristement célèbre » article 301 du code pénal turc, qui a permis de lancer des poursuites contre de nombreux intellectuels pour atteinte à l’identité turque, ne serait pas aboli ou révisé.
Après une année 2007 marquée par « des progrès limités » en matière de réformes en Turquie, la Commission a également réclamé à Ankara des réformes « urgentes », notamment sur le contrôle de l’armée par le pouvoir politique.
« Nous sommes déterminés à poursuivre les réformes jusqu’à ce que notre pays rattrape les niveaux les plus élevés en matière de démocratie et de droits de l’Homme », a répondu le ministère turc des Affaires étrangères.
M. Rehn n’a en revanche pas condamné la menace d’Ankara d’intervenir contre les rebelles kurdes installés en Irak, lui demandant simplement de faire preuve de « retenue ».
Plus généralement, la Commission européenne a déploré la lenteur des réformes en 2007 dans les pays des Balkans (Croatie, Macédoine, Albanie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine, Serbie) comme en Turquie, estimant que ces pays ne pourraient entrer dans l’UE qu’à « moyen ou long terme ».
Elle a été particulièrement critique envers la Bosnie, où une réforme cruciale de la police est bloquée par la « rhétorique nationaliste » des leaders politiques.
M. Rehn a cependant tenu à encourager la Serbie dans ses efforts pour arrêter l’ex-chef militaire des Serbes de Bosnie Ratko Mladic, en annonçant le « paraphe » du premier grand accord UE-Serbie, dernière étape avant sa signature.