Half Moon de Bahman Ghobadi
Pour voyager dans le monde kurde, entre Iran, Irak et Turquie, le film de Bahman Ghobadi est un guide original, qui suit un itinéraire peu commun. On part du Kurdistan iranien, dont le cinéaste est originaire. Un petit village perdu dans des solitudes immenses, mais plein de l’animation d’un combat de coqs. Là vit Mamo (Ismail Ghaffai), vieux musicien kurde célèbre, à la fois proche de la mort et d’une étonnante verdeur. Depuis la chute de Saddam Hussein, Mamo s’est donné une dernière mission : partir avec ses dix fils, tous musiciens, pour donner un concert dans le Kurdistan irakien, où il lui était jusqu’alors interdit d’aller. Ils ont répété sept mois avant de partir à bord d’un vieil autocar conduit par le truculent Kako (Allahmorad Rashtiyani), l’organisateur des combats de coqs, grand admirateur de Mamo.
À travers les étapes de cette expédition, Half Moon développe ses multiples saveurs, graves et rudes comme la splendeur désolée des paysages montagneux, ardentes et épicées comme un combat, suavement lyriques ou rondement cocasses. À la recherche d’une chanteuse, la petite troupe arrive dans un village imaginaire d’Iran où vivent toutes les chanteuses interdites par le régime des mollahs (pour cette étrange et belle séquence, Half Moon a été censuré en Iran), puis, poursuivant son périple, se heurte à des barrages à la frontière irakienne, cherche son passage par la Turquie, grâce à la complicité d’un policier kurde irakien, d’une jeune chanteuse kurde turque, gracieuse fée des abords de la mort.
Bahman Ghobadi passe sans solution de continuité d’un pittoresque très concret à une fable politique et à une vision onirique plus mystérieuse, qui parle de l’âme kurde avec des accents sourds de maquisard et des inflexions de légende. Le beau visage de Mamo, roc spirituel, la musique qui défie les frontières et les interdits, la mort elle-même « qui n’est pas un malheur », ennoblissent ce vagabondage entre terre et ciel, au charme erratique.
MARIE-NOËLLE TRANCHANT.
LE FIGARO
Publié le 13 juillet 2007
