Christian était notre ami

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Christian était notre ami. Sa perte soudaine nous plonge dans une tristesse infinie. Il est si injuste qu’il soit privé de tout ce qui l’animait pour la prochaine période de sa vie : préparer les jeux de la francophonie à Erevan, s’initier à l’art d’être grand-père avec Lila, profiter des douceurs angevine et arménienne. Lui qui avait tant mérité de pouvoir jouir d’une vie enfin en repos.
Mais il était infatigable ou se croyait tel et nous le croyions aussi. La première qualité qui le distinguait était bien l’énergie. Ses collègues du Ministère des Affaires étrangères d’Arménie savent et ont dit la diversité, l’ampleur, la nouveauté des dossiers qu’il a traités depuis trente ans. Nous qui avons le privilège de l’avoir connu avant, à l’époque où cette énergie se manifestait en diaspora dans la défense de la cause arménienne puis de la renaissance de l’Arménie, nous avions vu qu’elle était sans limites, et contagieuse. Ni limites temporelles : s’il fallait passer des nuits à boucler un mémorandum afin qu’un parlementaire européen en dispose pour achever son rapport et le présenter à l’heure dite à l’Assemblée, on le faisait. Ni limites spatiales : le théâtre de nos actions ne se cantonnait pas à Paris, mais intégrait Strasbourg, Bruxelles et même, avec la perestroïka, Budapest. Ni surtout de limites à nos ambitions militantes, qui n’étaient pas fixées par la taille relativement modeste de notre groupe militant « Solidarité Franco-Arménienne ». Si nos idées étaient les meilleures, nous ne consultions personne avant de les mettre en œuvre. C’est ainsi que nous avons fait passer dans Le Monde, avec l’appui de chefs d’entreprise de la diaspora, un « placard » d’une demi-page pour remercier les députés européens qui avaient reconnu en 1987 le génocide et fait de cette reconnaissance une condition à toute entrée de la Turquie. Celle-ci s’est crue obligée de répondre, redoublant ainsi son échec. Mais nous avions surtout voulu imprimer une lecture universaliste de cette victoire.
Ce genre de succès était possible parce que Christian avait aussi une imagination débordante, toujours en alerte. Le plus joli « coup » réalisé à partir d’une idée originale de Christian, a été la libération des 11 chefs du Comité Karabagh, en mai 1989, cinq mois après leur arrestation par les autorités soviétiques. Il avait compris que le délitement soviétique allait dégeler la droite française, jusque-là timorée sur la cause arménienne. Il a alors proposé à 11 maires de grandes villes de parrainer chacun un prisonnier. Chirac, maire de Paris, a lancé le mouvement en choisissant Levon Ter Petrossian et les autres ont suivi : Michel Noir, Carignon etc. Nous avons été heureux de retrouver ce talent dans des initiatives récentes qu’il a prises dans le cadre de ses dernières fonctions à l’Unesco comme de créer un groupe des petits Etats insulaires et des Etats amis , pour briser l’enclavement des Arméniens et des autres.
Christian avait des amis sur toute la terre, notamment dans l’espace francophone, et il savait s’en faire grâce à sa chaleur humaine exceptionnelle. Son sourire, son rire, ses petites tapes ouvraient très vite une perspective de familiarité, et souvent de grande amitié. L’hommage qui lui a été rendu à l’UNESCO a été l’occasion pour la directrice générale et la présidente de la Conférence annuelle de dire à quel point il était devenu le meilleur ambassadeur de l’institution elle-même, prodiguant des conseils, créant du lien, incarnant la sagesse. C’est cette même humanité qui lui avait valu d’obtenir les dévouements de personnes si diverses à SFA, mais aussi de faire progresser la cause en y gagnant des politiques importants comme Bernard Kouchner ou Michel Sapin, ou en levant des hésitations comme celles de Simone Veil. Son goût pour les scénarios politiques, qu’il concevait hardiment mais présentait prudemment, faisait de lui un pair et un interlocuteur idéal pour la classe politique..
Il avait aussi, à la racine, des convictions fortes. La première était l’attachement à la cause arménienne, contracté dès son adolescence au Nor Serund. C’est cet attachement bien sûr qui lui a fait faire un choix inattendu. Lui, qui avait la passion de l’analyse politique, et pas seulement de la politique arménienne, aurait pu rentrer dans la classe politique, arménienne ou française. Or, peu de temps après l’indépendance, il est parti servir l’Arménie. Pas comme soldat, ni comme entrepreneur, ni comme professeur, mais, ce qui est encore plus rare, peut-être unique, comme haut fonctionnaire, et précisément diplomate. Il a estimé que c’était là que son expérience pouvait le plus apporter à son nouveau, et très ancien, pays. Il a donc appris l’arménien oriental, et il est resté après un premier changement politique dont il n’avait apprécié ni la forme ni le but. Il a, par son action et par son exemple, contribué à ancrer ce qui, selon des esprits avertis, manque le plus dans la culture et la société arménienne, le sens de l’Etat.
Ce sont sûrement ses autres convictions qui l’y ont aidé. Sa jeunesse avait été marquée par une adhésion au PSU, et sa maturité par une sympathie jamais démentie pour la figure de Michel Rocard. Elles lui ont apporté l’universalisme, la modération, le sens des responsabilités, l’amour de la démocratie… et notre amitié. Pas de combat arménien, en diaspora ou au pays sans la démocratie comme horizon et comme critère. A partir de ce socle, Christian a été un pont, de l’Arménie vers la France et de la France vers l’Arménie. Son parcours a été singulier, mais il a aussi représenté brillamment l’époque où la diaspora arménienne de France est sortie d’un certain repli pour gagner en visibilité. Elle a alors obtenu des résultats plus tangibles que sa cousine américaine, parce qu’elle s’est intégrée dans le modèle républicain, au lieu de s’enfermer dans un nouveau communautarisme occidental. C’était l’une des théories favorites de Christian ces temps derniers. Ses théories vont nous manquer, en plus de son affection.

La rédaction
Author: La rédaction

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